mercredi 10 mars 2010

La photo manquante

LA photo qui manque, c'est celle de Cochabamba. Mais pourquoi pas de photo? Et bien à cette question je vous répondrai par une autre: cela vous arrive souvent, à vous, de photographier votre boulangère ou la Mairie de votre village? Non, évidemment. Et bien pour moi c'est pareil. Quand je suis à Cochabamba, je suis chez moi, et c'est tellement naturel que je ne pense pas une seconde, je ne me dis pas une seule fois: "Tiens, ça ferait une bonne photo ça!". Je comprends que vous soyez déçus. Moi aussi en fait, je me déçois un peu. C'est vrai, il y aurait tant de belles images à capturer pour les regarder au retour... Mais comme certains n'aiment pas les fleurs coupées, j'aime mieux sentir battre le coeur de ma ville plutôt que d'en imaginer les mouvements sur une photo, c'est ainsi. Parce qu'à chaque fois que je ferme les yeux, je vois...
La cancha. Ce marché couvert labirynthique, où il fait une chaleur moite et sombre et où les odeurs, bonnes ou mauvaises, se diffusent à leur aise. Une vendeuse derrière son étal de boucherie. Une femme à la Botero, toute ronde, son tablier opprimant sa grosse taille. Elle trône sur une vieille chaise. Devant elle, des escalopes, des côtes et des côtelettes, et, dans une bassine bleue, la tête d'un mouton tirant la langue au passant. On passe...
Sur le trottoir. Une femme et son enfant, pieds nus, pieds bleus ayant connu le froid de la rue, yeux noirs, durs et fatigués. Ils sont de Potosi. Ils font la manche.
La place. Les pigeons comme une armée qui s'envolent vers la cathédrale. Leur ombre sur le sol. Le soleil en haut qui éblouit.
Le cimetière, dans la Zone Sud. Les mausolées immenses comme des palais pour les morts. Plus loin, les niches des pauvres. La grand-mère, le fils, toute la famille, la fille sur une échelle pour aller changer les fleurs du grand-père. Les fleurs, partout, l'ombre des arbres, la promenade du dimanche. La paix.
Charanguista et sa petite soeur. "Cholita Marina". Le petit joue à merveille sur son charango rustique. La petite, elle, prend des allures de grande et danse, danse. Zapateado!
Il en a des centaines, comme ça, des images gravées seulement dans la mémoire, comme des repères, toutes ces choses qu'on emporte avec soi partout où on va, plus fidèles que des souvenirs, qui nous suivent comme des ombres, qui nous envahissent comme la fumée de la q'oa, qui nous remplissent et nous nourissent. La photo, pour la voir, il suffit de regarder dans les yeux de ceux qui l'ont vécue...

1 commentaire:

Coumarine a dit…

tu as de vraiment bonnes musiques... j'aime beaucoup...