dimanche 27 septembre 2009

Vu de l'intérieur et de l'extérieur

Dominique Ponchardier, La mort du condor, 1976.

Tout commence par une manifestation d'écoliers dans les rues de La Paz, dans les années 60. La voiture dans laquelle se trouve l'ambassadeur de France peine à avancer dans cette furieuse cohue. C'est la première fois que nous le rencontrons, et nous allons suivre les événements qu'il nous raconte avec beaucoup d'intérêt et d'amusement. Ponchardier, vieux briscard de la dernière guerre, propulsé ambassadeur en Bolivie par de Gaulle. Il n'a pas l'habitude des cocktails mondains, des ronds de jambes et des formules de politesse hypocrites. C'est d'ailleurs cela, ce caractère franc et direct, sans détours, qui nous le rend si familier, notre ambassadeur. Avec un langage qui reflète sa personnalité, bref et précis, soucieux du détail et parfois familier, Ponchardier nous raconte ses années en Bolivie au temps de Victor Paz Estenssoro. Il nous fait vivre en direct le coup d'Etat du général Barrientos en 1964, les dessous de table, les secrets de polichinelle et les coups bas, dans ce milieu politique corrompu et calculateur où rien n'est laissé au hasard, fait de fausses amitiés et d'intérêts personnels. Puis c'est la période de la guérilla du Che, 1967, et les interrogations sur son hypothétique présence dans la vallée orientale. Les interrogations, les doutes, les manipulations, et la présence d'un français au milieu de cette galère révolutionnaire: Régis Debray. Ponchardier se retrouve alors dans une position désagréable, devant à la fois préserver son traité culturel entre la Bolivie et la France et donc ne pas froisser ce cher Président Barrientos, et sauver la peau d'un ressortissant français qu'il est en son devoir d'ambassadeur de protéger, quelles que soient ses idées. On nous décrit alors dans les moindres détails l'arrestation et l'emprisonnement de Debray à Camiri, l'organisation de son procès, les négociations, son mariage avec Elizabeth Burgos. Un résumé intéressant du travail d'ambassadeur. Et puis quelques passages cocasses ou touchants, parfois attendris, sur la réalité du pays et de ses habitants, très proches aussi de ce qu'est la véritable culture métissée de ce pays. En témoigne cet extrait dans lequel l'ambassadeur raconte l'une de ses visites chez une cholita pas comme les autres...
"C'est à ce moment là que survient dans cette pièce un prêtre catholique. Il était accompagné de trois ou quatre hommes en chapeau mou (mas le leur est d'origine), habillés des dimanches, et de quelques femmes en polleras et chapeaux melons (d'origine eux aussi). Les verres louches et épais furent extirpés de la caisse sur laquelle trônait notre hôtesse. Les litrons se mirent à glouglouter dans les godets qui furent engloutis. Le prêtre passa un surplis. Les autres, debouts et fixes, se tenaient muets et attentifs. Le prêtre dit une courte messe devant la table où était posée la pierre consacrée qu'il avait amenée dans une musette. Puis il s'installa au centre de la pièce, Le Yatiri se tenait à son côté. Pendant que le prêtre faisait des signes de croix, les autres enfournaient dans leur bouche de la coca et reversaient de la chicha dans leurs verres. Ils jetèrent le liquide blanchâtre presque sur mes pieds. Je ne savais pas s'il fallait me lever ou demeurer assis. On me fit signe de rester sur mon siège.
La vieille dame soutira sa pierre grisâtre. Je pensais: "Ca y est, nous allons repartir voguer dans les odeurs pénibles". Mais elle avait vu mon air inquiet. Elle me fit comprendre que non. Elle m'expliqua qu'aujourd'hui on allait brûler la huirakoa, une herbe d'une puissante odeur aromatique sans effet sur le comportement humain.
Pendant que le prêtre récitait en espagnol des Pater noster, le Yatiri invoquait Pachamama en aymara. (...)"

Aucun commentaire: