Il parait que le public est fan de ce morceau, qu'il le demande à chaque fin de concert, et que donc il serait incontournable pour un groupe de musique des Andes de le jouer au terme de chaque représentation... Soit... Mais qu'est-ce que ce morceau? Au commencement était une oeuvre musicale en plusieurs parties, que peu de monde a sans doute écouté en entier. Plus tard, le grand charanguiste argentin Jorge Milchberg l'a reprise en partie pour la jouer avec son célèbre groupe Los Incas. Enfin, Simon et Garfunkel en ont fait un tube international en le chantant en anglais sur toutes les scènes du monde. Autant vous dire que le mot "galvaudé" est tout juste suffisant pour qualifier ce morceau passé de mode et qui surtout ne représente en rien la musique des Andes. Milchberg lui-même, lors de sa prestation au dernier festival du charango à Paris, s'est arrêté un instant pour nous faire comprendre que si son nom était associé au condor qui passe, ce n'est pas du tout cela qu'il veut mettre en valeur aujourd'hui, que la musique des Andes, la musique bolivienne est infiniment plus riche et plus variée, plus lourde de sens, et qu'on devrait plutôt parler de morceaux autochtones au lieu de se borner à écouter le Condor. Et Milchberg de nous raconter qu'en entendant des khantus en Bolivie, il avait été transporté par ces mélodies remontant aux âges anciens des Andes, c'est pourquoi il avait tenté de les répéter au charango. Ce qu'il fit ce soir là devant nous. Si Milchberg, celui qui a fait voyager et connaître le Condor Pasa, nous dit cela, c'est un message clair qui nous est délivré: attachons nous à rechercher au plus profond des racines, au plus ancien, au plus sincère et vrai de la culture des Andes, et diffusons ce qu'il y a de plus beau, la tradition, le folklore, ce qui touche les gens de là-bas et que certains groupes tentent de valoriser ici avec leurs tripes et leur coeur. Ce qui touche les boliviens par exemple, c'est de voir que leur musique, la vraie, celle qu'ils jouent là-bas dans les fêtes, les carnavals, les chicherias ou les marchés, est jouée ici, par des compatriotes, ou par des français. Alors les sensibilités communiquent et ne font plus qu'une. Pourquoi les gens, le public, demande qu'on leur joue El Condor Pasa? Parce qu'il ne connaissent souvent que ça, que c'est une référence culturelle pour eux, une bouée de sauvetage dans l'inconnu que représente la musique des Andes. Que se passe-t-il si on leur joue à la fin du concert? Ils continuent alors de croire que, étant donné qu'on le joue à la fin du spectacle, c'en est le clou, la cerise sur le gâteau. Pourquoi ne doit-on pas leur jouer? Parce qu'on se doit justement de leur faire découvrir les vastes horizons de l'Altiplano à la Sierra, de la Côte à l'Amazonie, de l'Equateur à la Bolivie. Les sikus, khantus, tarkeadas, ayarachis, l'essence, la source; et les morenadas, caporales, tinkus, la fête, le folklore, la vie. Certains préfèrent laisser le public dans sa fange culturelle; je ne suis pas de ceux-là.
La Anata de Oruro - 2009
(Photo:Luis Chugar)
1 commentaire:
Ben, pour être honnête, le Condor ça m'a barbée dès le départ, parce que j'avais l'impression que c'était une façade qui empêchait de rentrer vraiment dans la musique andine... Depuis, grâce à mes relations (!!) j'ai pu découvrir d'autres musiques qui invitent au voyage et à la découverte... Mais il est vrai qu'en musique j'ai l'esprit d'aventure...!
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