Bernard Giraudeau, Les hommes à terre, 2004.
Coutumier des récits de voyage et autres aventures autour du monde, Bernard Giraudeau nous offre ici des fragments de vie des marins à terre, ceux qui font escale, ceux qui viennent et puis repartent, ceux qui restent sans se résoudre à vivre ancrés hors de l'océan. Un recueil de nouvelles qui nous font toucher du doigt les souffrances, les espérances et les histoires tantôt belles, tantôt crues, de ces hommes à terre, avec comme fil conducteur celui de l'amour, tissé au fur et à mesure des rencontres, parfois fragile et illusoire, parfois indestructible malgré le temps, la distance, l'absence. C'est le sujet de cette magnifique histoire qui ouvre le livre. Jean-Paul emmène son père malade en voyage avec lui en Asie, cette région du monde qu'il a si bien connu lorsqu'il était militaire en Indochine. C'est le retour en arrière, aux sources, à la vie pour cet homme qui, après des années, retrouve son amour de jeunesse, la femme de là-bas, celle qu'il avait aimée et qu'il avait quittée pour reprendre sa vie en France, et avec qui il décide de rester pour finir ses jours. Un magnifique conte sur l'amour filial, l'amour partagé, l'amour triomphant plus fort que tous les obstacles et la nécessité, l'urgence de vivre celui qui nous tend les bras.
Les autres histoires sont aussi belles, parfois surprenantes, gênantes, mais écrites avec tellement de sincérité et de vérité. Diego l'angolais rencontré au cours d'une nuit sans sommeil sur le port, Diego le conteur amoureux d'une femme inventée. Jeanne qui part rejoindre Ange de l'autre côté de l'océan de la vie après avoir pendant toute la sienne guetté sa silhouette à l'horizon à chaque retour de son bateau.
Ce livre est un chef d'oeuvre au niveau du fond comme au niveau de la forme, avec toujours ce même style unique, direct et tellement poétique. Des descriptions comme des peintures, tracées précisément par des mots ciselés.
"{A Lisbonne} Sous les linges suspendus errent les chiens et les enfants. Il y a des appels, des gueulantes éphémères. Une poule s'effraie. Un couteau égorge, du sang coule sur les azulejos. Les ruelles se dressent sur la colline ou se précipitent vers la mer. En vieillissant, on s'essouffle. La musique est trop forte. Chacun la sienne, le fado des vieux se perd dans la techno. Les restaurants ont deux ou trois tables. On y sert la cachupa ou le bacalhau. Au travers d'un carreau graisseux, deux vieilles mains tremblent à rassembler des pois chiches. Il lui faudrait une cuillère, au vieux. La fourchette entre les doigts malhabiles laisse échapper des graines. Plus haut, un regard fixe l'assiette. Comment trier les souvenirs au milieu des pois? Quelqu'un disait: "Seule l'habitude aide à survivre." Un chat frivole frôle une jambe anonyme: affection hypocrite pour un bout de viande. Et lui le caresse, se croit aimé. C'est doux, un chat. Il faut changer la litière, c'est tout. Et s'il avait un chat pour miauler sa solitude? Une femme plonge une louche dans le bouillon gras. Une jeune fille attend sans impatience. Derrière elle, la Sainte Vierge en plâtre et polychrome acrylique ne s'émeut de rien. Elle règne sur un lot de cartes postales."
Une lecture qu'on savoure comme un met exotique mais familier, piquant, fruité, plein de saveurs et de parfums aigres doux et qu'on goûte jusqu'à la dernière bouchée.
1 commentaire:
Giraudeau me donne l'impression d'être un miraculé du Show-Biz, une sorte d'antipode d'Arthus-Bertrand.Je trouve beaucoup de recherche de réalisme dans ce qu'il exprime comme dans la façon de l'exprimer. Quand le fond est en adéquation avec la forme, cela ne laisse jamais indifférent. Et dans le bon sens en plus.
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