Depuis toujours on avait étudié l'histoire de la conquête à partir des chroniques espagnoles, d'un point de vue européo centriste, celui des "vainqueurs". Nathan Wachtel quant à lui se propose de retracer cette partie de l'histoire de l'Amérique Hispanique du point de vue des "vaincus", à partir de documents (tradition orale, textes indigènes, chroniques), de témoignages et de l'étude du folklore indigène contemporain. La conquête vue par les vaincus c'est surtout la violence, la rupture brutale avec le passé et la destructuration de la société traditionnelle. Même si les espagnols reconstruisent la société coloniale sur les bases structurelles de l'Empire Inca, ces nouvelles structures n'ont plus de justification idéologique. Ainsi les principes de réciprocité et de redistribution ne sont plus valables, le deuxième principe étant largement abandonné par les conquistadors pour qui le tribut est avant tout une source de profit personnel. Par ailleurs, de nombreux déplacements de population sont effectués, notamment pour pourvoir à l'énorme besoin de main d'oeuvre dans les haciendas et surtout les mines. De même la mita, ancienne institution inca consistant en un travail solidaire, est reprise par les espagnols et transformée en véritable travail forcé.
Le chapitre le plus intéressant est sans doute celui consacré aux structures mentales, dans lequel Nathan Wachtel se pose la question du syncrétisme. En effet, les indigènes ont-ils assimilé les coutumes, les croyances et les conceptions européennes en les métissant avec leurs propres visions des choses et du monde? L'auteur ne souscrit pas vraiment à cette thèse. Selon lui, certains éléments espagnols auraient été repris par les indigènes -alimentation, habillement, armes...- mais ces assimilations ne se seraient faites que du point de vue matériel. Du point de vue spirituel, les vaincus auraient conservé leurs croyances et leur vision du monde intactes, ne reprenant qu'en apparence la religion catholique, comme un vernis sous lequel leurs croyances restaient tout à fait les mêmes. Pour Nathan Wachtel donc, il y aurait eu déculturation sans véritable acculturation. Etant donné qu'il ne faut pas considérer une société et ses évolutions par échantillons, c'est-à-dire à partir de fait ponctuels, mais plutôt dans son ensemble, on ne peut pas parler de véritable syncrétisme en ce qui concerne le monde indigène et l'occupant espagnol.
Pour conclure, on peut donc dire que ce travail est novateur et excellent en ce qu'il réécrit l'histoire de tout un peuple, non plus comme le récit d'une soumission totale et donc d'une victoire complète du monde européen sur les indigènes tel qu'on a bien voulu nous le faire entendre pendant de trop longues années, voir même siècles, mais comme la prise de parole de peuples résistants et aux croyances bien vivantes et actuelles.
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