lundi 30 juin 2008

Eloge de la bougeotte

Daniel Herrero, Partir, Eloge de la bougeotte, Ed. La Table Ronde, 2003.
A ceux qui croient que les sportifs sont tous des tanches, des benêts, des idiots handicapés de la parole, voici un livre qui prouve le contraire. Il s'agit de celui de Daniel Herrero sur lequel je suis tombée par hasard dans une librairie au rayon "récits de voyage". Je connaissais le bonhomme pour ses exploits sur les terrains de rugby dans les années 70, pour son allure de Geronimo du midi avec sa barbe fournie, sa crinière en désordre et son éternel bandeau sur le front, pour son parler franc et imagé. J'ai donc immédiatement acheté son livre, ne serait-ce que pour encore goûter sa prose riche en images savoureuses. Seulement ici le gaillard ne fait pas que nous faire rire. Il se révèle aussi être un amoureux du voyage, éternellement sur le départ, et dévoile un peu de ses émotions cultivées au cours de ses différents périples autour du monde. Des rencontres ou des moments qu'il nous fait partager, il reste à la lecture une leçon de tolérance et de respect pour l'Autre et sa culture, sans jamais sombrer dans le sentimentalisme cependant. Et en le lisant on croirait l'entendre parler, entendre son accent chantant nous conter les merveilles du monde.
Voici deux extraits du livre qui ont particulièrement attiré mon attention et dans lesquels je crois me reconnaître un peu:
"Le voyage a donc porté un coup à mes blocages de gosse. Mais un fait demeure: je n'aime pas qu'un médium me raconte les histoires des autres. Je veux les vivre! Aux films, aux romans, à la télévision, je préfère la vie en direct. Un conteur ou un acteur de théâtre touchera toujours plus mon coeur qu'un personnage de cinéma, à l'abri derrière l'écran. On ne connaît pas le monde parce qu'on le voit à la télévision! On n'est pas bon joueur de football parce qu'on se débrouille bien sur sa Game Boy. En se déconnectant du réel, on va tous devenir schizophrènes! Rêver ne suffit pas. La meilleure façon de comprendre le monde, c 'est de le parcourir. En voyage, je vis le monde en direct, j'en perçois les frémissements, les rayures, les scories, les douceurs. Personne ne m'impose dans un cadre ce que je dois voir ou retenir. Marcher, "pieds nus sur la terre sacrée", est mon seul moyen de ressentir les enjeux de notre monde, car ces expériences, si elles usent plus mes articulations que mes yeux, me conduisent du "voir" au "savoir". N'étant pas spécialiste d'une terre ou d'un sujet, je suis un voyageur horizontal plus que vertical. De nouveautés en habitudes, de surprises en déjà-vu, je découvre de la profondeur dans la transversalité -regarder, comparer, connecter, comprendre. Mes voyages forment progressivement un ensemble cohérent. Je mets des images sur mon atlas imaginaire, et au fil de mes pérégrinations, ma compréhension du monde s'étoffe, et mes convictions s'affirment.
Avant de penser librement, il me faut toujours voir, sentir, éprouver. La plus intellectuelle des démonstrations ne remplace pas une nuit de palabre avec un inconnu, un voyage en train, ou le haussement de sourcil d'un anonyme qui n'a plus chez lui le droit à la parole. La conscience se construit sur le socle de sa propre histoire et de sa culture, mais surtout grâce à la vie des autres, pour peu que l'on y prête attention. On fait alors lentement sa propre moisson de rencontres, d'expériences, de gamberges, pour finalement éprouver une "conscience", ce sentiment intime par lequel on apprécie moralement ses actes et ceux d'autrui. La mienne s'est formée sur les routes, dans les bistrots, près des stades, au coeur des villes. Mon désir de voyage n'est pas politique, mais c'est en voyageant que s'est forgée ma conscience citoyenne."
"Le choix de ses voyages est peut être un bon point de départ pour une séance de psy. Dis-moi ou tu vas, pourquoi tu y vas et je te dirai qui tu es. Mes destinations m'éloignent toujours de l'Occident, vers des pays pas riches, pas blancs, et si possible sur une lattitude Sud. Ce n'est pas une fuite, mais une prise de distance avec ma réalité quotidienne et les excès de nos sociétés industrielles dont les paillettes et le rythme effrené m'agacent de façon chronique.
Voyager dans certains pays où la vie des gens est plus humble, plus simple, correspond pour moi à une quête d'essentiel, un besoin de me recueillir et d'apprendre de ceux qui sont loin de moi. Ma conscience se construit en découvrant ce que les autres cultures ont de différent, ce que j'aimerais parfois avoir chez moi, quitte à l'échanger contre un peu de technologie. J'admets qu'il peut y avoir une équivoque morale à rechercher de la nourriture intellectuelle et spirituelle là où, par la force des choses, des gens démunis n'ont pas le loisir de la sophistication et sont contraints de se concentrer sur les fonctions les plus élémentaires: travailler, manger, dormir. Mais l'essentiel consiste pour moi à rechercher d'autres façons de vivre en société, à m'interroger sur les multiples façons de faire de la politique, au sommet des Etats ou sous l'arbre à palabres.
Le nectar le plus savoureux en voyage, c'est ce jus décanté, mélange de nouveauté, de goûts inconnus, de différences insoupçonnées. La route qui me conduit vers l'Autre m'éloigne de ma civilisation; chez lui, je me sens vraiment à l'extrême opposé de ce que je connais, et bizarrement au plus proche de moi-même. André Breton avait cette phrase superbe: "Je ne le connaissais pas et je suis passé le voir pour me donner des nouvelles de moi-même."

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cela change effectivement du tourisme "low cost": dix mille kilomètres de traînée de kérosène gaspillé pour satisfaire un mélanome qui pourrait se contenter du soleil de son balcon!

Anonyme a dit…

corrigé:"coast" (je suis plus attentif à l'espagnol qu'à l'anglais, allez savoir pouquoi!...).