Un bon livre ne laisse jamais indifférent, et c'est le cas de celui-ci, qu'on adhère ou non à sa façon de voir les choses. L'auteur nous propose ici une réécriture du texte religieux, une sorte de cinquième Evangile en deux parties. Dans la première, le narrateur est le Christ lui-même, que Eric Emmanuel Schmitt choisit de nommer Yéchoua afin de pouvoir développer le personnage romanesque avec une plus grande liberté. Ce Jésus là est humain, rempli de doutes, et, ne permet de choisir aucune des deux hypothèses présentées par les théologiens: plutôt que d'opter pour un Jésus conscient dès le début qu'il est le Fils de Dieu, ou pour un Jésus qui a sur le tard une révélation, l'auteur décrit un Yéchoua qui fait le pari de croire qu'il est celui que tout le monde attend.
"Comment pouvais-je croire être en relation avec Dieu? N'était-ce pas une démence? Comment pouvais-je avoir le sentiment de saisir ce qui est juste et ce qui ne l'est pas? N'était-ce pas une illusion? Comment pouvais-je m'attribuer le pouvoir de parler pour Dieu? N'était-ce pas de la prétention?
Je ne reçus jamais de réponse à ces questions. Simplement, au matin du quarantième jour, je fis le pari. Je fis le pari de croire que mes chutes, lourdes méditations, me conduisaient à Dieu, non à Satan. Je fis le pari de croire que j'avais quelque chose de bien à faire. Je fis le pari de croire en moi."
Deuxième partie, changement de ton radical. Le corps de Yéchoua a disparu du tombeau et Pilate mène l'enquête. Il explore toutes les hypothèses, les unes après les autres, jusqu'à la négation de chacune. Véritable investigation policière, cette partie du récit nous conduit à travers les rues de la Jérusalem romaine et juive, celle des premiers chrétiens.
"Depuis quelques années, un certain Yéchoua, rabbin contestataire, fait parler de lui en Judée. Au départ, l'homme n'avait pas grand chose pour lui: un physique passe-partout, un accent de bouseux galiléen, et surtout, il venait de Nazareth, le trou du cul du monde. Normalement cela aurait dû suffire à l'empêcher d'être populaire: mais ses disours toujours un peu décousus et décalés, ses phrases à l'emporte pièce, ses fables orientales tantôt douces tantôt violentes, son attitude complaisante avec les femmes, bref, en un mot, sa bizarrerie, lui a gagné des suffrages."
Sur les traces de sa femme qui suit les apparitions de Yéchoua prétenduement ressuscité, Pilate finit par prendre lui aussi le chemin de la Galilée avec les milliers de pélerins, chemin qui le mènera peut-être aussi à la foi.
On peut regretter que l'oeuvre tourne vers la fin à une transposition plus qu'évidente des propres interrogations, de la propre foi de l'auteur, sur son personnage de Pilate. Prosélitisme? On est tenté de le penser. Mais les pages qui suivent dans cette édition, intitulées "Journal d'un roman volé", justifient, du moins expliquent la démarche de Eric Emmanuel Schmitt: le choix de ses personnages, les nouveautés, les transgressions qu'il apporte à l'histoire sainte des chrétiens, ses propres convictions. Par là même le lecteur, athée ou croyant, simple curieux, redevient indulgent pour ne retenir que les côtés positifs de cette expérience de lecture: tout d'abord, l'originalité du thème; ensuite, une écriture agréable, dynamique, simple et directe, adaptée à chaque personnage et à son style (on retrouve ici l'auteur de théâtre); enfin une reflexion qui sous-tend l'ouvrage et qui nous amène sans doute, au-dela des considérations religieuses, à nous reconsidérer nous-mêmes. Comme le dit Eric Emmanuel Schmitt dans la dernière partie, nous avons le choix de croire ou de ne pas croire.
"Nous sommes tous réunis sous la question, divisés par nos réponses."
Peut-être aussi un message de tolérance.
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