Je suis toujours plongée dans "La Montagne Magique" de Thomas Mann, et j'y ai déniché, entre deux discussions érudites des personnages, un petit extrait qui illustre la fonte des neiges de manière assez poétique il me semble. J'ai connu cette époque de l'année dans les montagnes d'Auvergne, et même si ici l'histoire se passe dans les Alpes Suisses, il me semble que ce passage décrit très bien ce changement de la nature qui s'opère au printemps.
"La neige fondit comme par enchantement, elle devint translucide, poreuse et se troua; elle s'écroula là où elle était amoncelée, elle semblait se recroqueviller sous terre. C'était partout un suintement, un égouttement, une infiltration, un écoulement et une chute dans la forêt, et les remparts des routes, les tapis pâles des prés disparurent, encore que les masses eussent été par trop copieuses pour qu'elles pussent disparaître rapidement. Il y eu des phénomènes étranges, des surprises printanières au cours des promenades dans la vallée, féériques, jamais vues. Une étendue du pré était là, à l'arrière plan se dressait le cône du Schwarzhorn encore tout couvert de neige, avec le glacier de la Scaletta, également couvert de neige épaisse, à droite dans le voisinage, et le terrain aussi avec sa meule de foin quelque part, était encore sous la neige, quoique la couche fût déjà mince et clairsemée, interrompue çà et là par des renflements rugueux et sombres du sol, partout transpercée d'herbes sèches. C'était là tout de même, parut-il aux promeneurs, une couche de neige assez irrégulière, que montrait ce pré: au loin, vers les versants boisés, elle était plus épaisse, mais en avant, sous les yeux de ceux qui l'examinaient, cette herbe hivernale, sèche et décolorée n'était encore qu'éclaboussée, tachetée, fleurie de neige, une neige de fleurs, de petits calices à tiges courtes, blancs, d'un blanc bleuâtre, c'était du crocus, parole d'honneur, jailli par millions du pré où s'infiltrait l'eau, si serré que l'on avait très facilement pu le tenir pour de la neige, dans laquelle il se perdait en effet si loin, sans transition."
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