vendredi 6 juillet 2007

Digressions sur le temps

Extrait du dernier roman de Bernard Giraudeau intitulé Les dames de nages. Je vous le conseille pour son style simple et poétique et parce que c'est de nouveau une invitation au voyage, de l'autre côté des clichés, chez les vrais gens, et un peu en vous aussi parce que ses phrases vous touchent au plus profond, l'air de rien.
L'extrait que je vous propose est une digression sur le temps, écrite par l'un des personnage féminin, Amélie, le premier amour de Marc, le protagoniste:
"Un jour, l'homme a attaché le temps à une chaîne. Il le mit dans sa poche en le consultant de temps en temps. De temps en temps. Puis il voulut le temps enchaîné à son poignet, croyant ainsi l'apprivoiser et le dominer. Mais c'est le temps qui enchaîna l'homme. Il oublia de lire les ombres, de reconnaître les signes. Il désapprit ce que le soleil lui avait enseigné. C'est ainsi qu'il fut prisonnier du temps. L'homme, autrefois, le prenait quand il le souhaitait. Le temps était là à l'attendre. Il était à prendre. L'homme le regardait. Il avait le temps et le temps était libre. L'homme était libre du temps et le temps était libre des hommes. Mais le temps ainsi attaché à son poignet, enfermé dans les horloges, se mit à tourner en rond comme dans une cage. On lui mit des chiffres pour ne pas le perdre. Il ne fallait pas perdre de temps. C'est ce que l'homme croyait.
Il finit par courir désepérément après lui, celui, bien sûr, qu'il avait enchaîné. L'autre n'avait pas bougé, il était toujours là à attendre et il voyait l'homme passer devant lui en courant sans le regarder, sans s'arrêter pour tenter de le voir puisqu'il avait les yeux fixés sur son poignet. Il poursuivait l'autre temps, celui qu'il avait inventé, un temps aveugle, cruel, remplaçable, un monstre enragé, virtuel, qui finit par le tuer. C'est ainsi que l'homme est devenu mortel. Avant, il s'endormait pour mourir en prenant le temps, se laissant bercer par lui. C'était un dernier mariage. Sachant que le temps était immortel, il partait avec lui sans frayeur, de l'autre côté de la vie."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tout à fait d'ac avec cette définition du temps, dont nous sommes trop esclaves. Il faudrait relire le petit Prince ! (pour remettre les pendules à l'heure...)
BB