samedi 2 mars 2019

Vent d'est, vent d'ouest

Pearl Buck, Vent d'est, Vent d'ouest, 1959.
Encore une trouvaille parmi les livres amoncelés à l'étage. A la vue de sa couverture fleurie un peu désuète et en l'absence de résumé, il était impossible de deviner quel trésor se cachait entre ses pages jaunies par le temps. J'hésitais entre le donner parce que je ne le lirais jamais, ou le garder parce qu'il s'agissait tout de même d'un bel objet. C'est la télévision qui a tranché. Je suis une adepte assidue de l'émission d'Arte "Invitation au voyage", animée par la délicieuse Linda Lorin et j'essaie de n'en manquer que de très rares épisodes. Non seulement les destinations évoquées sortent des sentiers battus en ce qui concerne le ton et l'aspect abordé, mais la première d'entre elles établit toujours un lien entre un lieu et un artiste. Quand il s'agit d'écrivains, je tend l'oreille et mon stylo est prêt à bondir sur ma liste de futures lectures. C'est donc cette émission qui m'a permis de découvrir Pearl Buck, écrivaine américaine plus chinoise que yankee. Fille de missionnaires, elle passe une importante partie de sa vie en Chine, un pays en pleine évolution à cette époque. Tiraillée entre ses traditions et l'appel de la modernité, la Chine se déchire entre le respect des ancêtres et le vent de renouveau apporté par les communistes et par une toute nouvelle ouverture vers l'occident. 

Dans ce roman, Pearl Buck saisit parfaitement ces contradictions et les introduit au sein même d'une grande famille chinoise. La narratrice, tenue traditionnelle et pieds bandées, femme effacée et soumise que l'on a préparée durant toute son enfance et son adolescence à être la servante de son futur mari, doit épouser celui qui a été désigné pour jouer ce rôle depuis leur plus jeune âge. Produit d'une union arrangée entre deux grandes familles, rien ne prédispose ce couple à l'amour. D'autant plus que la jeune femme est complètement déboussolée par les manières de cet homme tout juste revenu de l'étranger où il a fait de brillantes études de médecine. Il veut que sa femme soit son égal, qu'elle débande ses pieds et qu'elle s'exprime. Celle-ci prend ce comportement pour un affront et une insulte. Or, petit à petit, les deux époux apprennent à se connaître et la jeune femme commence timidement à s'émanciper. Cependant, elle voue encore un respect sans bornes à ses parents et notamment à sa mère, matrone autoritaire et distante, véritable déesse. Lorsque le frère de la narratrice, lui aussi exilé pour un temps à l'ouest, rentre au pays au bras d'une étrangère qu'il a épousée là-bas, c'est le coup de grâce. La nouvelle venue est rejetée et on met une pression énorme sur les épaules du jeune homme pour qu'il épouse celle qui lui était initialement promise. L'enjeu principal de tout cela, c'est la naissance d'un héritier mâle, puisque les femmes n'ont aucun autre rôle que celui de se reproduire et de donner des fils, afin de perpétuer la lignée de nobles. 

Le roman de Pearl Buck, écrit dans un style plus chinois que celui des auteurs chinois, saluent les critiques, nous plonge dans un monde fermé, poétique, onirique, divin, interdit aux étrangers. Un monde dans lequel tout est codifié, de la présentation du thé au costume, en passant par le maquillage et les couleurs des pierres précieuses arborées. Un monde reculé, ancien et qui semble inébranlable. Pourtant, malgré cet ancrage millénaire qui le rend aussi figé qu'une peinture laquée, le vent d'ouest, vent de folie, s'introduit dans tous les interstices de la vie. Il ébranle l'ordre établi, fait trembler le tissu familial et modifie à jamais, sans retour en arrière possible, la Chine entière. C'est la superstition contre le progrès, la domination des hommes contre la prise de liberté des femmes. Le roman de Pearl Buck est d'une incroyable richesse. C'est à la fois un témoignage historique, une fresque romanesque et une sublime estampe au mille traits ciselés et délicats. 

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