mardi 5 février 2019

Nomade sur la voie d'Ella Maillart

Amandine Roche, Nomade sur la voie d'Ella Maillart, 2003. 
Il y a d'abord un sentiment enfoui, le pressentiment d'une quête à mener, la sensation de quelque chose d'incomplet qui nous taraude et ne demande qu'à se réparer. Comment ? On l'ignore encore. Et puis, soudain, un accident qui nous réveille, une rencontre qui nous révèle et c'est le départ. Comme Ella Maillart, on "prend son bâton de pèlerin" pour aller à la découverte de soi-même. Amandine Roche a vécu, les unes à la suite des autres, plusieurs de ces circonstances qui vous révèlent le sens de l'existence. D'abord, une rencontre avec le Dalaï Lama qui lui a montré le chemin des Droits Humains, l'une des raisons qui l'ont entraînée vers des études de droit international. Ensuite, un accident de voiture qui bouscule ses certitudes et fait jaillir mille interrogations existentielles. Enfin, une rencontre indirecte avec Ella Maillart, qu'elle se promet de retrouver. Malheureusement, lorsqu'elle parvient enfin à Chandolin, le dernier refuge de l'aventurière, la vieille dame s'est déjà envolée vers les cimes éternelles. Qu'importe, puisqu'elle veut absolument percer le mystère Ella, Amandine se lance sur les routes à sa recherche. D'abord, en mission avec l'UNICEF, puis seule, nomade, à travers l'Asie. Elle sent la nécessité viscérale de traverser tous les pays, toutes les frontières, les déserts et les montagnes que l'aventurière suisse a traversés afin de comprendre son fonctionnement, la nature de sa quête et surtout ce qui l'a amenée à connaître une spiritualité profonde, empreinte de sagesse. Comment trouver la paix et où se cache-t-elle ? Chez les nomades, sans doute, et dans leur mode de vie ancestral en harmonie avec la nature, dans un temps qui n'est pas le nôtre et un espace plus vaste que ceux dans lesquels nous vivons.

Après une mission en Ouzbékistan qui se termine précipitamment par une tentative d'assassinat, Amandine poursuit son travail en Tadjikistan. Déjà, dans le cadre de son travail, Amandine part à la rencontre de l'autre et on perçoit toute sa sensibilité et son intérêt non feint pour les personnes qui se trouvent en face d'elle. Une fois sa mission terminée, elle décide de poursuivre seule. Ce sera le Kirghizistan, une épopée à travers le mythique et terrible désert du Takla Makan dans le Xinjiang chinois. Puis, le Pakistan montagneux et tribal, taliban aussi, et un séjour inoubliable en Afghanistan au moment des attentats du 11 septembre 2001. La guerre se prépare et Amandine, tandis que tous les ressortissants étrangers sont évacués, mesure l'horreur de ce qui est sur le point de se passer. Elle anticipe mentalement les ravages que ne manqueront pas de produire les bombardements américains sur ce pays et ce peuple auxquels elle est déjà tellement viscéralement attachée. Elle quitte l'Afghanistan avec des caravanes de réfugiés qui tentent, avec moins de chance qu'elle, de passer au Pakistan afin de sauver leur vie. Dans ses bagages, elle rapporte les yeux éplorés d'une petite fille qui la supplie de la prendre avec elle et qu'elle ne peut emmener. Parce qu'en prendre une, se serait une injustice si cruelle pour tous les autres enfants qui en auraient besoin. Cette rencontre-là marque Amandine au fer rouge et trace un profond sillon dans la route qu'elle est en train de se dessiner. En Inde, elle rencontre des sages. Au Tibet, elle voit la colonisation économique et culturelle chinoise qui muselle et interdit, réglemente et fait taire des moines qui, malgré tout, poursuivent leur sacerdoce et cette foi la touche profondément. Une fois encore, elle s'écarte des sentiers battus et côtoie les nomades. Puis, c'est la Chine. La froideur des gens, l'incompréhension, la modernité et le mutisme la choquent après la chaleur humaine incomparable qu'elle a éprouvée tout au long de son périple. Une fois la frontière russe passée et en dépit du froid intense de la Sibérie, elle se sent déjà en Europe. Il est temps de rentrer, elle le sait. Moscou, Saint Pétersbourg, Berlin et enfin Chandolin comme un retour aux sources. La paix, elle est là. Dans la montagne, face au Cervin, dans le calme infini du dernier refuge de l'aventurière suisse Ella Maillart. La paix, elle est là. En chacun de nous. Faire un long voyage. Revenir. Et trouver au point d'arrivée ce qu'on a mis tant de kilomètres à chercher. 
On peut lire ce livre comme un voyage initiatique. Ou un récit de voyage. Ou un document géographique, culturel, géopolitique, pourquoi pas spirituel. On peut s'arrêter là. Et on peut aussi, si on est curieux (c'est mon cas), aller voir plus loin. Apprendre que maintenant, après maintes péripéties, Amandine enseigne le yoga et la méditation aux humanitaires de la ligne de front et à d'anciens talibans en Afghanistan... Une princesse sur cette terre.
(Amandine Roche a ensuite publié Le vol des colombes en 2005 et La route vers soi en 2009... et on les lira !)

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