mercredi 10 octobre 2018

Professeur Leca, Chirurgien du cœur

Elizabeth Drévillon, Professeur Leca, chirurgien du cœur, 2003.
Drôle de voyage que ceux de ces enfants venus de pays d'Afrique, d'Asie ou d'ailleurs pour se faire réparer le cœur. Drôle d'aventure que celle de ces petits qui quittent leur pays pour plusieurs semaines, plusieurs mois pour affronter les examens, les piqûres et les opérations et rentrer plus vivants qu'avant dans leurs familles. Ce prodige est permis par l'association Mécénat Chirurgie cardiaque - Enfants du Monde, créée en 1996 par le professeur Francine Leca, première femme chirurgienne cardiaque en France. Toute cette incroyable histoire ne serait rien sans elle.
Déterminée, têtue, autoritaire, les qualificatifs ne font pas dans la demi-mesure. Née en 1938, ce n'est que tout récemment que la dame au caractère bien trempé arrête d'opérer, alors qu'elle flirte déjà avec les quatre-vingts ans. Durant toutes ces années, elle a été pionnière dans ses études, pionnière dans la chirurgie et plus encore dans la spécialité cardiaque. Un monde d'hommes. Parfois machistes, d'autres fois au contraire admiratifs, aucun n'est indifférent à l'ascension de Francine Leca dans la discipline. Une progression fulgurante mais qui n'est pas due au hasard. La jeune femme, après s'être fait renvoyer de deux lycées et pour prouver à ses parents, en particulier à son père, qu'elle est digne de confiance, se lance à corps perdu dans les études de médecine. Personne ne doute de sa réussite car, quand Francine veut quelque chose, elle l'obtient. En lisant son parcours, on comprend toute la difficulté de ces études ingrates, longues, l'externat, l'internat, le passage obligé par plusieurs spécialités, des heures de travail harassantes et un salaire ridicule par rapport à cet engagement, tout cela pour n'être dans un premier temps que le sous-fifre de ses supérieurs. Chaque jour, c'est accepter d'être en retrait et saisir au vol chacune des responsabilités que l'on vous demande de prendre. Cela, Francine le fait à merveille. Elle passe son temps à l'hôpital, ne compte pas ses heures, au grand désespoir de son mari qui lui reproche de délaisser la vie de famille. Leur couple en sera victime et le divorce sera houleux. Elle perdra la garde de ses enfants : à l'époque, qu'une femme mette autant d'énergie dans son travail est très mal perçu, le féminisme n'ayant pas encore le pouvoir de changer des conventions sociales arriérées et bien installées. Cependant, à entendre ses enfants, ce n'est pas la rancœur qui domine, mais l'admiration pour une mère certes dure, mais aimante et qui leur a appris une foule de choses, qui leur a permis, à travers son exemple et les valeurs qu'elle leur a transmises, de se tenir droits dans la vie et d'aller au bout de leurs projets. Une sorte d'émulation permanente. Certes, les vacances qu'ils passaient avec elle ne se déroulaient pas sous le signe du farniente. Dans l'hacienda du grand-père en Andalousie, quand les enfants veulent monter à cheval, il leur faut d'abord courir après leur monture et la saisir par l'encolure ! Rien ne leur tombe tout cru dans le bec, tout passe par un travail acharné. C'est la philosophie de Francine. Et apprendre, encore et toujours. Un exemple de cette soif de connaissance et de savoir : à 39 ans, alors qu'elle passe déjà de longues journées en tant que chirurgien, Francine se met en tête de passer un BTS agriculture, simplement parce qu'elle veut devenir spécialiste du sujet afin de créer une plantation d'eucalyptus dans la ferme familiale en Espagne. Elle ne l'obtiendra pas et cela la mettra en rage. Seulement, il ne faut pas appesantir sur les échecs, il n'en valent pas la peine. Avancer, toujours avancer. Aller de l'avant et ne jamais regarder en arrière.

Le temps passe et Francine est toujours aussi passionnée par son travail de "plomberie", comme elle dit. Un travail d'artisan, de précision, que celui de réparer des cœurs, d'autant plus lorsque ceux-ci sont de plus en plus petits. Francine Leca se spécialise dans les enfants et raconte dans son livre certaines des familles qu'elle a pu rencontrer, certains des jeunes qu'elle a opérés, parfois à de multiples reprises. Au bloc, la chirurgienne ne plaisante pas. Il faut que les gens qui l'entourent soient à la hauteur car elle ne supporte pas l'imperfection. Avec les parents, elle est au contraire douce et profondément humaine, bienveillante, présente à chaque instant. Sa porte est toujours ouverte. Un mélange de professionnalisme et d'humanité qui font les êtres exceptionnels. Pas étonnant qu'en plus de son travail à l'hôpital, elle trouve encore le temps et l'énergie de partir en mission à l'étranger. Pour une semaine, deux, un peu plus. C'est là qu'elle touche véritablement du doigt la pauvreté, le dénuement, le besoin criant de soins. On la suit notamment en Syrie où, en partenariat avec l'association Terre des Hommes, elle reçoit des dizaines et des dizaines d'enfants, avec des examens préalables parfois flous ou insuffisants - quand ils ne sont pas absents - et décide de qui il est urgent d'envoyer en France. Parfois, les mamans sont réticentes à laisser leurs enfants s'en aller. D'autres fois, les parents comprennent que c'est la seule chance pour leurs petits de survivre. Sans opération, dans le pays où ils vivent et avec leur condition sociale défavorisée, c'est la mort assurée. Et c'est là que le voyage commence.
Un accompagnateur vient chercher l'enfant dans son pays et prend l'avion avec lui jusqu'à Paris. Ensuite, les familles d'accueil prennent le relais. Une relation inouïe se lie entre ces enfants, malades et déracinés provisoires, et ces familles qui ont tant d'amour à donner, qui se dévouent pour prendre soin d'eux, les accompagner lors des examens à l'hôpital, avant et après l'opération, jusqu'à leur rétablissement et le retour au pays. Francine recommande de ne pas trop gâter les enfants, car leur pays d'accueil déborde de richesse en comparaison avec la région dans laquelle ils vivent. Le contraste peut être étouffant, déroutant, incompréhensible. Mais il est difficile de se retenir pour les familles d'accueil qui tiennent à ce que leurs petits protégés passent cette épreuve dans les meilleures conditions possibles. Les mauvaises langues se demandent bien quelle est l'utilité de soigner les enfants pour les renvoyer dans un pays en guerre, dans lequel il finiront par mourir de faim ou sous les bombes. Francine Leca monte sur ses grands chevaux : justement ! Tous les enfants ont le droit d'avoir des chances égales face à la dureté de la vie ! Et c'est pour cela pour qu'elle les soigne, pour qu'ils ne souffrent pas en plus d'un handicap. Pour qu'ils vivent comme les autres et qu'ils aient la possibilité de prendre le chemin qu'ils ont envie de prendre. Les lettres de reconnaissance affluent, des familles pleines de gratitude, des enfants sauvés, des possibilités offertes par la pleine santé.
Comment alors ne pas suivre aveuglément cette femme ? Comment ne pas lui vouer une admiration sans bornes ? Comment ne pas avoir envie de marcher dans ses pas, à sa propre mesure, chacun sur son chemin mais dans la même direction : développer un savoir à la perfection et offrir ses compétences en se dévouant aux autres ? Un exemple, un modèle, une femme merveilleuse. 

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