Je suis quelque part, ailleurs, loin ou tout près. Mais je ne dirai rien. Même sous la torture, je le jure, je ne dirai rien. Je tairai le lieu, l'heure et la date et je passerai sous silence le nom des gens qui m'entourent. Je ne jetterai pas d'adresse en pâture ni le nom de l'hôtel dans lequel je suis descendue. De recommandations, je ne ferai point. Qu'importe où je mange, où je dors et où je dîne. Quand d'autres posteront des centaines de photos, je me ferai invisible. Quand les raconteurs, bavards voyageurs étaleront aux yeux du monde l'entier récit de leurs péripéties, je me ferai muette. Je me ferai discrète. Trop en dire, c'est divulguer, dévoiler. C'est offrir l'intimité de ses rêves et se donner sans vergogne. Dans un identique mouvement de ressac c'est s'avancer, déborder sur les attentes des autres et leur plaquer sur le fantasme notre propre expérience. C'est enchaîner leur imagination à nos aventures et saper leurs découvertes à grands coups de détails. Le pragmatisme dans le récit est l'ennemi de la rêverie. Alors, que je me trouve tout en haut d'une montagne, près d'un lac, les pieds dans l'eau au bord de l'océan ou au-milieu du tumulte de la ville, je ne dirai rien. Même dans la nature, je le jure, je ne dirai rien. Je tairai le lieu, l'heure et la date et je passerai sous silence le nom des gens qui m'entourent. Je ne localiserai aucun de mes faits et gestes. Qu'importe ce que je vois, ce qui me fait pleurer de joie et ce qui me transporte. Quand d'autres se déshabilleront devant la caméra, je me ferai rocher. Je me ferai pierre du ruisseau, oiseau marin dans le vent ou poussière de sable, pic enneigé stoïque dans son manteau blanc, vache sacrée ou démon. Je suis quelque part, ailleurs, loin ou tout près. Et je n'ai pas envie de dire où je suis. Je suis bien, et ça me suffit.
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