mardi 1 novembre 2016

La parole est aux expats ! Sabrina : Paris – Mayotte – Paris

1. Pourquoi ce départ : marre de Paris ?

Tout d'abord, pas marre de Paris, au contraire. Paris est magique...Mayotte, c'est un projet qui était dans ma tête depuis 2009. Lorsque j'étais stagiaire à Verdun, dans la Meuse, une collègue m'avait parlé de son projet de partir là-bas. C'est resté dans un coin de ma tête. Ce sont plus des changements dans ma vie perso qui m'ont poussée à demander ma mutation, comme si ce changement radical me permettait de fermer une page de ma vie de manière définitive. C'était comme si j'avais besoin de me prouver quelque chose.


2. Mayotte, enfer ou paradis ?

On a souvent une vision manichéenne des choses : d'un côté l'enfer, de l'autre le paradis. Et bien Mayotte, c'est le paradis qui côtoie l'enfer sur chaque cm2 de l'île. C'est impressionnant. Je pense que les Mahorais ont la chance d'avoir le plus beau lagon de l'océan indien qui regorge d'espèces incroyables. Un spectacle dont on ne se lasse jamais. À la surface, des kwassas (bateaux de fortune) remplis de gens fuyant la misère des îles voisines, pensant que Mayotte sera la solution à tous leurs problèmes. Une intime proximité entre les villas et les bangas (cases en tôle), les déchets sur la voie publique et l'océan bleu turquoise, l'extrême violence et les rires des enfants...C’est déconcertant.


3. S’expatrier, c’est mélanger ses racines ? S’en fabriquer d’autres ?

À mon sens, s'expatrier c'est oublier ses racines… On pense qu'on a des bases solides, des principes, des valeurs, une façon de voir les choses sans changement de point de vue possible. Et bien en vivant dans une société très différente, tout est bouleversé. Pourquoi notre façon de penser ou vivre serait mieux que celle des autres ? Il n’y a pas une société mieux qu'une autre… Un exemple qui était très flagrant à Mayotte : la république aime rappeler son attachement à la laïcité. Dans de nombreuses histoires, le représentant religieux est invité à aider les garants de la loi afin de faire une prière pour "conjurer le sort". Les façons de voir les choses étaient tellement différentes que finalement les seules choses que tu peux partager sont universelles : un sourire, un service, un repas, du respect, de l'amour...

Se fabriquer d'autres racines, cela dépend de ce que tu as bien voulu créer avec les gens. Pour certains, l'expatriation c'est vivre entre expats. C’est dans ces moments que tu comprends que l'être humain a peur de la différence, est rempli de préjugés. Si les gens sont gentils, c'est intéressé. Surtout lorsque tu vis dans une société qui est en majorité pauvre. Tu apprends beaucoup sur toi, sur les autres. Quand les gens donnent ils veulent qu'on leur donne en retour l'équivalent voir plus. Sinon c’est que les gens sont des profiteurs. Et pourquoi ne pas accepter de prendre en charge quelqu'un en échange de quelque chose de symbolique ? C’est ça aussi le partage.
Je pense que j’ai créé des liens, j’ai laissé un peu de moi là-bas… Je pense que j'ai ouvert une porte qui ne se refermera jamais, que j'y retourne ou pas.




4. Pas trop dur, le retour ?
Dur le retour !!! On ne va pas se mentir !!! Je me sens forcément en décalage avec le conformisme d'ici. On est trop dans le "ça se fait pas". À Mayotte tu peux t'habiller n'importe comment, tout le monde s'en fout. Tu peux demander à un jeune dans la rue de t'aider à porter tes cabas, tu peux prendre quelqu'un en stop sans que ça vire à la paranoïa. Tu peux voir débarquer un élève sur ta terrasse avec un sachet de tomates qu'un adulte lui aura demandé de te monter. La base de la société mahoraise, c’est la confiance. Ils ont d'ailleurs un système de cotisation en groupe qui leur permet d'épargner, basé uniquement sur la parole. En fait même si tout n'est pas à prendre et si tu n'es pas mal intentionné (attention aux dérives) tu te sens plus libre tout simplement.


5. Sédentaire à jamais ou de nouveau sur le départ ?

Sédentaire à jamais, ça me semble compliqué. À peine mes valises posées, j'étais sur le point de demander un poste à Beyrouth ! Après je ne sais pas ce que me réserve l'avenir. Je me laisse porter par le cours de la vie. Pourquoi pas un de ces jours, encore à Mayotte ? En tout cas le monde est vaste, il est beau et toutes les rencontres que j'ai pu faire m'ont forcément rendue plus riche. Je suis contente d'avoir la chance d'avoir pu vivre cette expérience. À suivre...


Sabrina et ses élèves de 3ème qui, malgré les violentes luttes inter-villages, donnent ici un beau message de fraternité

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