lundi 19 octobre 2015

Soeurs volées


Emmanuelle Walter, Soeurs volées, 2014.
Afficher l'image d'origineAprès Les évaporés du Japon et Rouge ou mort, encore un des livres passionnants que je suis allée glaner dans les colonnes du Monde Diplomatique (au temps où je prenais encore le temps de le lire...hum hum...). Il s'agit d'une enquête à la fois sociologique et anthropologique d'Emmanuelle Walter qui nous renvoie en pleine figure notre naïve erreur : celle de considérer le Canada et le Québec comme des terres de cocagne, où il fait bon vivre, où on ne ferme pas la porte de sa maison à clé parce qu'il n'y a pas de voleurs et où les paysages grandioses n'ont d'égal que le pacifisme de leurs habitants. Nous parlons en réalité d'un pays qui parque ses indigènes dans des réserves et qui ignore le sort des autochtones, se voilant la face d'une indifférence assumée. Or, la situation des femmes en particulier est alarmante, catastrophique. C'est sous l'angle de la disparition de deux adolescentes, Maisy et Shannon, que l'auteur tire la sonnette d'alarme sur le nombre insensé de filles et de femmes qui disparaissent à jamais où que l'on retrouve assassinées sur le bord d'une route. Toutes autochtones. Toutes ou presque vivant dans des réserves. Du coup, Emmanuelle Walter est amenée à fouiller dans les vies de ces adolescentes disparues, et, par extension, dans le passé des peuples premiers d'Amérique du Nord. Enfants retirés à leurs familles et enfermés dans des pensionnats, où ils sont maltraités, affamés, violés. Confiscation de terres, mépris, racisme, discrimination, apartheid et la création des trop célèbres réserves. Les conséquences ne sont que des traumatismes inhérents à ce passé : solitude, isolement, chômage, pessimisme, fatalisme, alcool, drogue, violence, déscolarisation. Les femmes sont évidemment la population la plus touchée, assaillies par la violence des hommes, la plupart du temps faisant partie de leur entourage, qui, imbibés d'alcool, de rancœur et de frustration, assouvissent leur vengeance en tuant. La faute, aussi, à l'image de la squaw dépravée créée de toutes pièces par les colonisateurs, par les blancs que cela arrangeait bien pour légitimer le trafic de femmes autochtones, transformées en prostituées, dont ils étaient les instigateurs. En suivant l'auteur dans ce Canada méconnu, on découvre une histoire affligeante et insoupçonnée. Une enquête claire et objective, non dénuée de la sensibilité dont on ne peut s'empêcher de faire preuve face à des cas si touchants, face à l'injustice de tels faits, face à l'immobilisme, voire au désintérêt affiché de la police. Où sont-elles. C'est par cette question obsédante que se termine l'ouvrage. Une question qui prend racine en nous et tourne en boucle dans nos têtes après la lecture. Qu'on le veuille ou non, maintenant, nous sommes concernés. 

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