mardi 31 mars 2015

Benigno, dernier compagnon du Che

Dariel Alarcon Ramirez, Christophe Dimitri Réveille, Ruben Tamayo, Benigno, dernier compagnon du Che, 2006.
Gros pavé présent dans ma bibliothèque depuis plusieurs mois, merci le petit virus qui m'a obligée à rester à la maison et m'a permis de terminer sa lecture, je peux maintenant vous parler du livre rouge qui trônait dans mes étagères, fermé depuis trop longtemps. Toujours réticente en abordant un témoignage fait à partir d'entretiens -la traduction va-t-elle être bonne ? la forme ne va-t-elle pas massacrer le fond ? la construction sera-t-elle cohérente ?-, j'ai entamé, selon ma mauvaise habitude, la lecture avec appréhension. Tout n'est pas parfait en terme de langue, mais nous passerons. Le fond, lui, est passionnant. 
Nous découvrons page après page ce qu'a été la vie de l'un des derniers compagnons du Che, de ceux qui sont ressortis vivants de la souricière bolivienne et ont miraculeusement échappé à une mort pourtant plus que certaine. Mais Benigno, ce n'est pas qu'un guérillero. C'est avant tout un paysan. C'est surtout un enfant qui a grandi trop vite, mûri trop tôt par des circonstances dramatiques : pauvreté, violences, abandons, morts... Le cocktail parfait pour faire d'un jeune homme piétiné par la vie une machine à tuer. D'ailleurs, il l'avoue lui-même : ses débuts aux côtés de Camilo Cienfuegos dans la Sierra Maestra ne sont pas dûs à un élan révolutionnaire passionné mais à une immense envie de vengeance, nourrie par le désir de tuer les assassins de sa première compagne. Car à l'époque, Cuba est tiraillée entre les barbudos de Castro et l'armée de Batista qui cherche à les éliminer. Dans les campagnes, les paysans se retrouvent entre les deux camps et paient un lourd tribut, tour à tour suspectés d'appartenir à un camp ou à l'autre. Benigno, analphabète mais connaissant parfaitement le terrain, s'enrôle donc dans la lutte armée de cette bande d'utopistes qui arrivent au pouvoir à La Havane en 1959. Là, aux côtés de Cienfuegos, de Castro, du Che, il explique apprendre beaucoup, se cultiver, réfléchir et grandir moralement. 
Ensuite, il fait partie des combats menés en Afrique, puis en Bolivie. On découvre alors un autre visage, celui d'un homme censé, posé, bien loin de ses idées vengeresses du début. Pourtant, s'il est dévoué corps et âme au Che, il lui manque encore un certain nombre d'éléments dans l'appréhension de la réalité de cette guerre perdue d'avance. C'est pourquoi, avec le recul des années et l'analyse qu'il a pu faire des événements passés, Benigno nous offre dans ce livre un témoignage passionnant : celui d'un homme qui, loin d'avoir renoncé à ses idéaux, les réaffirme au contraire et se place dans une position extrêmement critique vis à vis d'un régime, celui de Castro, qui n'a rien à envier à la dictature de Batista, le tyran qu'il se disait combattre à la fin des années 50. On apprend ainsi tous les rouages du pouvoir, des révélations inédites sur les alliances contre nature et on découvre plus que jamais le visage d'un homme, Castro, qui développe dès le début des années 60 un régime policier et totalitariste dont il se veut le seul maître. Edifiant. 
Quant à Ariel Alarcon Ramirez, alias "Benigno",  son personnage reste gravé dans la mémoire du lecteur. On admire sa bravoure, son courage, son abnégation mais aussi sa capacité à remettre en question des choses auxquelles pourtant on lui avait fait croire dur comme fer. Le portrait d'un homme sans concessions, d'un homme entier, fidèle à lui-même et à ses idées, quel que soit le prix à payer pour la vérité. 
Associé à témoignage est née une bande dessinée qui retrace la vie de Benigno et dont Dimitri Réveille a écrit le scénario. Il faut avoir les deux en mains, car le deuxième ouvrage est forcément parcellaire. Mais l'essentiel y est dit et les dessins sont sobres, réalistes. On y voit beaucoup de visages, les regards tour à tour apeurés ou déterminés des hommes du Che. Un complément intéressant au premier ouvrage. 
Christophe Réveille, Simon Géliot, Benigno, Mémoires d'un guerillero du Che, 2013.
Et quelque chose nous dit que l'aventure n'est pas terminée...

1 commentaire:

Esteban a dit…

Salut emi,

Si tu autorises cette petite intrusion voici pour les "hispanoparlants" une lettre qui fut adressée au "Coronel Benigno" en réponse à son article publié le 10 octobre 1997 dans le quotidien au titre "El CHE es un objeto mercantil de Fidel".

Cette lettre nous apprend un peu plus sur la nature de Dariel Alarcón qui réitère avec ce livre. Je pense que les signataires sont également dignes d'êtres lus et peut-être crus. À lire sans attendre un nouveau virus :)

Source : http://www.nodo50.org/che/carta-respuesta.htm

Un fuerte abrazo
Esteban