jeudi 15 mai 2014

Athènes dans la rue

Les murs d'une ville en disent parfois plus long que ses monuments. Ou plutôt, c'est de la confrontation entre les deux, entre le passé et l'actualité qui se télescopent, que surgit la vérité d'une cité. Les murs n'ont pas que des oreilles, ils ont aussi des bouches. Ils parlent, crient, revendiquent. Ils racontent en images le ressenti de la population. Au même titre que les sculptures et les peintures constituaient la bande dessinée religieuse des églises baroques, les murs athéniens permettent de suivre graphiquement les soubresauts des derniers mouvements sociaux. On a tort de dénigrer l'art de rue. Les graffiti ne sont pas que des dégradations. C'est aussi une alternative à la presse, souvent manipulée, contrôlée ou orientée, un mode d'expression parallèle et donc plus libre. Voir à ce sujet la page sur l'excellentissime reportage d'Arte : la révolution égyptienne vue à travers l'art de la rue :
http://www.arte.tv/guide/fr/047541-000/art-war

Athènes ne déroge pas à la règle, en cette période de tension sociale et économique extrême. Quelques jours avant mon départ, une voiture piégée explosait devant la Banque. Je ne m'attendais pas à autre chose qu'à trouver une ville à cran. Impossible pour moi de me borner à des visites touristiques "classiques", certes passionnantes, mais tournées vers le passé. Il fallait bien que j'aille un peu humer l'air vicié que les Grecs respirent au quotidien, privés d'oxygène qu'ils sont par un état qui sacrifie leurs salaires et leurs emplois au remboursement de la dette. 
Les tags que l'on découvre au fil des rues, loin de Plaka et des appareils photos japonais, portent des messages exaspérés, virant au révolutionnaire, agressifs, voire carrément extrémistes. Ce n'est pas anodin que le ras le bol d'une population aux abois finisse par engendrer des croix gammées. Les jeunes notamment, entraînés vers des mouvements ultra violents et racistes, se tournent dangereusement vers les extrêmes. Il n'est pas besoin de s'éloigner beaucoup des sentiers balisés pour sentir que la tension est palpable. La police devient elle aussi de plus en plus nerveuse envers les immigrés et des mouvements étudiants protestent contre des arrestations arbitraires et des violences gratuites de la part des forces de l'ordre. 



Les Grecs ne sont évidemment pas tous pris dans cette spirale idéologique infernale. Mais la plupart sont loin d'être résignés. La rage bout en eux. Et pour cause : un nombre incalculable de chômeurs, des fonctionnaires licenciés en masse, des salaires divisés par deux, lorsqu'ils sont versés. Pour ne prendre que l'exemple des profs, ceux qui avaient un emploi dans l'Education Nationale il y a encore 3 ans gagnaient environ 1200 euros. Aujourd'hui, en 2014, un prof à temps complet ne gagne plus que 700 euros. Quant à ceux qui sont employés pour quelques semaines ou quelques heures de travail dans l'année, il ne sont payés que bien des mois après avoir effectué leur vacation. C'est pourquoi la plupart des Grecs qui ont la chance de travailler cumulent  la plupart du temps deux jobs pour s'en sortir financièrement. Pas question de penser au vacances. C'est de l'ordre de la science fiction. 
Le hic, c'est que le coût de la vie, lui, ne baisse pas. Il aurait même plutôt tendance à augmenter. Les loyers à Athènes, même s'ils ne sont pas aussi chers qu'à Paris, culminent à des prix qu'un salarié ne peut plus se permettre de donner à l'heure actuelle. La facture s'alourdit considérablement si l'on considère les tarifs exagérés de l'électricité. Les prix dans les supermarchés sont plus élevés qu'en France. Sans parler du carburant, qui devient un véritable produit de luxe. Les jeunes diplômés terminent leurs études avec la peur au ventre, quasi condamnés à passer directement du statut d'étudiant à celui de demandeur d'emploi. Impossible de se délocaliser vers la province : le peu d'emplois qui demeurent se trouvent dans la capitale, les autres villes, comme par exemple Thessalonique, souffrant d'un taux de chômage encore plus hallucinant. Marché de l'emploi anémié, prix qui flambent, surenchère immobilière, les jeunes Grecs n'ont pas d'autre solution que de rester vivre chez leurs parents, de manière à cumuler plusieurs revenus. 
Pourtant, au milieu de ce marasme économique, les banques, dont les bâtiments ressemblent souvent à des palais mégalos de dictateurs tropicaux, sont toujours debout. Les temples déchus de la finance semblent avoir encore de la réserve. A moins que le peuple ne finisse par toutes les dynamiter.  

1 commentaire:

Julian Sloane a dit…

Un article super intéressant qui va au delà des sentiers battus. Chapeau pour ton analyse. Quant aux profs grecs, j'ai eu une autre version l'an dernier par une prof grecque justement: elle m'a dit gagner 1400 euros puis est tombée à 900. Cela voudrait dire que ça a encore diminué. J'espère qu'ils s'en sortiront le plus vite possible en tout cas.