Isabelle Autissier, L'amant de Patagonie, 2012.
Epoustoufflant. C'est le qualificatif qui correspond le mieux au superbe roman d'Isabelle Autissier. Dans un reportage récent, elle rapportait les commentaires acerbes de certains critiques et auteurs qui se demandait bien ce qu'elle, la navigatrice, "faisait là", dans le milieu littéraire, et "pourquoi elle se mettait donc à écrire". La réponse est évidemment dans ce livre - et sans doute dans les précédents que je n'ai pas encore lus - : la dame écrit parce qu'elle a un talent fou, parce que c'est un vrai écrivain, parce que son roman commence quand on s'attendrait à ce qu'il finisse.
L'amant de Patagonie ressemble à ces récits de la colonisation de l'Amérique du Nord par les quakers, hommes et femmes pétris de religion venus débroussailler les terres et s'approprier les âmes des indigènes. La seule différence étant que nous nous situons géographiquement à l'opposé, dans ces terres du bout du monde battues par les vents et parsemées de glacier aux craquements lugubres, dont on devine qu'elles ont exercé une fascination intense sur la navigatrice. C'est dans cette Patagonie de la fin du XIX ème siècle que débarque une jeune femme écossaise, pour travailler comme gouvernante dans la famille d'un pasteur. Dans un premier temps, les indigènes lui font peur, lui apparaissent comme d'horribles sauvages pouilleux. Mais, très vite, elle se familiarise avec leur communauté, jusqu'à tomber amoureuse de l'un d'entre eux. C'est à ce moment que l'on se dit que, si l'histoire s'arrête-là, ce n'était vraiment pas la peine d'écrire un tel roman. Il reste plus de la moitié du livre. Si "ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants" est le seul thème des nombreux chapitres restants, cela risque d'être fort ennuyeux. C'est sans compter sur l'histoire des Yamanas, Onas et autres Alakalufs, peuples martyrisés par les colons, et sur celle de la Patagonie, non moins tourmentée. Le roman d'Isabelle Autissier est à la fois un hymne à ces terres hostiles, une déclaration d'amour à ce bout du monde, une approche de la rencontre manquée, de l'affrontement entre deux cultures totalement opposées et une magnifique ode au monde indigène. Un véritable travail de mémoire pour la réhabilitation de ces peuples indigènes massacrés et souvent oubliés, parce que la plupart du temps encore considérés comme de terribles anthropophages.
Alors, jusqu'à la dernière page, on reste suspendu, le souffle coupé par cette écriture limpide, poétique et réaliste à la fois. Un roman qui, bien qu'il soit écrit par une française, mériterait d'être classé parmi les oeuvres majeures du "réalisme magique", latino-américain.
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