lundi 2 avril 2012

Miroirs

"Décompresse un peu, prends la vie du bon côté! Regarde, moi, par exemple, je me lève le matin et, direct, je me dis que ça va être une bonne journée. Toi, dès le matin, tu râles déjà. Et c'est les embouteillages, c'est le froid, c'est que t'es fatiguée, que t'es pas motivée. T'as toujours un pet de travers, jamais contente. Ben pète un coup, justement, décoince, souris, quoi. Allez! Regarde, moi, les petites emmerdes du quotidien, je me dis toujours que c'est rien, je m'en fais pas une montagne, tout s'arrange. Tu te crées des tonnes de problèmes pour des broutilles. Avec toi, c'est la montagne qui accouche d'une souris, j'te jure! Arrête un peu, regarde autour de toi, la vie est belle! T'as un boulot, des enfants, des amis, des passions, de quoi tu te plains? T'es super intelligente, drôle, belle, t'as tout pour toi, profites-en. Tu te rends pas compte de la chance que t'as. Regarde, moi, par exemple, j'ai plein de défauts, mais quand je me regarde dans la glace, je me dis que je suis pas si mal que ça. D'accord, je sais bien que je suis pas un top model, mais bon, je m'en contente, ça me suffit. Parce que si tu commences à te dévaloriser, laisse-tomber, compte surtout pas sur les autres pour te faire des compliments. Et puis, la perfection, oublie-là, tu l'auras jamais! ça n'existe que dans tes rêves! Regarde, moi, en amour, par exemple, je prends ce qui vient, j'attends pas le prince charmant. Je profite des bons moments, je me dis que c'est toujours ça de pris, je prends le positif, j'en demande pas plus. Je vis, quoi, je me pose pas de questions, j'ai pas que ça à faire..."
"En fait, le matin, quand je me lève, j'ai peur. Je te vois râler, c'est ta manière de fonctionner. Moi, j'ai le vertige, c'est pas de l'inquiétude ou des petites emmerdes, c'est carrément des questions existentielles que je me pose. Toi, t'es fatiguée; moi, je suis au bord du gouffre. Tu sais ce que ça fait d'avoir peur de se pencher en avant, de regarder sa vie tout en bas de la falaise et de ne voir que le vide? Evidemment, toi, tu peux pas savoir. T'as du succès, des amours, des enfants, des amis, des passions. Moi, tout ça, je le regarde passer comme une vache devant les voies de chemin de fer: le train, il s'arrête jamais dans mes gares. Ou alors si, des trains fantômes. J'ai la trouille. T'as tellement de choses pour toi et t'as encore des doutes, c'est presque de la provocation. Et en plus t'as la gentillesse incarnée, tu t'occupes de tout le monde, c'est jamais faux. Mais moi, comment tu veux que j'ai un mot gentil pour chacun quand je me supporte pas moi-même. Le reflet dans la glace, tu parles. Parfois, la personne en face de moi, j'ai l'impression de même pas la connaître. C'est moi? Je sais même pas qui je suis! En amour, n'en parlons même pas. J'ai peur..."

"Tu crois que j'ai tout pour moi mais tu te trompes. Tout ce que je cache, mes souffrances, mes cicatrices, tu les vois pas. Toi, tu vois que l'extérieur. Tu t'es jamais posé la question? Tu t'es jamais demandée si c'était pas juste une apparence, un masque? T'as jamais pris la peine d'aller voir derrière. Ben oui, je souffre, autant que les autres, autant que toi, peut-être même plus. Enfin, bref, on fait pas un concours. Me plaindre, c'est ma manière à moi de me planquer, c'est l'arbre qui cache la forêt. Parce que, j'te jure, si je te disais tout dès le matin, tu pleurerais comme une gosse. Belle? Intelligente? Passionnée? ça m'empêche pas de douter, figure-toi, c'est sûrement pas ça qui fait de moi une personne plus heureuse que les autres. Passionnée, c'est ça le problème, justement. C'est les montagnes russes, tu vois. Monter très haut, très vite, et retomber très bas. Et ben, la chute, tu sais, ça fait mal. Je préfèrerais être comme toi, que tout soit ok, que tout soit plat, le calme, les plaines du nord, pas l'Himalaya. Au moins, toi, tu te casses pas la gueule sans arrêt. Tu rêves pas, tu vis. La passion, ça use. Tu vas encore dire que c'est de la provocation, que je fais encore ma petite fille malheureuse alors qu'elle a tout, que je me plains la bouche pleine. Mais, tout ce que j'ai, tu crois pas que je l'ai mérité? J'ai pas assez morflé comme ça tu crois? Evidemment que je doute, évidemment que j'ai sans arrêt l'angoisse que le vent tourne. Après toutes ces tempêtes, c'est logique, non? L'amour? C'est pas ce que tu crois..."

Et le lendemain, chacun reprend son masque. La pseudo dépressive qui se protège, la peudo enjouée qui se planque, la pseudo séductrice qui doute. Parce que ces phrases ne se sont jamais dites et ne se diront jamais, parce que chacune a trop peur de voir son reflet dévoilé dans l'âme de l'autre. Parce que ces âmes se mélangent dans la même personne, tour à tour, comme un tourbillon qui ne s'arrête jamais de tourner, des vents venus des quatre directions qui charrient tristesses, passions, douleurs, joies, doutes, espoirs. Sans jamais s'arrêter. Les tripes dans une tempête. Le gros grain qui fait la vie, qui laisse des traces sur le corps, qui dessine des ombres, des failles et des étoiles sur le visage.

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