samedi 3 décembre 2011

Le coeur cousu

Carole Martinez, Le coeur cousu, 2010.
Encore un livre qui n'est pas tombé entre mes mains par hasard, conseillé par quelqu'un qui me connaît très bien et qui savait ce que j'allais en retirer. La critique avait déjà été unanime pour ce premier roman, je ne vais faire que l'encenser à nouveau, aucun remarque négative, que du bon.
Nous sommes au nord de l'Afrique, quelque part entre la Méditerranée et le Sahara, dans un faubourg de sable rouge. Soledad écrit, raconte son histoire, ou plutôt celle de sa mère, Frasquita, couturière hors normes qui reprise autant les vêtements que les âmes, sublime les gens avec ses aiguilles, don, magique. Ce don, elle l'a reçu à l'ouverture d'une petite boîte qui se transmet de la mère à la fille de génération en génération. Au terme d'une période d'initiation aux croyances de la lignée, croyances qui peuvent tout aussi bien être universelles, la jeune fille reçoit alors la boîte, en même temps qu'on lui enseigne les prières qui permettent de dialoguer avec les esprits, avec les morts. C'est dans cette boîte que se cache et murit le don de chacune des femmes de la lignée. A son tour, Frasquita y découvre des aiguilles et des fils de couleurs et commence à changer le monde autour d'elle, à recoudre les coeurs, les êtres, à tisser des liens indestructibles, parfois inquiétants et qui la dépassent. Mais dans son village perdu au sud de l'Espagne, elle se retrouve mariée à un homme un peu fou, obsédé par les combats de coqs et qui finit, au terme d'une surenchère de paris, par jouer sa propre femme, et par la perdre. Commence alors pour Frasquita et ses nombreux enfants, tous plus étranges les uns que les autres, une marche vers le sud à travers une Espagne ravagée par la pauvreté et les révoltes paysannes, débuts de l'anarchisme. Cette longue pérégrination la mènera jusqu'au Maghreb, fin du voyage, où les choses deviendront de plus en plus tragiques pour elle et ses filles.
Le style est extrêmement dense, très riche. Aucun mot n'est posé là au hasard, cela se sent. On sent aussi derrière ce roman toute une tradition orale perpétuée par des lignées de femmes conteuses. On pourrait dire qu'il s'agit d'un roman d'initiation, d'une oeuvre de femmes. Mais il y a autre chose. Une manière de conter, de faire s'enchainer des événements, de rapprocher des faits incroyables entre eux, de faire opérer la magie sans jamais que les ficelles n'apparaissent, en faisant que tout semble normal et acceptable aux yeux du lecteur. En lisant Le coeur cousu, on se trouve entre, d'un côté,  la vision tragique du monde de Lorca dans La casa de Bernarda Alba; et d'un autre côté les meilleurs romans du réalisme magique latino américain, Garcia Marquez en tête, Alejo Carpentier ou encore Horacio Quiroga, où les esprits et la mort côtoient le quotidien et le merveilleux, créant une alchimie, un tissage appliqué, un chef d'oeuvre du genre.

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