mercredi 16 septembre 2009

Imposteurs

Il y a quelques années, j'avais travaillé sur la Bolivie avec mes élèves, en partenariat avec ma collègue de musique qui les avait sensibilisés aux instruments et aux rythmes andins, de manière très professionnelle d'ailleurs puisque, ne connaissant pas parfaitement cette culture, elle avait, tout en suivant son instinct, essayé d'en apprendre le plus possible sur la musique bolivienne pour produire avec les élèves quelque chose d'authentique. A la fin de l'année, pour conclure ce travail très enrichissant, j'avais fait venir un groupe de musiciens professionnels boliviens qui avaient interprété une palette de morceaux traditionnels et folkloriques, et fait participer les élèves sur les thèmes et les chansons qu'ils avaient appris. Un projet complet donc, et mettant les jeunes en contact avec de vrais artistes ayant pour seul but la diffusion de leur musique et de leur culture dans toute sa diversité.
Et pendant qu'aujourd'hui les musiciens boliviens qui défendent leur patrimoine culturel en refusant de se prostituer artistiquement en se consacrant à d'autres musiques luttent pour conserver leur travail, d'autres surfent sur la vague de l'imposture et de l'argent facile...
Je vous dit cela parce que je viens de recevoir dans mon casier au collège une brochure d'une dizaine de pages ventant les talents d'un homme -dont je tairai le nom, mais malheureusement il ne doit pas être le seul...- intervenant dans les établissements scolaires avec une animation sur la musique latino-américaine. Je suis bouche bée: ce pseudo musicien est ouvertement recommandé par les inspecteurs d'académie! Depuis quand place-t-on ses amis de cette manière peu délicate?! Ou bien y a-t-il de la promotion canapé dans l'air... Je m'énerve. D'après le long CV de notre homme orchestre, il aurait participé à de nombreux concerts avec un grand nombre d'artistes... Pour avoir mené l'enquête, peu doivent se souvenir l'avoir croisé un jour... en tout cas sûrement pas Bolivia Manta ou Luzmila Carpio comme il l'affirme!
"Qui ça?... Jamais vu."
Je m'insurge. Suite du CV: ce guignol là a également été animateur sur des croisières! Ca en dit long sur sa vision de la musique latino-américaine! J'ironise (et tout cela en direct de la salle des professeurs où je pense que je l'ai publiquement habillé pour plusieurs rudes hivers). Je vais donc vérifier ma première impression sur son site internet (que je ne donnerai pas dans le simple but de ne surtout pas lui faire de publicité). "La cucaracha", "la bamba", "clandestino" (Manu Chao aurait donc remplacé Carlos Gardel?), "El condor pasa"... Je ne comprends alors pas vraiment pourquoi il s'intitule "auteur interprète"?... Et interprète, c'est un grand mot! J'écoute un extrait que je connais pas coeur, "La mariposa", une morenada bolivienne bien connue. Comment vous dire? Une sorte de bourrée auvergnate ponctuée de cris façon Speedy Gonzalez. Les voix? Une mauvaise copie mal accordée -disons très fausse- de Illapu. La rage monte. Le comble? Le mariachi du dimanche permet de télécharger gratuitement ses disques -des torchons auditifs, soit dit en passant-. De la prostitution! La cerise sur le gâteau!
Je saute sur mon téléphone et appelle le meilleur flûtiste de Bolivie (ça le fait hein?!).
"Tu te rends compte? Ce mec est un imposteur! Recommandé par les inspecteurs! Il vous pique votre boulot! C'est n'importe quoi! Il salit la musique bolivienne! C'est même pas un musicien! Moi aussi je peux le faire alors! Je prends mes sikus et je joue la "colegiala" aux élèves!
- Mais des mecs comme ça il y en a plein... ça doit être un chilien...
- Imagine! Il prend 7 euros par élève pour diffuser sa bouillie!
- Ah quand même! C'est vrai, nous aussi on gagnait bien quand on travaillait avec les écoles. On avait fait du bon boulot.
- Ah voilà! C'est fou ce qu'on peut faire pour le fric! ça me dégoûte!
- Laisse tomber!
- Je vais écrire un article sur lui, je vais le démolir ce clown!
- Fais attention quand même."
Bon, la morale a parlé, je n'ai pas mentionné son nom, mais des comme lui, ça court les rues, des imposteurs de la musique, des profiteurs du système, des magouilleurs professionnels. Je vous jure, si je le croise dans la rue, je lui crache au visage, non sans m'être auparavant gaussée de sa technique innégalable à la zampoña et lui avoir envoyé dans la face les insultes des vrais artistes latino-américains bosseurs et authentiques.
Je donne le nom par mail à ceux qui veulent le pourrir, cet imbécile qui est à la musique ce que le hip hop est à Mozart.

3 commentaires:

aldeaselva a dit…

J'ai eu aussi à faire en un temps à un individu incertain qui ressemblait à ta description. Il surfait sur l'ignorance des cultures andines et surtout sur l'égocentrisme de ces intellectuels bêtifiants en se qualifiant de "musicien sans frontière". Il prétendait posséder un instrumentarium de musiques du monde digne d'un musée et composé de nanards de dernière catégorie qui n'avaient jamais vu l'ombre des mains d'un musicien. Cela lui permettait de changer de continent dans une discussion dès qu'il sentait son interlocuteur mieux informé que lui.Il hantait les couloirs des établissements scolaires et associatifs de jeunes enfants avec une réputation malheureuse qui lui a valut une mise à l'écart qui convenait à son esprit pervers et manipulateur. Le désatre musical qu'il véhiculait suffisait à se faire une idée de son trouble psychiatrique.

Lilichocolat a dit…

Mais pourquoi diable tant de haine ? Ce pour quoi il faut se battre, à mon avis, c'est pour la culture, contre des idées et pas contre des personnes.
La meilleure façon de rendre justice à un art n'est pas de cracher sur les mauvaises copies, mais de promouvoir les originaux, en rappelant à chaque occasion leur valeur et leur caractère sacré, universel et durable.
La colère est toujours, toujours mauvaise conseillère. Et si tu reproposais un partenariat à ta collègue de musique? Et si tu envoyais tes élèves au CDI, enquêter sur le sujet?

aldeaselva a dit…

Je reviens pour confirmer ce que dit Emi: ce type est un imposteur.
Qu'il se permette des variations sur des thèmes mélodiques du folklore andin, c'est acceptable dans la mesure ou elle respecte les spécificités tonales et modales du morceau, libre reste l'interprétation. Mais qu'il change radicalement les rythmes en gommant des temps ou en déplacant des syncopes qui font la caractéristique de cette musique qui, rappelons-le n'est pas d'obédiance occidentale stricte, pour la transformer en un musique de variété occidentale relève de l'usurpation culturelle dans la mesure où il en est fait commerce (sinon celà en resterait au niveau du burlesque). Le plus grave est l'assentiment qu'il reçoit des autorités pour non seulement gaver les enfants d'idées fausses mais aussi leur fournir des automatismes pour s'approprier quelquechose qui ne leur appartient pas en l'accomodant à leur sauce. Et ceci de manière incidieuse car ils n'ont aucun point de comparaison étant donné que ce n'est pas ce qu'ils pratiquent culturellement.Si les occidentaux sont parfois pitoyables en interprétant de la musique des Andes, ils ont l'excuse de l'amateurisme, beaucoup passons ou sommes passés par là. Quand ils se proclament professionnels, ils deviennent des usurpateurs nuisibles. Mais quand ils prétendent détenir une vérité potentiellement enseignable,ils deviennent alors dangereux.