mardi 26 août 2008

Les ministres du Diable

Pascale Absi, Les ministres du Diable, Le travail et ses représentations dans les mines de Potosi, Bolivie, L'Harmattan, 2003.
Dans cet ouvrage qui est en fait la reprise de son travail de thèse, Pascale Absi se propose de "partir du religieux pour aborder les différens paramètres de l'expérience minière", en d'autres termes de se baser sur "l'étude des rituels miniers et de leur relation avec l'organisation sociale de la production". Son étude a pour cadre les mines du Cerro Rico de Potosi et essentiellement les coopératives, laissant de côté le contexte des mines de la COMIBOL, l'entreprise d'Etat démantelée depuis les années 80 et en 2003 pas encore réactivée puisque ce n'est qu'avec l'arrivée au pouvoir de Evo Morales il y a deux ans que le processus a été entamé.
Pascale Absi propose deux premières parties du plus grand intérêt puisqu'elle y parle des "hommes de la mine"( l'histoire des coopératives; l'origine paysannes des mineurs qui y sont employés et leurs relations avec les communautés; la place à part, en marge, du mineur dans la société et les clichés et préjugés qui sont associés à sa profession et à son statut), puis des "divinités de la mine". Elle évoque dans cette deuxième partie toutes les croyances et tous les rituels en rapport avec la montagne-Pachamama, le Tio et autres êtres maléfiques présents dans la mine -les saqras- ainsi que le syncrétisme de ces croyances avec la religion catholique.
Dans la troisième partie, Pascale Absi étudie l'évolution des rituels et des cultes miniers: prolifération des pactes individuels avec le Diable qui visent à l'obtention d'une richesse personnelle et immédiate; folklorisation de la figure du mineur lors des fêtes, notamment celle de Ch'utillos, qui équivaut à une tentative d'évacuation de son identité de mineur.
Enfin dans la quatrième et dernière partie, l'auteur se propose de référencer les différentes maladies existentes chez les mineurs et dues la plupart du temps à la création d'un déséquilibre entre le travailleur et les forces cosmiques, et ce à cause d'une relation déviante avec les entités diaboliques qu'il fréquente au quotidien. Finalement, elle évoque la question de la non-présence des femmes dans la mine en partant d'une explication sexuelle du travail d'exploitation de la montagne et du minerai qu'elle renferme.
La Ch'alla au Tio dans une mine de Potosi
(Photo:emi)
Un travail très complet en fait, mais qui peut aussi lancer le débat sur un autre terrain. J'ai souligné que Pascale Absi ne traitait que des mineurs des coopératives. Selon elle, le fait qu'ils aient gradé de nombreux contacts avec leurs communautés paysannes d'origine est proportionnel à leur absence de conscience de classe. Autrement dit, plus le mineur assume des revendications prolétaires, plus il s'éloigne de ses origines autochtones. Elle argumente sa thèse en soulignant le rôle attribué au fêtes dans l'aliénation des travailleurs par les syndicats miniers d'orientation marxiste.
Je me pose la question: cette vision n'est-elle pas encore réductrice? Les mineurs coopérativistes se caractérisent-ils par une absence totale de conscience de classe? (les événements actuels tendent à démontrer le contraire). Ne se sentent-ils pas mineurs au même titre que ceux de la COMIBOL? Et par ailleurs, le fait d'être mineur de la COMIBOL implique-t-il un total abandon, un rejet et une négation de l'héritage autochtone? (l'organisation d'un acullicu, cérémonie autour de la feuille de coca, après le récent blocus des routes dont j'ai parlé dans un précédent article, ainsi que d'autres manifestations rituelles permettent d'en douter...)
Je ne m'avancerai pas plus dans la réflexion, vous avez compris, je suis sur le coup!

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