jeudi 8 mai 2008

Premier de cordée

Premier de cordée, Frison Roche, 1963.
Pour avoir lu plusieurs récits d'ascensions en haute-montagne, qui étaient plutôt ennuyeux et du type "nous sommes montés au camp supérieur, mais le mauvais temps nous a pris, alors nous sommes redescendus au camp de base, il faisait très froid...", j'avais peur que Premier de Cordée soit du même genre. Mais à ma grande satisfaction le roman de Frison Roche est totalement différent, captivant dans ses récits d'ascension, simple mais vrai lorsqu'il évoque les peurs et les joies des habitants de la montagne, les inquiétudes et le courage sans borne des guides. Récit qui se fait soudain lyrique quand il décrit les sommets, nous les dépeignant tel un monde merveilleux, énigmatique et à la beauté parfois cruelle.
L'histoire quant à elle touche au plus profond de l'être humain qui face à l'immensité de la montagne et malgré ses colères qui lui ont pris un être cher, ne peut s'empêcher d'être irrémédiablement attiré par elle. C'est l'histoire de Pierre, fils d'un guide de Chamonix qui, mise à part des études d'hôtellerie et un avenir prometteur, entretient une passion sans limites pour la montagne, nourrissant en secret le désir fou d'être un jour guide comme son père Jean. Cependant cette montagne qui le séduit tant décide un jour de le mettre à l'épreuve: son père, lors d'une course, meurt foudroyé au Dru. Pas question pour ses amis et collègues de laisser seul là-haut son corps frigorifié. Très vite une expédition s'organise pour aller le chercher, mais l'ascension se révèle plus difficile que prévu et Pierre fait une chute impressionnante. C'est là qu'à mon avis le récit prend toute son envergure, lorsque Pierre, sujet au vertige depuis son accident, commence une chute dans les abîmes du doute et du désespoir, redoutant plus que la mort le fait de ne plus pouvoir être guide. On lit alors des pages magnifiques sur sa rééducation à la vie et sa lente guérison dans cette montagne qu'il réapprivoise peu à peu. Et la dernière ascension qu'il entame avec son ami Georges, qui a eu les pieds gelés lors de sa course mortelle avec Jean, le père de Pierre, est à elle seule une thérapie pour les deux jeunes hommes meurtris par la montagne mais définitivement amoureux éperdus de sa magie. C'est une ode à la montagne et à ses gens en somme que nous livre là Frison Roche, un hommage vibrant d'humanité et d'humilité à ces hommes là (avec en particulier un hommage rendu au célèbre guide chamoniard Joseph Ravanel dit "le Rouge" dont le nom apparaît disséminé tout au long des pages)
"Au grondement des avalanches avait succédé le calme vespéral. Le soleil disparu, longtemps la montagne refléta une lumière rose venue de l'au delà des horizons. Puis les Aiguilles, les premières, sombrèrent dans l'ombre; ce fut ensuite le tour des grands satellites: le Géant, la Verte, les Jorasses, le Mont Maudit. Il ne restait plus sur l'immensité des Alpes que deux points éclairés brutalement: la calotte du Mont Blanc et un pan du Dôme du Goûter; on pouvait suivre la montée des ombres, l'assaut des ténèbres à l'ultime source de clarté. D'habitude, cette lutte se poursuivait avec lenteur, et longtemps, longtemps, le jour s'attardait sur la cime. Mais il y eut tout à coup, ce soir là, comme une cassure brutale; sans attendre la dernière caresse du soleil, la cime du Mont Blanc s'effaça brusquement dans la nuit. Et, comme la lumière ne retenait plus le froid, ce dernier envahit subitement la gorge, les arêtes, les glaciers, prenant possession de son domaine, caressant comme une brûlure perfide, inattaquable. La montagne frissonna tout à coup de vent. Ce fut tout."

(Photo:maman de emi)
"Vers l'est, les Alpes suisses s'étagent jusqu'à l'infini de l'horizon, comme des chaînons séparés par des mers de nuages. Voici le Grand Combin, si proche et si gigantesque, qui monte la garde aux confins du Val d'Aoste, et, plus loin, le Weisshorn, magnifique de pureté, et la Dent Blanche, crochetée comme une canine, et la Dent d'Hérens, aux rochers noirs striés de glace, et, tout là-bas, le Cervin, aigu comme un défi, bosselé par son nez de Zmutt, tout bleu dans l'ombre des montagnes; et aussi les étendues polaires du Mont Rose, qui flottent au-dessus de la terre, et, plus au nord, l'Oberland, tout entier ramassé et confondu avec son enchevêtrement de sommets, de pics et de glaciers et plus bas les ridicules collines bleutées du Faucigny et du Chablais, qui, vues d'ici, ne semblent plus que de simples rides sur la surface de la terre; et, tout près, si près qu'il semble qu'on pourrait y jeter une pierre, le trou profond de la vallée de Chamonix, dessinant ses sentiers et ses bois, ses villages et ses routes comme une immense carte géographique. Mais le paysage des lointains grandioses n'efface en rien la beauté des premiers plans extrardinaires, toutes ces cimes si proches et séparées par des couloirs infranchissables où roulent et tempêtent les avalanches, et toujours le regard revient vers la grande pente qui s'incurve vers le glacier, toute lisse et brillante."

La Pierre Avoi, dans le Valais suisse. En bas le village de Verbier

(Photo:emi)

3 commentaires:

Benoit Etievant a dit…

Tous les livres de montagne ne sont pas non plus des récits de course.

Frison Roche écrit bien mais ce n'est pas non plus un des "Grands" de ce genre de littérature (même s'il a énormément été vendu en librairie).

Cordialement,
Pelic
http://www.pelic.net

Emi a dit…

Mon opinion est ce qu'elle est et étant personnelle elle est forcément subjective. Loin de moi l'idée d'assimiler tous les livres de montagnes à des récits de courses ou d'utiliser des superlatifs concernant quelque auteur que ce soit. Il ne me semble d'ailleurs pas que mon post allait dans ce sens...

Anonyme a dit…

La montagne de Frison Roche m'a toujours semblée une montagne "vraie".Au pied des drus je me sent toujours aussi humble, cela me permet d'apprécier ceux qui les gravissent et qui les écrivent. Ma modeste expérience s'en contente d'ailleurs tout à fait.Mais l'expérience ne servant qu'à soi, c'est pour moi aussi très personnel, donc très subjectif.