Juan Lechin fut le charismatique leader de la COB (Central Obrera Boliviana) et de la FSTMB (Federacion Sindical de Trabajadores Mineros) pendant plus de 30 ans. Mais ce personnage est loin de n'avoir qu'une seule facette. C'est ce que nous décrit Tomas Molina Céspedes dans son livre Triangulo Letal consacré aux trois grandes figures du pouvoir bolivien de la deuxième moitié du 20ème siècle: Victor Paz Estenssoro, Hugo Banzer et Juan Lechin.
Justement dans le chapitre consacré à ce dernier il démontre comment, par ses différentes et habiles manipulations, le célèbre leader a dès la nationalisation des mines après la révolution de 1952 saboté l'entreprise nationale récemment formée, la COMIBOL (Corporacion Minera de Bolivia) en obéissant à des objectifs tout autres que ceux qui auraient permis la pérennisation des mines.
En 1952, au moment de la révolution, les mines boliviennes sont dirigées par des entreprises privées appartenant à de grandes familles et les capitaux générés ne profitent pas à la nation mais sont directement placés sur des comptes à l'étranger. Lorsque Victor Paz arrive au pouvoir, poussé par les ouvriers, il se voit dans l'obligation de nationaliser les mines qui représentent la richesse la plus importante du pays. Evidemment, ceux qui travaillent pour les entreprises privées deviennent des employés de la COMIBOL. Mais ceux qui avaient été licenciés pour leurs activités syndicales alors interdites seront "réintégrés", -selon la proposition de Decret rédigée par Juan Lechin, alors ministre des mines- et seront "indemnisés" de tout le temps de travail qu'ils auraient dû effectuer en restant au sein de leur entreprise, et donc par là même récupèreront leur ancienneté au niveau du salaire. Il est évident que l'annonce de l'indemnisation des ouvriers précédemment licenciés et de leur réintrégration risque de provoquer un afflux de personnes vers les mines en demande d'un emploi. Le problème est évidemment de trouver les fonds nécessaires à ces indemnisations massives, ce qui représenterait un poids énorme pour l'entreprise nationale récemment créée. C'est pour ces raisons que le Décret est rejeté à l'unanimité par une majorité de votes.
Cependant dès le lendemain, Lechin s'exprime publiquement et se félicite de l'adoption de son Décret du 29 avril 1952. Il va par conséquent à l'encontre de la décision de tous les ministres et accélère donc la nationalisation des mines alors que celle-ci méritait encore sans doute d'être étudiée et ses conditions affinées et précisées. Mais Lechin ne s'arrête pas là, et se permet encore d'ajouter un article à cette loi de nationalisation, l'article 17 qui instaure le "contrôle ouvrier total dans l'administration financière, technique et sociale des mines nationalisées". La Nationalisation est finalement signée le 31 octobre 1952 et annoncée par le président Victor Paz dans la ville de Catavi, au coeur de la région des mines d'étain.
Cependant dès le lendemain, Lechin s'exprime publiquement et se félicite de l'adoption de son Décret du 29 avril 1952. Il va par conséquent à l'encontre de la décision de tous les ministres et accélère donc la nationalisation des mines alors que celle-ci méritait encore sans doute d'être étudiée et ses conditions affinées et précisées. Mais Lechin ne s'arrête pas là, et se permet encore d'ajouter un article à cette loi de nationalisation, l'article 17 qui instaure le "contrôle ouvrier total dans l'administration financière, technique et sociale des mines nationalisées". La Nationalisation est finalement signée le 31 octobre 1952 et annoncée par le président Victor Paz dans la ville de Catavi, au coeur de la région des mines d'étain.
Outre le problème des nombreux ouvriers à réintégrer et indemniser, ce qui représente un coût évident pour la COMIBOL, le contrôle ouvrier provoque aussi le fait que de hautes responsabilités soient confiées à des ouvriers pas forcément qualifiés pour les assumer, alors que des cadres des entreprises privées d'avant la révolution avaient proposé de mette leurs capacités au service de l'entreprise nationale. Ce manque de qualification a presque immédiatement comme conséquence la baisse de la productivité. Et l'arrivée massive de nouveaux travailleurs dévie l'intérêt de la COMIBOL de la production de minerai vers la nécessité de trouver des emplois en grand nombre. Quant aux conditions de vie des mineurs dans les campements, elles ne peuvent que se dégrader étant donné que leur nombre augmente. C'est à ce moment que parallèlement au progrès théoriquement apporté par la nationalisation et de manière paradoxale, les conditions de vie vont connaître une régression pour devenir intolérables et inhumaines, étant donné le manque d'infrastructures pour assumer cette surpopulation soudaine. Ici les descriptions apportées par Tomas Molina dans son livre concordent parfaitement avec celles que l'on peut lire dans le témoignage de Domitila de Chungara, femme de mineur de Siglo XX, intitulé Si me permiten hablar et publié en 1976:
"Dans les petites maisons du campement minier, étudiées pour héberger une seule unité familiale de trois à cinq membres, plusieurs familles durent être logées (...) dans une répugnante promiscuité. Et comme premier fruit anachronique de la nationalisation, la famille minière se résigna de nouveau à concentrer son existence dans l'espace misérable de l'habitation collective"
(D'après Tomas Molina, Triangulo Letal, p.301)Revenons sur l'emploi des ouvriers réintégrés à la COMIBOL. Etant donné que le travail de l'intérieur de la mine est parfaitement contrôlé et organisé, ceux-ci vont entrainer la création de nouveaux postes, et en particulier des milices syndicales, selon une idée de Juan Lechin. Mais d'après Molina, ces milices ne vont en rien servir de protection à la nationalisation. Au contraire, elles vont être les artisans du développement d'une nouvelle "classe", celles des dirigeants syndicaux dont elles seront les gardiens armés, couvrant par la même occasion certaines dérives peu compatibles avec l'esprit du contrôle ouvrier qui selon Lechin devait rendre aux mineurs leurs droits sur les richesses du pays. Et Molina nous donne comme exemple pour illustrer son propos le trafic d'aliments organisés dans les campements miniers. On sait que dans la pulperia, le magasin d'entreprise, les produits se vendent à un prix fixe, bien inférieur à celui du marché bolivien. Et bien grâce aux milices syndicales, les dirigeants peuvent sans crainte se livrer à l'achat de produits à très bas coût à la pulperia et à leur revente à l'extérieur, générant ainsi des bénéfices colossaux mais évidemment personnels.
A peine organisée, l'ombre de la faillite plane déjà sur la COMIBOL. Pourtant Lechin exige que de nouvelles mines, des mines de taille moyenne qui n'étaient pas concernées par le Décret de 1952, soient elles aussi nationalisées, ce qui augmente encore le poids sur l'entreprise nationale déjà aux abois.
Il est évident que l'Etat bolivien, malgré les importantes rentrées d'argent générées par le commerce de minerai, ne pouvait supporter le coût de telles mesures, et en particulier de l'indemnisation de plus de 25 000 travailleurs supplémentaires. Mais le Président Victor Paz, qui se livrait une bataille sans merci avec Lechin dans le but de courtiser les mineurs afin d'entretenir sa popularité, chacun essayant de dépasser l'autre, fit encore une fois preuve d'une démagogie sans égal et apliqua ces mesures inconsidérées, provoquant la dévalorisation de la monnaie et donc une inflation galopante, ce qui plongea la Bolivie dans une profonde crise économique.
Molina en conclue que la nationalisation des mines fut ruinée par ceux là mêmes qui l'avaient imaginée, Lechin en tête, par leur manque certain de "grandeur d'esprit et de vision politique" (p.311), entretenant le développement du culte de leur personnalité bien plus que le souci de voir se développer la COMIBOL.
1 commentaire:
Bonjour! Il faut être fort pour ne pas se décourager. Etre bolivien ce n'est pas une mince affaire!
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