samedi 1 mars 2008

Quand les personnages frappent à la porte de l'auteur...

Luigi Pirandello, Six personnages en quête d'auteur, 1921.
Tout commence mal lors de la première représentation de la pièce en 1921: les spectateurs arrivent alors que le rideau est levé et qu'un machiniste est en train de clouer des planches sur la scène. Durant tout le temps de la représentation le public, choqué et peu habitué à tant de nouveauté, hurle son mécontentement. C'est que le sujet est quelque peu inattendu: alors que nous assistons au début des répétitions d'une autre pièce de Pirandello, six personnages débarquent, portant des masques. Il se disent "à la recherche d'un auteur" pour porter à la scène leur drame personnel, celui qu'ils portent en eux. On assiste alors à une pièce qui part dans une confusion totale entre illusion et réalité, avec d'un côté les acteurs, de l'autre ces personnages qui étalent leurs souffrances et leurs complexités, et au milieu le metteur en scène qui tente de les faire représenter par des comédiens qui forcément altèreront leur existence en la transformant nécessairement.
Avec ce chef d'oeuvre de modernité, Pirandello affirme avec un scepticisme ironique sa conviciton selon laquelle la réalité n'est qu'une illusion et que les codes peuvent facilement s'inverser. Par ailleurs, cette pièce est la représentation concrète sur une scène de ce que l'auteur italien est au quotidien: un auteur assailli et hanté par ses personnages. Citons un extrait d'une nouvelle publiée avant 1921 (en 1911):
"J'ai la vieille habitude de donner audience, tous les dimanches matin, aux personnages de mes futures nouvelles.
Cinq heures, de huit à une heure de l'après midi.
Il m'arrive presque constamment de me trouver en mauvaise compagnie. Je ne sais pourquoi, je vois généralement accourir à ces audiences les gens les plus mécontents qui soient, ou accablés de maux étranges ou empêtrés dans des cas tout à fait spécieux et auxquels il est vraiment pénible d'avoir affaire."
Une pièce référence à lire et à relire pour les réflexions philosophiques et universelles qu'elle suscite, pour sa modernité et pour le plaisir de comprendre comment parfois ce sont les personnages qui viennent à la rencontre de l'auteur, déjà construits et vivants, mettant ainsi à jour le processus de création tel qu'on ne le voit jamais.
(petit clin d'oeil: j'ai lu cette pièce parce qu'elle était souvent citée en relation avec les oeuvres théâtrales au programme de l'agrégation d'espagnol, et j'avoue qu'une fois de plus je prends un immense plaisir à sortir des sentiers battus et des carcans universitaires pour découvrir des choses beaucoup plus intéressantes et captivantes que le programme lui-même...)

Aucun commentaire: