samedi 3 novembre 2007

Voyage au Mexique

Désiré Charnay, Voyage au Mexique (1858-1861), Ginko éditeur, 2001.


Ce très bel ouvrage augmenté d'une introduction très instructive, de photos et gravures, de notes et d'un lexique est en fait le journal de voyage de l'aventurier, ethnologue et archéologue mais surtout photographe Désiré Charnay qui nous raconte son voyage au Mexique au milieu du XIX ème siècle. Sur fond d'agitation sociale due aux luttes politiques entre conservateurs et libéraux, Charnay parcours le Mexique d'avant la révolution, encore emprunt de colonialisme et marqué par des structures sociales qui diffèrent peu de l'époque de la conquête espagnole. Les indiens y sont encore considérés comme des sous hommes et les propriétaires d'haciendas et les curés sont plus que jamais les maîtres à bord. Charnay souscrit évidemment à cet esprit de supériorité des blancs, en témoignent ce passage:

"Tous ces indiens, nus ou en chemise, répandaient dans l'atmosphère une odeur sui generis qui soulevait le coeur: sales comme des peignes, ils avaient importé de leurs villages dans ce cloaque des échantillons de tous les parasites connus, et toute la vermine du globe semblait s'être donné rendez-vous dans cette infecte maison commune. Je ne pouvais sortir, il pleuvait à torrent. enveloppé dans ma couverture, au milieu d'une poussière vivante, je croyais littéralement sentir mon corps se mouvoir et changer de place."

Cependant, ce jugement, courant à cette époque -rappelons que les cabinets de curiosités étaient à la mode-, est parfois tempéré par des propos plus conciliants, certes plus guidés par un rejet des conquérants espagnols -Charnay adhère totalement à ce que l'on a appelé la "légende noire de l'Espagne"- que par une vraie sympathie pour les Indiens:

"L'Indien, en quelque part du Mexique qu'on le prenne, libre ou opprimé, est triste, silencieux, fatal: il semble porter le deuil d'une race détruite et de sa grandeur déchue; c'est un peuple qui meurt. Le nègre, au milieu des chaînes de l'esclavage, rit et danse encore; il a l'insouciance de l'enfant, l'ingénuité d'un peuple qui naît. La danse de l'indien a tout le cachet de son caractère: il glisse en mesure, piétine à peine, sa figure reste impassible, et le chant d'amour qui l'accompagne ne semble qu'une longue complainte."

Mis à part ces considérations sur les indiens qui portent son matériel de photographe, Charnay raconte quelques anecdotes savoureuses dans un style qui ne manque pas d'humour. En témoigne ses mésaventures avec son mulet:

"De mes trois animaux, ce mulet m'avait paru le plus intelligent. (...) Mais il avait un grand défaut et la prudence qui le faisait n'avancer que parfaitement sûr de son point d'appui donnait à sa façon de faire toute l'apparence d'une paresse invétérée; aussi me tenais-je volontiers derrière lui pour exciter son amour propre au moyen de quelques coups de pied bien appliqués. (...) Outre sa paresse, mon animal avait la mauvaise habitude de se plaindre sans cesse (...) En effet, il poussait à tout moment des soupirs épouvantables, des soupirs à émouvoirs les rochers de la route. (...) Mais le mulet avait un vice, un vice, hélas! dont je fis la douloureuse expérience: il était sournois et rancunier. Comme j'étais à cheval, les encouragements que je lui prodiguais touchaient à l'endroit sensible, et j'avais la bonhomie de croire à l'impunité. Il m'observait néanmoins de temps à autre, étudiant la position et mitonnant sa vengeance. Il finit sans doute par trouver l'instant favorable: au moment où je m'y attendais le moins et comme je me préparais à lui administrer une nouvelle correction, il fit brusquement un bond de côté et me lança fort adroitement une ruade qui m'atteignit au gras de la jambe."

...ou encore une de ces rencontres avec des personnages hauts en couleurs:

"Don Julio était parisien pur sang (...) S'étant vu ruiné dans une affaire de contrebande, il avait embrassé l'état de docteur qui lui réussissait admirablement (...) Rien ne l'étonnait du reste, il avait coupé des cuisses avec un rare bonheur, et les opérations chirurgicales les plus délicates ne le faisaient point reculer. C'est ainsi qu'il lui arriva de pratiquer l'opération du strabisme, et dans un cas exceptionnel. Un docteur étranger parcourait le pays, se donnant, comme spécialité, le traîtement des yeux et le redressement de la vue; mais soit charlatanisme, soit mauvaise fortune, il creva les yeux du premier patient qui lui tomba dans les mains; le malheureux fut aveugle pour le restant de ses jours. Don Julio, piqué par une noble émulation, s'empara d'une seconde victime, opéra le premier oeil, mais creva l'autre, c'était de toute façon un progrès, et c'est ici le cas d'ajouter que, dans le pays des aveugles, les borgnes sont rois."

Ce voyage au Mexique suit l'itinéraire des grands sites archéologiques et c'est au cours de ces premières expéditions d'aventuriers tels que Charnay, encombrés d'un matériel fort encombrant, que furent pris les premiers clichés photographiques des pyramides aztèques et mayas, bien avant que les touristes n'y mettent les pieds. L'édition ici présentée à cependant choisi de supprimer les passages descriptifs des ruines, préférant laisser une place aux magnifiques descriptions des paysages mexicains telle celle du volcan Popocatepetl qui conclue l'ouvrage.

A lire donc avec attention, pour le plus grand bonheur de tout aventurier qui s'ignore.

Aucun commentaire: