Adolfo Caceres Romero, Narrativa quechua del Tawantinsuyu, Ediciones del Sol, Buenos Aires, 2006.
Dans ce recueil de textes, nous nous plongeons avec délice dans les contes, mythes et légendes préhispaniques andines. Le livre est divisé en trois parties. La première s'intéresse au mythes, par exemple ceux de la création du monde ou de la naissance des Incas. Dans la deuxième partie, nous entrons grâce aux légendes dans l'univers culturel andin. Enfin, c'est avec les contes que le livre se termine, offrant quelques références littéraires importantes. Je ne résiste pas à vous faire entrer dans cet univers hors du commun grâce à la traduction d'une légende, celle de la coca.
"Connaissez vous la tristesse? Et bien c'est de cette couleur qu'étaient les yeux de Coca, une jeune indienne, très belle, qui vivait dans un village de la région du Kollasuyu. On dit que son visage n'avait aucune tache et que sa peau, lisse comme la peau d'un fruit, avait la couleur brune du miel(...)
Coca était orgueilleuse, rieuse et égoïste; elle ne prenait pas la vie au sérieux et ne songeait qu'à danser et se divertir. Elle se moquait de tous les hommes qui osaient la demander pour épouse. Elle se moquait de tous et jamais la peine n'avait assombri ses jours qui coulaient dans un constant bonheur. Elle se levait à l'aube, chantant en choeur avec les oiseaux; elle cueillait des fleurs (...) pour les accrocher à son corsage ou les disposer dans ses cheveux noirs, aussi noirs qu'une nuit sans lune. Comme toutes les jeunes filles de l'Empire, elle remplissait ses obligations: elle filait de la laine de vigogne et d'alpaga sur une magnifique roue d'un très joli bois; elle tissait des tissus somptueux en combinant des matériaux rares sur un métier doré que le fils de l'Inca lui avait fait fabriquer par les meilleurs orfèvres du pays.
Tous les soirs, Coca montait sur une petite colline et elle y restait à contempler le paysage durant des heures ou à attendre ses amants; toujours joliement parée, avec à ses oreilles des boucles étincellantes et sur son front un bandeau ciselé d'or le plus pur. Les Pallas, les princeses de l'Empire, jalouses, regardait croître chaque jour la beauté de Coca, et elles n'acceptaient pas que même le fils de l'Inca fasse des compliments à la jeune femme, qui n'était pas une princesse, mais simplement la fille d'un fidèle vassal.
Coca se moquait de l'amour des hommes. Elle les aimait tous et aucun à la fois. Elle les attirait par des caresses, leur offrait son corps, et puis en riant, toujours en riant elle les abandonnait, lorsqu'elle était sure de les avoir soumis. Après leur avoir permis de la posséder elle les méprisait, les laissant parfois fous de désir (...) lorsque ceux ci ne choisissaient pas d'en finir avec la vie dans les rochers.
Les aventures de la jeune fille et les malheurs des amants faisaient l'objet de commentaires dans tout l'Empire. Les pleurs se multipliaient et les innombrables plaintes venaient jusqu'aux oreilles de l'Inca, lequel écoutait avec attention et un peu d'agacement les requêtes des familles des victimes. Un soir il appela ses Yatiris (...) pour leur exposer le problème:
-Coca, leur dit -il, est cause de malaise chez mes sujets. A cause d'elle, le malheur est dans les foyers, son extrême beauté est synonyme de tragédie ou de deuil, et on murmure que quiconque a aimé son corps devient fou, idiot, ou meurt. (...) Je vous ai appelé pour que vous me disiez que faire, parce que je me sens offusqué et je ne parviens pas à trouver de solution.
Les Yatiris et les Amautas écoutèrent (...) avec respect les mots de leur roi; ils se retirèrent ensuite pour observer le mouvement des astres, et après avoit interprété (...) et découvert des prémonitions, ils revinrent se présenter à l'Inca, lui apportant une réponse:
-Grand seigneur de ce royaume! Maître de nos vies. Nous avons observé les astres et les viscères de plusieurs lamas blancs. Tout nous donne la preuve inéquivoque que Coca est la cause de grands drames pour ton Empire. Seule sa mort mettra fin à la tragédie qui approche.
Un silence sépulcral se fit dans l'immense salle du trône...
-Qu'il en soit ainsi, répondit le monarque, le coeur déchiré, parce que lui aussi aimait la beauté de Coca et dans son for intérieur souffrait de voir disparaitre cette femme, dont la perfection physique était presque divine.
Le plus ancien de l'assemblée (...) reprit (...):
-La mort de Coca est un impératif national, (...) et son corps doit être écartelé et ses restes enterrés dans les différents jardins et adoratoires. Les signent nous disent que de là surgiront des plantes, dont les feuilles seront toujours pour notre race un remède à ses malheurs.
L'Empereur écouta, taciturne,la décision des Amautas et demanda l'arrestation de Coca et son sacrifice au milieu de rites solennels. Ses restes écartelés furent répartis dans différentes régions de l'Empire, enterrés dans les lieux mentionnés par les grands prêtres, et plus tard, eux mêmes observèrent qu'à chaque endroit de l'enterrement, poussait un arbuste très vert, aux belles feuilles ovales, lesquelles furent appelées coca en souvenir de la sacrifiée.
Voici, selon les indigènes de la région de Pacajes, Département de la Paz, l'origine de l'inestimable feuille de coca, consolation et aliment de notre race."
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