jeudi 15 août 2019

Bressuire

Pendant que des images circulent sur les réseaux sociaux montrant des mastodontes de croisières vomir leurs flots de touristes sur des plages bondées qui n'ont plus de paradisiaque que le souvenir, d'autres lieux demeurent préservés de l'envahissement estival. C'est là que nous aimons à poser nos valises. Dans ces régions trop méconnues aux beautés encore secrètes. Je n'ose décrire ici la richesse de ces journées en dehors des circuits, sans programme et sans bruit, au cours desquelles nous avons découvert un endroit de France qui nous a tant séduit, tant je crains de confronter ces lieux à un tout nouvel engouement de visiteurs assoiffés d'exotisme. Misons sur la confidentialité de ces pages pour livrer sans peur et dans une relative intimité nos impressions sur Bressuire. 
Le centre-ville pourrait ressembler à mille autres en France. C'est à la fois ce qui le rend banal et lui offre tout son charme. L'église au milieu, sur la grand-place. La mairie non loin de là. Une rue commerçante. Quelques fontaines. De belles et lourdes portes. De solides murs de pierres. Mille et un villages de l'hexagone possèdent cette structure rassurante et familière. Il est impossible de s'y perdre et l'on vient s'y lover en terrain connu comme dans les bras rassurants d'un parent. Bressuire n'échappe pas à la règle. Ce qui influe sur l'impression que l'on garde de ces petites villes, c'est le choix de les rendre accueillantes, de les pomponner ou de les maintenir dans leur jus, telles des amoureuses délaissées. Ici, on a fait le choix d'être fier de ce que l'on a. Il y a des fleurs, une superbe fontaine, un patrimoine architectural et historique mis en valeur. Il faut dire que la région et Bressuire en particulier n'ont pas été épargnées par les conflits : guerre de cent ans, guerres de religions, guerres de Vendée, guerres mondiales, ville détruite et rebâtie sans cesse, vidée de ses habitants puis repeuplée, à genoux puis relevée. C'est une sorte de fierté qui émane de ces lieux où l'on décide, délibérément, de reconstruire et de se tourner vers l'avenir. Alors, pour ce paisible dynamisme et cet optimisme joyeux, on a aimé Bressuire. 


Et puis, le château nous a entraînés sur d'autres pentes. Il pleuvait un peu, pourtant. Le ciel menaçant peuplé de sombres nuages a peut-être instillé dans notre promenade une touche de mystère nécessaire à toute découverte. Nous avons emprunté le sentier qui longe les murailles moyenâgeuses, avons grimpé avec les chèvres sur cet éperon rocheux où le château a été bâti. Nous avons suivi la rivière, avons franchi des ponts, avons admiré la vue du haut et du bas, celle où l'édifice en ruines nous écrase par la force qui émane encore de lui et celle qui nous a fait embrasser l'ensemble du paysage d'un seul coup d’œil. Nous avons essuyé quelques averses, salué des sculptures tordues et sublimes, fureté dans le jardin merveilleux où sont collectionnées des dizaines de plantes rares. Nous nous sommes enivrés de l'odeur de la menthe citron, de la menthe chocolat, de la menthe pamplemousse, de la menthe fraise, du chèvrefeuille et de l'herbe humide des prairies. Nos narines se sont goinfrées du parfum sauvage de la terre mouillée et des grands conifères. Nous nous sommes fait ravir le cœur et nous avons lâché la bride à nos esprits qui se sont échappés avec les chevaux. 



 




Une fois le soleil revenu, le lendemain, nous nous sommes sentis suffisamment forts pour aller tâter du caillou baleine. Le rocher branlant, comme il en existe dans de nombreux sites naturels français, se situe non loin du village de Largeasse. Ici, un chaos de pachydermiques boules de granit déconcerte le visiteur et lui fait perdre ses repères. La promenade en sous-bois nous plonge dans un monde aux dimensions et au rapports de forces modifiés, où la seule Histoire qui vaut est écrite par les mythes et les légendes. On raconte que si le rocher bougeait, la femme accusée d'adultère était sauvée. Pierre du jugement. Le pauvre caillou n'avait rien demandé. Aujourd'hui, le rocher rappelle simplement à l'homme sa petitesse et sa faiblesse face à la nature qui se moque bien de lui. En équilibre sur rien, plusieurs tonnes de granit vacillent sous l'effet d'une simple poussée et font miroiter aux bipèdes un espoir de victoire. Il n'en est rien. Jamais le rocher ne cédera et l'homme restera là, idiot et interrogateur devant cet impossible exploit. 


Nous avons repris la route. Nous avons roulé entre les collines aux rondeurs maternelles. Nous avons croisé d'imperturbables troupeaux. Nous nous sommes tus devant ces paysages récemment rencontrés, ignorés il y a quelques jours encore. Et nous sommes partis. Comme on ouvre un roman qui nous fait pénétrer dans un nouveau monde et que l'on laisse à son autonome existence une fois la dernière ligne lue. 

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