Tout
d’abord, merci de me donner la parole, je vais faire de mon
mieux pour être à la hauteur de tes attentes! Je ne suis là que
depuis 4 mois et demi, un peu court pour une étude de terrain
approfondie. Je te livrerai donc des « premières
impressions »...
En
me présentant comme « une Basque à la Guadeloupe » tu
mets précisément le doigt sur une question épineuse qui assaille
quiconque met le pied sur ce territoire, celui de l’Identité. Une
question complexe qui crispe les gens. Blancs, Noirs, Métisses, les
3 composantes de la société de Guadeloupe.
1.
Réglons la question de suite : la Guadeloupe, encore l’ici ou
déjà l’ailleurs ?
Peut-être en fait: France ou pas France, non?
Peut-être en fait: France ou pas France, non?
Oui
pour ce qui est des panneaux routiers, des enseignes, des panneaux
publicitaires au bord des routes. Une impression de familiarité, de
déjà-vu. Les mêmes produits dans les rayons. Les monuments aux
morts, les drapeaux au fronton des mairies... Et bien sûr la langue.
Mis
à part cela, le sentiment rapide d’une «France », certes,
mais différente...
« Les
Antillais ne savent pas s'ils sont des Français à part entière
mais ils savent qu'ils sont des Français entièrement à part »
Aimé Césaire, 1968.
Bien
sûr, Césaire parlait plus là du statut des citoyens et des
institutions françaises que de la condition de l’homme noir, mais
ce « à part » se ressent fortement.
D'abord,
un pays magnifique, un air de « Monde des tout premiers temps» qui
souvent me remplit les yeux de larmes. Il m'arrive de me demander si
ce que je vois est bien réel. La nature est époustouflante et donne
une force intérieure, une sorte de souffle tellurique. Je t'assure,
ça fait un peu prospectus New Age mais c'est vrai.
Et
puis, à côté de cette merveille, des décharges à ciel ouvert, de
la crasse, des carcasses de voitures, des routes défoncées, des
chiens errants parfois en meute. Une incurie qui existe dans tous les
pays pauvres. Un laissez-aller tout juste rafistolé par des pouvoirs
locaux pléthoriques et inefficaces. Bref, une France
du « Tiers-Monde » comme on disait avant, qui
provoque une drôle de sentiment d'inégalité avec la Métropole où
ces amoncellements de misère seraient inimaginables. Souvent je ne
me sens pas « en France », je me considère presque comme
une expatriée. Mais chut, ce n'est pas bien de le dire, je suis une
« métro ». Pas dire « Blanc » non plus, même
si les « Noirs » nous appellent comme ça. Penser mais
pas dire...
2. Le soleil des Antilles, plus séduisant que le soleil basque ?
2. Le soleil des Antilles, plus séduisant que le soleil basque ?
Le soleil ! Si
beau, si brillant, si chaud et si brûlant parfois. Oh oui, il est
plus intense que mon doux et beau soleil du Pays-Basque. Mon iruzki.
Le
soleil, ici, on s'en protège, évidemment. D'abord bronzer c'est bon
pour ces fous de Blancs qui veulent rendre les collègues envieux. Le
bronzage c'est un peu le retour sur investissement du métropolitain
en vacances. Et ça brûle.
Mais
je dois t'avouer une passion coupable pour le sable blanc, la
serviette et l'odeur de l'huile solaire chaude sur la peau...D’autant
qu’ici les plages sont plantées de
cocotiers, de raisiniers et d’autre arbres encore qui offrent une
ombre merveilleuse pour lire après le bain… Une expatriée, je te
dis !
3- La plage, le rhum, le zouk. Clichés ou réalité ?
Eh
bien, des clichés réels.
La
plage je t'en ai déjà parlé. Omniprésente. Tous les contours des
îles de l'archipel. Sable blanc, sauf à portée du volcan où il
est gris, moins avenant peut-être.
Le
rhum, une merveille. Sans rien d'autre qu'un peu de sucre de canne et
un quart de citron vert pressé. Le bonheur des sens, lorsque la nuit
tombe, tôt, et que les grenouilles commencent à crier, fort. Je ne
sais pas si elles coassent ici, ça fait plus stridulation aiguë. La
bande sonore des Antilles.
Le
zouk... comment dire... peut-être ne suis-je pas encore assez
acclimatée. Disons que je fais comme les Antillais avec le soleil,
je le fuis. Danse lascive, hyper cliché pour le coup, esthétique
fluo années 80. Pas mon truc vraiment.
4.
Qu’est-ce que tu gardes et qu’est-ce que tu jettes ?
Je
prends tout. D'abord parce que je n'ai pas le choix (ce qui rend
sage) et parce que ça romprait l'équilibre.
Enfin
quand même... pour moi comme pour tous, j'éliminerais bien jusqu'au
dernier cette punition de la nature qui accompagne ces contrées
paradisiaques, ce vampire domestique qu'est le MOUSTIQUE, qui en plus
semble adorer les peaux exotiques qui embarquent à Orly Sud... A
nous trois nous avons déjà dû donner des litres de sang, une
plaie.
Je
jette aussi une conduite fantaisiste sur la route (¡Madre mía !je
me demande si on enseigne ici le même code que là-bas, à voir...),
des embouteillages permanents, des voitures sans feux stops, partout
tout le temps.
Je
jette la violence bien sûr. Réelle et en progression au dire des
gens d’ici. Une violence de pays pauvre, des mômes qui tuent pour
une bagnole. Flippants les récits de la presse à sensation,
l'unique presse d'ailleurs. Je me tiens sur mes gardes, sans
exagération.
Je
jette les grosses chairs flasques et roses des touristes qui
répugnent à s'habiller et à se chausser, au motif qu'on est sous
les tropiques. Beurk.
Mais
je jette aussi en face cette espèce de pudibonderie, corollaire je
suppose des bondieuseries répandues par d'innombrables églises,
temples et autres lieux de cultes qui pullulent et crient
« Repentez-vous » à tous les carrefours, proprets dans
leur chemise blanche amidonnée.
Je
garde l'air, le ciel, la lune qui croît et décroît non pas
verticalement mais horizontalement; ce qui fait qu'à la lune
montante il y a un joli sourire dans la nuit noire comme du charbon.
Je
garde les tempêtes phénoménales les éclairs sublimes et le
tonnerre qui fait trembler les murs. Car j'aime que ma fille se
glisse dans mon lit, la nuit, parce qu'elle a peur...
Je
garde le poisson grillé et les beaux fruits comme s'ils étaient
peints, même si je n'aime pas trop en manger.
5. La Guadeloupe, une porte vers l'expatriation ?
Oui,
par bien des aspects c'en est déjà une, comme je te le disais. Être
ici c'est reconnaître des détails familiers sortis de leur contexte
d'origine. Le décor est ressemblant mais la pièce est tout autre.
C'est une France américaine, un peu déclassée, où la nature est
superbe et la ville cassée.
Il
faut changer certaines de ses habitudes et revoir ses attentes, comme
on l’avait fait pour vivre en Inde, par exemple.
C'est
un mélange de population qui donne parfois l'impression que l'on
reconstitue des scènes historiques : chacun est à sa place,
qu'il le veuille ou non, on lui assigne un rôle et on attend de lui
qu'il s'y conforme sans chercher à en jouer un autre. Ici, on n'aime
pas l'usurpation d'identité.
Tout
ça est tour à tour surprenant, beau, laid, énervant, drôle,
horripilant, amusant, émouvant....
Bref,
c'est un précipité de vie que je suis heureuse de partager avec
cette terre et ceux qui la peuplent.
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