1.
Pourquoi ce départ : marre de Paris ?
Tout
d'abord, pas marre de Paris, au contraire. Paris est
magique...Mayotte, c'est un projet qui était dans ma tête depuis
2009. Lorsque j'étais stagiaire à Verdun, dans la Meuse, une
collègue m'avait parlé de son projet de partir là-bas. C'est resté
dans un coin de ma tête. Ce sont plus des changements dans ma vie
perso qui m'ont poussée à demander ma mutation, comme si ce
changement radical me permettait de fermer une page de ma vie de manière
définitive. C'était comme si j'avais besoin de me prouver
quelque chose.
2.
Mayotte, enfer ou paradis ?
On
a souvent une vision manichéenne des choses : d'un côté l'enfer,
de l'autre le paradis. Et bien Mayotte, c'est le paradis qui côtoie
l'enfer sur chaque cm2 de l'île. C'est impressionnant. Je pense que
les Mahorais ont la chance d'avoir le plus beau lagon de l'océan
indien qui regorge d'espèces incroyables. Un spectacle dont on ne se
lasse jamais. À la surface, des kwassas (bateaux de fortune) remplis
de gens fuyant la misère des îles voisines, pensant que Mayotte
sera la solution à tous leurs problèmes. Une intime proximité
entre les villas et les bangas (cases en tôle), les déchets sur la
voie publique et l'océan bleu turquoise, l'extrême violence et les
rires des enfants...C’est déconcertant.
3.
S’expatrier, c’est mélanger ses racines ? S’en fabriquer
d’autres ?
À
mon sens, s'expatrier c'est oublier ses racines… On pense qu'on a
des bases solides, des principes, des valeurs, une façon de voir les
choses sans changement de point de vue possible. Et bien en vivant
dans une société très différente, tout est bouleversé. Pourquoi
notre façon de penser ou vivre serait mieux que celle des autres ?
Il n’y a pas une société mieux qu'une autre… Un exemple qui
était très flagrant à Mayotte : la république aime rappeler
son attachement à la laïcité. Dans de nombreuses histoires, le
représentant religieux est invité à aider les garants de la loi
afin de faire une prière pour "conjurer le sort". Les
façons de voir les choses étaient tellement différentes que
finalement les seules choses que tu peux partager sont universelles :
un sourire, un service, un repas, du respect, de l'amour...
Se
fabriquer d'autres racines, cela dépend de ce que tu as bien voulu
créer avec les gens. Pour certains, l'expatriation c'est vivre entre
expats. C’est dans ces moments que tu comprends que l'être humain
a peur de la différence, est rempli de préjugés. Si les gens sont
gentils, c'est intéressé. Surtout lorsque tu vis dans une société
qui est en majorité pauvre. Tu apprends beaucoup sur toi, sur les
autres. Quand les gens donnent ils veulent qu'on leur donne en retour
l'équivalent voir plus. Sinon c’est que les gens sont des
profiteurs. Et pourquoi ne pas accepter de prendre en charge
quelqu'un en échange de quelque chose de symbolique ? C’est ça
aussi le partage.
Je
pense que j’ai créé des liens, j’ai laissé un peu de moi
là-bas… Je pense que j'ai ouvert une porte qui ne se refermera
jamais, que j'y retourne ou pas.
4.
Pas trop dur, le retour ?
Dur
le retour !!! On ne va pas se mentir !!! Je me sens forcément en
décalage avec le conformisme d'ici. On est trop dans le "ça se
fait pas". À Mayotte tu peux t'habiller n'importe comment, tout
le monde s'en fout. Tu peux demander à un jeune dans la rue de
t'aider à porter tes cabas, tu peux prendre quelqu'un en stop sans
que ça vire à la paranoïa. Tu peux voir débarquer un élève sur
ta terrasse avec un sachet de tomates qu'un adulte lui aura demandé
de te monter. La base de la société mahoraise, c’est la
confiance. Ils ont d'ailleurs un système de cotisation en groupe qui
leur permet d'épargner, basé uniquement sur la parole. En fait même
si tout n'est pas à prendre et si tu n'es pas mal intentionné
(attention aux dérives) tu te sens plus libre tout simplement.
5.
Sédentaire à jamais ou de nouveau sur le départ ?
Sédentaire
à jamais, ça me semble compliqué. À peine mes valises posées,
j'étais sur le point de demander un poste à Beyrouth ! Après je ne
sais pas ce que me réserve l'avenir. Je me laisse porter par le
cours de la vie. Pourquoi pas un de ces jours, encore à Mayotte ? En
tout cas le monde est vaste, il est beau et toutes les rencontres que
j'ai pu faire m'ont forcément rendue plus riche. Je suis contente
d'avoir la chance d'avoir pu vivre cette expérience. À suivre...
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