Jean, pompier, à 11 mois de la retraite
C'est une personne passionnée par son métier mais physiquement et psychologiquement usée que j'interviewe cet après-midi là. Les services de nuit, les difficultés physiques face à cet engagement à vie et cette mission comme un sacerdoce. "Les jeunes qui arrivent maintenant n'ont tellement pas de boulot qu'ils font pompier comme ils feraient postier. Ils ne pensent pas que c'est aussi dur. Ils ont passé ce concours parmi d'autres, juste pour travailler. La plupart sont diplômés. Ils n'ont pas la vocation, alors que d'autres aimeraient devenir pompier mais ne le peuvent pas. Pas assez d'études." Le système de recrutement absurde est bel et bien questionné ici. On ne devient pas pompier comme on devient caissier chez Franprix. Et puis, très vite dans la conversation, arrive la phrase qui introduit tout le reste du discours: "Avant, ce n'était pas pareil. Aujourd'hui, ça n'a plus rien à voir". J'ai face à moi un homme qui est appelé pour des broutilles, un mal de tête, un mal de ventre, par des gens qui refusent de payer le médecin ou d'aller faire la queue aux Urgences. Jean ramasse aussi des "soces", comme il les appelle, des gens sans ressources, à la limite de la clochardise et dont la déchéance les amène à errer sans but dans la rue, au froid, sans rien dans le ventre sinon un peu trop d'alcool. "On remplace le Samu social ! On fait vraiment tout et n'importe quoi ! Heureusement, pour dix cas comme ça, il y en a un où on va être appelé pour un accident, un feu, quelque chose qui correspond vraiment à notre mission. Là, on va se sentir dans notre rôle". Cependant, la "mission" s'effectue rarement avec facilité. Au moment d'aborder la situation dans le Val Fourré, le caillassage du camion, les insultes, Jean nous dit avec un sourire désabusé : "Les collègues, en province, ils ne nous croient pas quand on leur raconte tout ça !". C'est le quotidien des pompiers, cibles privilégiés des jets de pierres et autres couches-culottes sales qui pleuvent des immeubles quand le camion se gare dans la cité. De quoi favoriser un discours qui, en d'autres circonstances, passerait pour du racisme. Mais comment croire encore au dialogue, à l'insertion et au partage des cultures quand on se fait traiter de la sorte et que son métier, pourtant noble et humaniste, n'inspire plus que la haine et le mépris ?
Oscar, la trentaine, prof de collège
Lui aussi a travaillé au Val Fourré et a pu appréhender la situation. Il sait les difficultés sociales, la violence de cette population mise en marge de la France depuis trop longtemps et qui s'est renfermée sur elle-même. Un peu comme un hérisson, tous les piquants dehors. Il me raconte les "jeux" de fin d'année des élèves de troisième qui, avant de quitter le collège, vont sur le parking des profs pour "secouer gentiment les voitures". Rien de bien méchant. Quelques cailloux sur les pare-brise, rien de plus. Oscar n'a pas été confronté à des classes "horribles", comme on l'entend souvent dire. Ce qu'il me presse de raconter ici, c'est une autre vision des choses, avec moins de parti prix négatif, peut-être : des élèves mignons, des gamins sympas avec qui il a pris plaisir à travailler, pas forcément les pires qui existent sur terre. Et cette richesse culturelle née de la diversité qui n'existe nulle part ailleurs. "Tu vas la raconter, la vision qui fait contrepoint, tu vas la raconter, n'est-ce pas ?". Moi aussi, j'ai eu cette expérience de travailler au-milieu de la cité et, outre les moments de tension, j'ai le souvenir de moments de partage, de franche rigolade et d'échange avec des élèves au fait des événements du monde. Des jeunes avec qui ont peut tisser des liens affectifs et qui, une fois qu'ils vous adoptent, vous rendent bien des services, vous décodent les relations sociales en moins de deux. Comme cette fameuse fois où Oscar, un peu fatigué, un peu distrait, percute un scooter en plein Val Fourré et, inquiet de voir l'attroupement se former autour de sa voiture, se voit sauver la mise par d'anciens élèves qui le reconnaissent et lui évitent quelques "petits soucis" avec les gros bras du quartier.
En conclusion...
Ce qui ressort de ces deux témoignages, c'est la fatigue inhérente au travail dans les banlieues et la nécessité d'une solidarité entre collègues. Jean, à seulement quelques mois de la retraite, avoue en avoir ras le bol, mais reconnaît qu'il a peur de se retrouver seul, sans ses camarades avec qui il a fini par former une famille. Il me dit, l'oeil rêveur : "C'est sûr, quand je verrai passer les "rouges", comme on nous appelle, j'aurai un pincement au coeur". Quand à Oscar, il travaille maintenant dans une banlieue bien plus tranquille, à la campagne, mais garde des images fortes des moments qu'il a passés au Val Fourré. On ne sort pas indemne de ce genre d'expériences-là. On en revient transformé, un peu grandi, sans doute. Plus éveillé et plus humain, certainement.
2 commentaires:
Très intéressant, bel article qui ne tombe pas ds la vision manichéiste, comme quoi il y a tjs qq de bon ds l humain, même ds les pires conditions.. PCR
"tout ce qui ne tue pas vous rend plus fort" comme disait un célèbre slogan publicitaire.
Bel article, beaux témoignages. Comme souvent, cette ville peut rassembler le pire de l'Homme comme le meilleur de l'Humanité. Il suffit de ne pas se trouver aux mauvais endroits aux mauvais moments. Rien de pire par rapport à d'autres cités de France et de Navarre.
Pour information: les policiers en voiture ont ordre de ne pas descendre du véhicule au Val Fourré sauf urgence. (dixit un officier de Police) De même 3 véhicules pour les patrouilles de nuit... pour 11 agglomérations! Ni la gauche ni la droite ne donne les moyens aux forces de l'ordre de faire le travail. Tout n'est que com'. Et ce n'est pas le récent commissariat véritable four en plein été orienté plein sud, sans clim, bourré de mal façons qui changera quelque chose.
30 ans plus tard, l'Etat laissant pourrir la situation, les jeunes caïds à la tête vide se transforment parfois en terroristes manipulés à distance, et font malheureusement la une des gazettes... et porte préjudice à une ville pourtant formidable et des atouts majeurs. (patrimoine, nature, tolérance entre communautés...). Une triste réputation qu'elle ne mérite pas.
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