Jemima Morrell, Voyage dans les Alpes, 1863.
Lire un récit de voyage déjà daté n'a rien d'ennuyeux ou d'inintéressant. Celui-ci, trouvé par hasard dans les bureaux du célèbre Thomas Cook, offre un témoignage de la naissance du tourisme et de l'alpinisme, et nous donnent à entendre la vision qu'avaient les voyageurs de l'époque des régions montagneuses qu'ils entreprenaient de visiter. L'auteure et sa petite troupe, surnommée le "club alpin", rien que ça, part de l'Angleterre, la fleur au fusil, pour se rendre en bateau en France. Ensuite, le train les emporte jusqu'à Genève. Le parcours se poursuit en diligence ou en voiture par Bonneville et Cluses. Et puis, les voilà à Chamonix. Là, Jemima nous fait une description détaillée, sans doute sa qualité de peintre, des sommets environnants. L'ascension qui les mène jusqu'à la Mer de Glace m'a rappelée celle que j'avais faite dans mon enfance. Le passage par Le Chapeau. Le monde. Les affolés du glacier qui se précipitent sur la langue de glace, cheminant entre les crevasses. Jemima est assez moqueuse envers ses compatriotes qui se prennent pour des as de la grimpette. Ces champions en pleine illusion sont totalement dénués de modestie et ils en prennent pour leur grade. Je remarque que, très en avance pour l'époque, l'auteure décèle déjà dans le comportement des premiers randonneurs, immortalisé par la désormais célèbre expression du "j'ai fait", l'orgueil de la performance qui relègue au second plan l'admiration face aux beautés du paysage. D'un autre côté, même si elle est reste lucide quant à son statut de touriste privilégiée, Jemima exprime aussi le mépris, voire le dégoût qu'elle ressent pour les populations locales, toutes décrites comme des crétins crasseux, des pouilleux et des goitreux. Elle envoie paître des jeunes filles qui vendent des cerises, préfigurant ce que seront les touristes du futur : des inadaptés sociaux en recherche d'exotisme et évitant par tous les stratagèmes le désagrément d'avoir à côtoyer des autochtones.
Pardonnons à Jemima, nous sommes aux balbutiements des voyages d'agrément et ce qu'elle nous dit ensuite de leur longue marche de Chamonix à Martigny m'a transportée. Je les connais pas coeur, les virages de cette route, le passage par Trient, le panorama qu'on en a de Martigny dès le passage du Col de la Forclaz : les coteaux plantés d'arbres fruitiers ou de vignes, le vent chaud de la vallée qui remonte et le Rhône qui s'étend comme un serpent tout en bas. A partir de Sierre, la suite de ses aventures reste dans le domaine du fantasmé pour moi. Au lieu de bifurquer vers le sud et le Val d'Hérens, le Cervin et Zermatt comme j'ai coutume de le faire, Jemima s'oriente vers le nord et la magie de l'Oberland. Les grands lacs, les glaciers, les chutes d'eau, les sommets, tout semble plus beau, plus grandiose qu'ailleurs. Ce qui me fait germer une idée dans la tête...
Tout s'achève par Lucerne, puis Neuchâtel et le retour en train vers Paris, en passant par Pontarlier et Dijon. La visite de la capitale me laisse de marbre. Comme mes amis aventuriers anglais, mon esprit est resté en Helvétie. Et je me dis : tiens, et si, un été, je prenais comme eux trois semaines de ma vie et que je refaisais ce périple ? Pour voir ce qui a changé. Pour voir ce qui demeure. Pour m'imprégner de la belle Suisse plus longtemps et plus profondément que d'habitude ? Et si, plus tard, je proposais cela à un éditeur ?...
Au-dessus du Col de la Forclaz, dos au glacier de Trient - Valais suisse
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