Camille Bordas, Partie commune, 2011.
Encore un petit bijou que ce roman, qui est plus est d'une jeune auteure, Camille Bordas. C'est déjà son deuxième opus et la maîtrise est telle qu'on se demande quelle vieille âme se cache dans le corps de cette jeune femme-là.
Partie commune, c'est l'histoire d'une maison, plus que celle des personnages qui y transitent. Plusieurs générations s'y sont succédées, jusqu'à ce que la maison finisse par être délaissée, mise de côté, presque oubliée. Mais il ne s'agit pas d'une bâtisse comme les autres. Tout d'abord, elle parle. Oui, vous entendez bien : cette maison s'exprime ; tout comme l'eau de la rivière, la tasse, la porte... Camille Bordas donne aussi la parole à divers objets, dans de brèves interventions, comme des touches de peinture sur une grande fresque, des notes de couleur, mi-humoristiques, mi-philosophiques. Étonnant. Mais revenons à cette maison : véritable narrateur à part entière puisqu'elle est la voix de l'histoire familiale, elle capte les personnalités de ceux qui vivent sous son toit et parvient même à communiquer avec certains d'entre eux. Par ailleurs, le roman se divise en trois parties, suivant les trois narrateurs "humains" qui se succèdent : Joseph, Isis et Hector, chacun ayant un lien tout particulier avec ce bâtiment dans lequel il évolue. Joseph, c'est le petit-fils, le dernier membre de la famille qui côtoiera cette maison. Isis, jeune femme en marge et en difficulté, arrive sur les lieux un peu par hasard. Elle n'en repartira jamais. Quant à Hector, il s'agit du nouveau propriétaire, qui débarque avec son étrange troupe de théâtre. Ensemble, ils projettent de transformer la maison en salle de spectacle et d'y jouer des pièces improvisées, des représentations uniques. C'est à partir de ce moment et avec ce groupe de personnages, auquel Isis s'est greffée, que le récit devient époustouflant. Chaque figure est magistralement mise en relief par l'auteur, qui sait représenter les clair-obscurs de ses protagonistes, les ombres et la lumière, les failles et les étincelles de chacun d'entre eux. Le portrait d'Isis est évidemment celui qui est le plus mis en exergue, notamment par le fait qu'elle assume une grande partie de la narration. On y découvre une jeune femme complexe, blessée, ébréchée, touchante, à l'âme de roc et de porcelaine.
Camille Bordas signe là un roman inclassable, qui emprunte à la fois au théâtre, par la multiplicité des narrateurs et des voix qui nous ramènent parfois au chœur antique de la tragédie ; à la peinture, grâce à ses touches multiples, cette manière de peindre ses personnages plutôt que de les faire trop parler ; et à la photographie, avec cette utilisation de la lumière et de l'ombre. Un livre tout en nuances, servi par un style ample, maîtrisé à la perfection, d'une maturité de vieille conteuse amérindienne. Une oeuvre totale.
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