"Les trois provinces de notre versant - Labourd, Basse Navarre et Soule - sont intégrées dans l'unité française, aussi substantiellement, n'en déplaise à quelques agités locaux, que la Bretagne ou la Provence".
Cette citation d'un ouvrage publié en 1948 et intitulé Pays Basques, volontairement au pluriel, en dit long sur le nationalisme à la française, la façon dont on a renié les cultures et les langues locales pendant une très longue période ; mais cela induit aussi une question que l'on est en droit de se poser : existe-t-il une identité basque ? Nous ne prétendons pas ici nier les particularismes culturels, ni les élever au rang de caractères pouvant relever de la constitution d'une nation. Une quelconque prise de position radicale n'est pas l'objet de cette chronique... et nous détestons nous faire des ennemis. Or, notre bref mais intense passage au Pays Basque nous a mis la puce à l'oreille. Penser, voir, déconstruire sa pensée, approfondir, démêler la complexité, parvenir à une approche de compréhension. Voilà ce que l'on se propose de restituer ici : la naïveté de voyageurs soudain éclairée par la réalité.
Vu de l'extérieur, le Pays Basque affiche une certaine unité : architecture des maisons à pans de bois, couleur rouge sang et vert sombre sur les volets et aux fenêtres ; omniprésence du fronton au centre de chaque village et donc unité dans le sport ; langue, gastronomie, etc... On a vraiment l'impression d'être ailleurs, plus vraiment en France. Mais, lorsqu'on voyage, on sait bien qu'il est essentiel de gratter le vernis pour entrevoir ce qui se cache derrière les clichés. Car, derrière le gâteau basque et la piperade, derrière ces panneaux bilingues et ce mur de pelote qui est plus important que la mairie française, derrière ces articles de presse relatant les violences de groupes armés nationalistes, se cache une diversité, une multiplicité étonnantes.
A notre grand étonnement, nous apprenons que de langue basque, il n'y a point. Bien sûr, on parle basque, mais chacun parle un basque différent. Dans chaque province, voire dans chaque vallée, il existe une variante de basque. Parfois, on se comprend. D'autres fois, pas tellement. On interroge : mais alors, quel est donc ce basque que l'on enseigne dans les "ikastola", ces écoles privées sous contrat avec l'Education Nationale ? Il s'agit en réalité d'une sorte de compromis entre différents patois et que l'on nomme "euskara batua", créé dans les années 60. Eh oui : pour prétendre accéder au rang de nation, encore faut-il causer le même langage, car on sait bien que l'idiome est un gage d'unité (sur ce point, on peut suivre l'excellent exemple de la France qui, pour rassembler et soumettre ses sujets, a bien pris soin d'universaliser sa langue, de l'étendre et de l'imposer par la force à tout le territoire). Or, cette prétendue langue "unifiée", tous n'y adhèrent pas. Les vieux y sont assez réticents et chacun tient personnellement, intrinsèquement à son patois local. De là à dire que le "euskara batua" est une illusion créée de toutes pièces pour servir une plus ou moins noble cause, il n'y a qu'un pas. Et puis, difficile de s'identifier à une langue dont on ne sait pas trop d'où elle vient, ni de quelle Histoire elle tire son origine...
De même, chacun revendique ses pas de danses, sa spécialité culinaire, son costume, son artisanat. En résumé, on est toujours plus basque que son voisin. On comprend alors que l'unité apparente dissimule en fait de fortes tensions internes. Mais alors, sur quelle "culture basque" s'appuient donc les indépendantistes ?
Il ne faut pas le dire trop fort. A voix basse, en jetant des regards méfiants à droit et à gauche, on n'est pas tellement basque "pour", mais "contre", "en réaction à". Basque par opposition aux Béarnais (d'ailleurs, dans les cours d'école, il ne fait pas bon être un bâtard), basque contre le centralisme français, basque envers et contre tous. Par exemple, lorsqu'on est un basque agacé, on vote aux élections locales, mais pas plus. A la présidentielle, on ne vote pas. Cela ne nous concerne pas. Or, tous les Basques ne sont pas nationalistes. Tous les Basques n'ont pas envie d'appartenir à une nation uniformisée et qui aplatirait la diversité linguistique et culturelle de cette région si complexe. On nous a même confié, toujours à mots couverts, que si, un jour, sur un malentendu, l'indépendance était effective, elle rassemblerait une telle hétérogénéité sous une même bannière qu'elle exploserait. Mais chut... Sujet tabou.
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