mardi 11 septembre 2018

Fortune de mer

Jean -Luc Coatalem, Fortune de mer, 2015.

Je me suis pris Ouessant en pleine face. Récit en plein vent que cette tragédie en trois actes, trois jours de pluie et de tempête où le climat rend fou et pervertit les esprits. Ce qui frappe, c'est que tout est vrai. Cette entreprise qui fabrique du miel à l'aide des précieuses abeilles noires ; ce chanteur déjanté et alcoolique amoureux d'une jeune concurrente de la Star Académy ; cette assemblée de druides et ce mariage traditionnel ; et cette journaliste espagnole venue couvrir l'événement. Tout semble en ordre, palpable et pouvant entrer dans nos codes mentaux. Or, on sent bien que les méninges déraillent, que les sens sont en alerte et que quelque chose de pas beau est sur le point de se passer. Difficile de parler de ce livre sans en raconter l'histoire. Parce qu'il y a bien une trame, une trajectoire de ces personnages qui sont presque tous des anti-héros. Mais, au-delà de ça et en se gardant bien de dévoiler le fin du fin - le comprend-ton vraiment, d'ailleurs ? - c'est la dimension mythologique qui importe. La polyphonie des narrateurs, les légendes et les croyances qui altèrent la réalité et se font aussi vraies qu'elle. C'est ce glissement des perceptions sur un terrain tellement bien préparé par l'écrivain qui nous fait franchir le pas sans même nous en rendre compte et adhérer à des choses qui dans un autre lieu nous auraient semblé inadmissibles. Sauf qu'à Ouessant, on admet tout. Parce que c'est l'île, la véritable protagoniste. Ce bout de terre au-milieu de nulle part qui est un petit monde en dehors du monde réel, un lieu mythique, battu par les rafales, noyé par le déluge et dans lequel les âmes se révèlent dans ce qu'elles ont de plus noir. On en tremble encore. D'autant plus que la fin ouverte, floue, indécise, poétique, nous laisse un goût de sel et de sang dans la bouche et que, comble du chef d'œuvre, on ne s'en défait pas. Une fois la dernière page tournée - et rapidement, parce que le livre se dévore -, on s'interroge, on s'identifie rétrospectivement, on questionne nos propres cauchemars, nos tensions internes et nos instincts primitifs. Coatalem nous bluffe, nous coupe le souffle, nous secoue comme une barque en pleine mer et nous rejette sur le rivage lessivés, chancelants, séduits. 



Une fortune de mer
Qui dérive dans les rouleaux
En fredonnant un air
Qui rappelle la douceur de tes mots
Une fortune de mer
Tout au large de Concarneau
Qui ne sais plus trop quoi faire
Pour que tu l'remorque à nouveau
Une fortune de mer 
Au large de l'Atlantique
Sur qui s'abat le tonnerre
La douleur est parfois magnifique
Une fortune de mer

Une épave sur les flots
Dis-moi à quoi ça sert
De m'être accroché a ta peau
Un homme qui récite des prières
Pour que tu reviennes à nouveau
J'aurais dû le faire avant hier
Mais je n'ai pas su trouver les mots
Je t'ai perdu Esther

Et je me suis jeté dan les flots
et j'ai rejoint la mer
Tout au large de Concarneau

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