Henriette Walter, L'aventure des langues en Occident, 1994.
Une langue, c'est déjà un voyage. Appréhender les différents accents, les intonations et le vocabulaire particuliers d'une région, c'est déjà prendre conscience de la diversité à l'intérieur d'un même pays. Étudier les ressemblances de construction et de lexique entre différentes langues, c'est comprendre que les frontières politiques sont artificielles et que les frontières culturelles sont perméables. L'histoire des langues et de leur évolution met un coup de projecteur sur la nécessité de voir, avant toute chose, tout ce qui nous unit à l'autre plutôt que ce qui nous divise. Étude des langues = plein feux sur la tolérance.
Cet excellent ouvrage nous transforme en découvreurs de territoires, en ethnologues, en historiens. On a presque l'impression d'une enquête. D'abord le grec, les langues celtiques, puis celles issues du latins et les langues germaniques. On réalise que le fait d'imposer à un territoire national un seul et unique idiome est une utopie, plus, une décision totalement arbitraire, souvent élitiste. Pourquoi le florentin de Dante en Italie ? Pourquoi la langue de Paris ? Et par la suite, que deviennent toutes les autres, celles qui sont niées, oubliées, reléguées au rang de mendiantes ? Ceux qui se targuent de parler une langue pure sont à mille lieue de la réalité. Car, comme le dit l'auteur en conclusion :
"Il ne faudrait pas oublier qu'un emprunt, tout comme une création, constitue toujours un enrichissement et un renouvellement des possibilités d'expression. Tant qu'il y aura des langues, elles continueront à échanger leurs mots sans craindre de perdre leur âme, car une langue qui vit est une langue qui donne et qui reçoit."
Il serait tellement beau d'appliquer ce discours et cette façon de penser à la culture. "Une culture qui vit est une culture qui donne et qui reçoit". Finalement, c'est dans un livre assez technique, linguistiquement parlant, qu'apparaissent des vérités implacables sur le besoin de tolérance et l'absurdité du racisme. Puisque la pureté n'existe pas. Puisque nos origines linguistiques (et par extension géographiques) sont entremêlées depuis des millénaires.
L'auteur met également un joli coup de pied dans la fourmilière dans un paragraphe passionnant sur l'orthographe française. Que ceux qui crachent leur venin sur la réforme actuelle ouvrent grand leurs oreilles (j'étais de ceux-là, je n'en suis plus après cette lecture) : souvent, l'orthographe n'a absolument rien à voir avec l'étymologie. Si l'on a rajouté des lettres, on a souvent fait des abus. Aucune justification, par exemple, au fait que nénuphar s'écrive avec "ph", puisqu'il ne vient pas du grec mais du persan "nelufar". De quoi faire réfléchir ceux qui crient au scandale à chaque tentative de simplification. L'ignorance qui plane autour de notre si belle et si riche langue française fait ressembler ces conflits à des "guerres de religions", dixit l'auteur.
Au terme de cette lecture, on a l'impression d'avoir appris, d'avoir évolué et surtout d'avoir...voyagé !
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