mercredi 18 mai 2016

Orphelin des mots

Gérard Louviot, Orphelin des mots, 2014.
Il faut que je vous parle de ce bouquin ! J'avoue avoir regardé l'émission de Michel Drucker avec Renaud... Oui, je sais, ce n'est pas très Arte et tout et tout, mais ça a du bon, puisque Gérard Louviot était invité. Pourquoi ? Parce que c'est son idole (en l'occurrence Renaud, pas Michel Drucker) qui lui a permis d'aller de l'avant, qui lui a donné, par les mots qu'il n'avait pas, la force de se battre. Car Gérard a appris à lire à 35 ans. Avant, son enfance, son adolescence, n'ont été que de longues années de galère pour se cacher, dissimuler à tout prix ce handicap. Le livre raconte tout ça dans les moindres détails et l'école de la République (égalité des chances, etc, etc...) en prend pour son grade : bonnet d'âne, coups de règles, humiliations et refus de prise en compte des enfants en difficulté scolaire. 
On se dit que c'était il y a un certain temps, que les choses ont changé. Méfions-nous, le spectre du cancre, de l'idiot qui refuse d'apprendre n'est pas très loin ! Quand on sait combien d'années l'institution met parfois à se soucier du cas d'un élève à la traîne alors qu'on lui envoie des SOS depuis des lustres, il y a de quoi s'inquiéter. On a voulu une école unique, on l'a. Seulement, si du coup on ne rentre pas dans le moule, il y a de quoi se faire des cheveux blancs dès la maternelle. Enfin, c'est un autre sujet. Toujours est-il que Gérard se retrouve dans un IEM, une structure spécialisée pour les enfants atteints de différents handicaps (le sien, la dysphasie, ne sera diagnostiqué qu'à l'aube de la quarantaine, quand l'un de ses enfants lui-même en difficulté scolaire et atteint de ce trouble fera naître la lumière dans l'esprit d'un orthophoniste attentif) et où des professeurs bienveillants tentent de lui redonner confiance en lui. Et puis, c'est le grand saut dans la vie active et tout s'écroule. Gérard a peur, oublie le peu de choses qu'il a apprises. Alors, il développe toutes sortes de stratégies pour se planquer et que personne, ô grand jamais, ne découvre qu'il ne sait ni lire, ni écrire. Il va lui en falloir, du chemin, pour rencontrer enfin des oreilles attentives qui vont l'encourager et le guider, jusqu'à ce qu'il franchisse le cap de raconter son histoire en public. Entre temps, ce sont des heures et des heures de lecture minutieuse du dictionnaire, d'affichage des conjugaisons dans ses toilettes et de doutes à réprimer. Mais il a du courage, Gérard, plus rien ne l'arrête. Comme bande son de sa route semée d'embûches, il y a Renaud, celui qui lui prête ses mots, qui dit à sa place ce que Gérard ne parvient pas à exprimer. 

Autant vous dire que j'ai été passionnée par cette lecture et que cela a déclenché chez moi une réflexion déjà bien entamée sur le rôle de l'école, notre rôle à nous, professeurs, notre beau métier si souvent critiqué mais parfois si dur à exercer, et sur les stratégies à mettre en place pour mener tous les élèves, non pas vers un même niveau ou objectif, mais vers ce qui correspond à chacun dans ce qu'il a de plus personnel. Stratégies aujourd'hui trop souvent ignorées par une institution qui songe plus à faire du chiffre, à mener tout le monde au Bac dans le même wagon, quitte à en piétiner un certain nombre. Que voulez-vous, on a droit à un pourcentage de perte... Ah et puis allez, je me lance ! Moi ce que je voudrais, c'est qu'on cesse d'être hypocrite et qu'on pousse les élèves qui sont doués, qui ont faim et soif d'apprendre, sans les obliger à rester dans la moyenne. Ce dont je rêverais, c'est qu'on cesse de bannir l'élitisme. Et mon souhait le plus fou, ce serait de pratiquer une autre forme d'enseignement pour les gamins qui sont en galère. Le système n'est pas fait pour eux ? Et alors ? Inventons-en un autre ! Je suis convaincue que si je faisais avec eux de la cuisine, du bricolage, de la musique, des balades en forêt, tout ça en espagnol, ils se débrouilleraient comme des chefs à l'arrivée. Ok, je redescends de mon nuage et vais préparer des cours "comme il se doit"... 
Et puis tiens, "c'est un don du ciel, une grâce, qui rend la vie moins dégueulasse, qui vous assigne une place plus près des anges que des angoisses..."

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