Jean-François Chemann, K-O, le dossier qui dérange, 2010.
"Où est-ce qu'on est ? À combien en est le score ? Comment s'appellent tes enfants ?". Les questions du fameux "protocole commotion". Pour ceux qui ne suivent pas le rugby, le protocole commotion consiste en une série de gestes et de questions destinés aux joueurs qui viennent de se prendre un caramel dans le buffet. En d'autres termes, à ceux qui, après un choc, avec ou sans perte de connaissance, sont victimes d'une commotion cérébrale. Le fait est que l'incident arrive plusieurs fois au cours d'un match et que le blessé n'est pas forcément sorti du terrain. Ce que ce livre, écrit par un éminent neurologiste, pointe du doigt, c'est le manque d'intérêt que le monde sportif porte aux commotions, ainsi qu'aux conséquences irréversibles que celles-ci peuvent avoir sur le cerveau. Les sports les plus concernés sont évidemment les sports de combat comme la boxe, mais aussi les sports d'équipe dans lesquels le contact est roi : rugby, hockey sur glace et football américain où, même si leur nombre a diminué, les cas de morts sur le terrain ne sont pas rares. Trois semaines de repos après une commotion, parfois ramenées à deux par un sportif assoiffé de jeu et par son entourage (club, sponsors...) faisant passer l'intérêt financier et le résultat avant la santé, ne sont absolument pas suffisantes. Si la préface est signée par le rugbyman international Christophe Dominici, c'est que lui- même a été victime d'un choc qui l'a éloigné des terrains pendant de longues semaines, mais également parce qu'il a été soigné par le docteur Chermann. Ce dernier, plus libre de ses mouvements que les médecins des clubs, très sujets à la pression, s'est appuyé sur le cas de Dominici pour entamer des recherches sur les commotions cérébrales dans le sport. Ce sont des découvertes plus qu'alarmantes sur une pratique déraisonnable des sports de haut niveau qui l'ont conduit à tirer la sonnette d'alarme. Car si une commotion peut provoquer des séquelles, des commotions répétées match après match mettent en danger le cerveau et le corps dans son entier. L'exemple de Muhammad Ali n'est malheureusement pas un cas extrême ni isolé. "Démence pugilistique", voici le terme qui désigne les séquelles handicapantes et irréversibles dont sont victimes les sportifs commotionnés. L'enquête est passionnante, parfois trop technique pour un esprit non averti, mais menée de main de maître par un médecin voyageur qui profite des conférences qu'il donne ou écoute aux quatre coins du monde pour découvrir de nouvelles contrées. On le retrouve tour à tour la nuit, seul blanc, dans un bar louche d'un quartier chaud de Chicago à écouter de la musique ; ou encore assis dans le désert arabe à lire sur un fauteuil posé là, au milieu de rien, par on ne sait qui. Quand la médecine, le sport et le voyage se rencontrent et que le document prend la forme d'une aventure aussi scientifique qu'humaine, la lecture devient une bouchée de miel pour ceux qui apprécient la richesse de tels auteurs.
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