Romain Puértolas, L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, 2013.
Dès la biographie de l’auteur, on n’en revient pas de tout ce
que cet énergumène a pu faire dans sa vie. Un type passant des
études de langues à la police et à d’autres étonnants métiers.
On se demande si c’est bien vrai tout ça, étant donné le ton un
peu léger de l’énumération. Mais on ferme les yeux sur le trop
plein d’excentricités. On refuse d’aller vérifier, on pose les
faits comme véridiques et on décide de partir du même principe
pour le reste du roman.
Le héros, fakir de son état, imposteur devant l’éternel et au
nom aussi imprononçable que celui des meubles suédois d’un
célèbre magasin, décide de racketter son village – pardon, de
leur demander de se cotiser – afin de lui payer un aller-retour
vers l’Europe. Le but : officiellement, permettre à leur
vénéré fakir d’aller s’acheter un nouveau lit à clous, dont
l’unique modèle est produit par Ikea ; officieusement, juste se prouver que son influence sur ses concitoyens est toujours au
beau fixe. Notre héros est censé ne faire qu’un passage éclair à
Paris, seulement voilà, les choses ne se passent pas comme prévu.
Pour attendre la livraison de son lit prévue pour le lendemain
matin, il décide de passer la nuit dans le magasin. C’est sans
compter sur la mise en place de la nouvelle collection et
l’expédition de l’armoire passée de mode, dans laquelle le
fakir a trouvé refuge, vers l’Angleterre. Là, dans le camion qui
l’entraîne vers la Grande Bretagne, le protagoniste fait la
connaissance de passagers clandestins venus d’Afrique. A ce moment du
récit, le lecteur, qui avait mal aux côtes et les zygomatiques
endoloris à force d’avoir tant ri, nous y reviendrons, redevient
soudain sérieux. Nous sommes en plein drame, en pleine actualité,
et malgré le rire, nous garderons cette gravité comme un fil rouge.
Ne nous y trompons pas, nous ne passons pas du rire aux larmes et la
rupture n’est pas cassante. L’auteur ne se pique pas de nous
faire une leçon de morale bien pesée. L’absurde est toujours là,
omniprésent, les quiproquos s’enchaînent et l’incroyable voyage
du fakir à travers le monde se poursuit : par avion, par bateau
et même en montgolfière, à travers l’Espagne, l’Italie, la
Lybie. Il effectue une sorte de road trip à l’envers, puisqu’il
emprunte contre sa volonté les routes tragiques de l’immigration
en Méditerranée. Ce qui couronne le tout, en plus de l’habileté
de la construction et la subtilité avec laquelle les sujets graves
sont abordés, c’est le style. Quelle réjouissance ! Quel
menu riche en métaphores et en jeux de mots savoureux ! C’est
un vrai délice, un enchaînement de situations grotesques et de
trouvailles lumineuses. On se dit, il ne va pas oser, quand même…
et puis si, l’auteur ose, nous embarque et on le suit. Et on se
prend à rêver de voir les aventures du fakir sur grand écran…
3 commentaires:
c'est drôle, je viens de le lire, rien que parce que le titre m'a accrochée ! à quoi ça tient...
pcr
la démarche a été la même pour moi : je l'ai vu chez Landru (la librairie !) à Chamonix et le titre m'a séduite, évidemment ! Qu'en as-tu pensé ?
Je ne l'avais pas lu, j'avoue avoir eu quelques réticences (mal placées manifestement)... Votre post me donne envie de revoir ma position et d'embarquer ce fakir dans mes valises !
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