Manon Moreau, Le vestibule des causes perdues, 2011.
Et voilà, je suis arrivée à Saint Jacques ! Compostelle, Compostelle, 400 pages d'arrêt ! Fin de notre périple à travers l'histoire et la géographie. Nous sommes partis de Paris, passés par Vézelay et c'est un roman qui nous amène jusqu'au terme de notre aventure. C'est le premier opus de Manon Moreau et on peut dire que c'est une réussite. Evidemment, j'y mettrai quelques bémols, mais l'ensemble est très bon.
Les personnages qu'elle crée sont de chair et d'os, bien vivants, quoique. En fait, s'ils prennent le chemin de Compostelle, c'est bien parce que quelque chose ne va pas dans leur vie, dans leur tête. Ils sont tous un peu cassés de l'intérieur et c'est ça qui fait leur charme. Et puis, on ne sait pas tout sur eux d'entrée de jeu. On reçoit les informations au compte-goutte, au fur et à mesure, pas à pas, c'est le cas de le dire. On apprend à les connaître car c'est le chemin qui leur dévoile, à eux-mêmes et par la même occasion à nous, lecteurs, les raisons de leurs tourments, ce qu'ils se cachent et ce qu'ils nient très fort, ce qu'ils refusent d'admettre. Etape après étape, tout devient plus limpide, plus clair. Les personnages passent par des crises qui sont autant dues à la fatigue physique qu'au relâchement moral que celle-ci impose. La présence des compagnons de route, l'interaction des histoires et des blessures mettent ces-dernières en relief et rendent les vieilles peurs caduques.
Ce qui m'a le plus captivée, c'est un autre personnage et non des moindres : le chemin. Est-ce l'auteure l'a parcouru, ce chemin ? Est-ce qu'elle s'est documentée ? Est-ce qu'on le lui a tellement raconté qu'elle a fini par l'intégrer ? En tout cas, elle le retranscris, il me semble, à la perfection. Les paysages ont une présence concrète inouïe. On visite les villes et les villages, on visualise parfaitement les étapes, les refuges, les ampoules aux pieds et les sacs à dos toujours trop lourds pour les jambes fatiguées. Le roman de Manon Moreau donne une furieuse envie de se mettre à marcher, de fermer sa porte à clé un matin, de chausser ses croquenots et de partir sur les sentiers, avaler le bitume et passer des cols de montagne.
Le bémol, pour finir. Il est finalement assez mince si on le rapporte à la qualité de tout le reste. Mais, je regrette, l'emballage compte. Et l'emballage, c'est le style. C'est l'étincelle qui fait qu'un bon roman devient un chef-d'oeuvre. Eh bien, de ce côté-là, j'ai plutôt peiné qu'autre chose sur les chemins de Compostelle. Attention, je ne dis pas que le style est nul et lourd. Simplement, il manque d'homogénéité. Certaines formules, certains effets de style sont usés jusqu'à la moelle (je pense notamment à l'abus de sujets éludés) pendant une cinquantaine de pages, puis on passe à autre chose. Ensuite, ce sont des répétitions qui pourraient donner un rythme mais qui deviennent trop récurrentes et donc un peu lassantes. On ne trouve plus de cohérence. Je chipote, je sais. J'ai une fâcheuse tendance à éplucher le style des romans que je lis. C'est parce que j'écris aussi et que j'ai moi-même des tas de défauts stylistiques, des tics d'écriture que j'essaie de résoudre comme des mauvaises habitudes. On voit toujours mieux la paille dans le livre du voisin que la poutre dans son propre manuscrit...
Je termine sur une note positive : ces légers dérapages de langue sont autant de marques attendrissantes caractéristiques d'un premier roman. C'est très prometteur et aussi très émouvant de voir la recherche de style chez quelqu'un qui sait déjà si bien créer des personnages si vivants. D'ailleurs, j'ai l'impression d'en avoir déjà croisé certains sur mes propres sentiers...
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