Jean-Paul Brighelli, La fabrique du crétin. La mort programmée de l'école, 2005.
C'est un livre coup de poing, qui dit tout haut ce que certains n'osent même pas penser tout bas. Tous les sujets tabous y sont abordés sans détour. L'Education Nationale passée à la moulinette.
Première salve : dans les écoles, collèges, lycées français, aujourd'hui, on fait tout sauf apprendre. On s'y distrait.
"Prévention routière, éducation à la santé, sensibilisation à l'écologie, info SIDA, dangers du tabac, de l'alcool, des sucreries, mangez des pommes, dites non à la drogue et peignez la girafe : toutes initiatives censées éduquer l'apprenant dans le sens de la conscience collective, sans pour autant, évidemment, lui retirer son individualité. Et cela bien sûr, en majeure partie, sur les heures de cours, ces mêmes heures perdues que l'on reproche acerbement au moindre professeur en grève ou en arrêt maladie."
Par ailleurs, l'auteur fustige cette norme très à la mode dans la nouvelle pédagogie : la sortie scolaire.
"La sortie scolaire, avantage non négligeable, permet au professeur zélé non seulement de s'aérer mais aussi de prendre l'air... important, de faire de la mousse, d'être bien vu de l'inspection, apprécié des élèves, estimé des parents, surnoté par son chef, aimé de son concierge -bref, de se rendre populaire à peu de frais. Du coup, ô perversité suprême, c'est l'enseignant lambda, modestement concentré sur ses cours et sa progression, qui apparaît ringard, pelé, galeux, pauvre besogneux..."
Peu importe où l'on emmène les élèves en sortie, Disneyland et le Louvre sur le même pied d'égalité, du moment qu'on applique la directive essentielle : sortir.
Deuxième salve : le collège unique est une utopie qui repose sur un nivellement par le bas.
"L'idée que tous les élèves se valent est une fiction dangereuse. L'idée qu'ils sont "naturellement" cancres ou génies en est une autre. Il est plus que tant de réhabiliter, mais sans dogmatisme, les classes de niveaux : le collège unique a fait la preuve de son extraordinaire pouvoir de destruction."
Ainsi, pour que tous les élèves suivent, on assiste à une simplification extrême des manuels scolaires, à un écrémage intensif des
programmes. De même, on simplifie les concours de recrutement. Quand on voit
l’orthographe de certains jeunes enseignants, qui sont en fait la première génération de profs formés par
la nouvelle pédagogie, on comprend mieux l'argument. En fait, les enseignants sont maintenant surtout formés à décoder des manuels scolaires totalement encodés, dans lesquels la forme prime sur un fond qu'on ne fait que survoler. Ce qui passe à la trappe ? La culture, l'histoire, l'art, l'esthétique. En lettres comme en langues, on se contente d'inculquer aux élèves un vocabulaire fonctionnel de base. Pas de littérature. Pas de civilisation. On apprend à
acheter une tomate mais on ne connaît pas Cervantes.
C'est ce qu'on appelle le "socle commun de compétences": lire, écrire, compter,
connaître une langue vivante.
« On définit des compétences de base qui mettront l’élève
moyen juste au-dessus du niveau d’un berger allemand. »
Troisième salve : l'école au service de l'abêtissement et serviteur du capitalisme.
Les ZEP, pépinières des recalés de la "bonne société", sont certainement les lieux les plus concernés par cet abêtissement.
« Les Zones d’Education Prioritaire ne sont ni
prioritaires, ni éducatives. Une ZEP est un ghetto organisé, en général sur les
périphéries des grands centres urbains, de façon à ce que les meilleurs élèves
étudient tranquillement dans les « bons » lycées du centre-ville,
sans être dérangés par une « racaille » descendue de quelque banlieue
louche. De façon aussi à contrôler, étape par étape, les élèves « naturellement »
destinés à alimenter les gros bataillons analphabètes."
Beaucoup de moyens, des primes pour les enseignants, mais des lieux où le nombre
d’ordinateurs est plus important que le contenu des enseignements. Conséquence de cet enseignement de type colonialiste (la médiocrité dans laquelle on aime à cantonner les élèves de ZEP ressemble comme deux gouttes d'eau à celle qu'on considérait comme suffisante parce qu’inhérente à la condition inférieure des peuples colonisés), le retour du religieux et de la violence, de la part d'élèves qui n'ont plus de repères. Car, en survalorisant les cultures de la rue, l'école ne donne plus de bases culturelles et divise plus qu’elle n’unit, et produit des élèves qui
vont chercher ailleurs des réponses à leur question.
« L’école, en destituant le savoir, en laissant les
problèmes de la cité envahir le sanctuaire, sous prétexte de s’ouvrir au monde,
en « respectant » toutes les opinions, comme si elles étaient toutes
respectables, en dévalorisant le travail, en bannissant l’autorité, a condamné
à la rue tous ceux qui en viennent. »
Et c'est cette masse d'élèves abêtis, coupés de toute culture, qui vient grossir les rangs de la main-d'oeuvre low-coast, nourrie à un enseignement fonctionnel, hyper spécialisée et ultra obéissante. Idéale pour le capitalisme. Un contexte professionnel qui change tellement rapidement, qu'à peine sa formation terminée, le jeune n'est déjà plus en phase avec le marché du travail. Dépourvu de connaissances généralistes, il ne peut se réorienter ni évoluer et vient grossir les listes de ceux qui pointent à Pôle Emploi. CQFD.
Si ce que vous venez de lire vous intrigue, allez donc plus loin en lisant l'intégralité de cet ouvrage édifiant. Si vous niez en bloc toutes ces affirmations et criez au loup réactionnaire, arriéré et autoritariste, de deux choses l'une : soit vous n'avez jamais mis les pieds dans un établissement scolaire et parlez de ce que vous ne connaissez pas ; soit vous êtes en contact avec tout ce qui vient d'être dit et vous persistez à nier les faits. Dans ce cas, peut-être avez-vous de la merde dans les yeux.
1 commentaire:
Emi, profe courage : tu sais de quoi tu parles en connaissance de cause ! A ce stade y a-t-il des solutions ? A part dénoncer avec prise de risques. Depuis 30 ans les choses perdurent : je vous renvoie tous et toutes à l'enquête sociologique de Bernard Urlacher : "Apprendre,enseigner, conseiller..." Ce que la profe interviewée décrit dans le chapitre " Enseigner en ZEP" p.14 est le reflet de ce que l'on vit aujourd'hui.
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