14h35. Arrivée sur les hauts de Noirlac par un froid noir. La plaine est enveloppée dans un épais brouillard qui couvre tout et donne aux forêts alentours un air mystérieux.
14h40. Noirlac face à nous, abbaye cistercienne massive nappée de silence. On entre. Le cellier est glacial mais on devine déjà que la hauteur sous plafond sera de mise tout au long de la visite. Pierre blanche, isolement, solitude et prière. Le cloître n'est guère plus jouissif. Il fallait être sacrément accroché pour vivre ici l'enfermement au quotidien, suivre le rythme des 8 prières par jour, se rendre aux mâtines à 2h30 chaque matin et se taire le reste du temps. Manger en silence, méditer, prier et recopier des mètres et des mètres de parchemin. Le nom de la Rose. Ambiance. Rien ne distrait les moines : ni icônes, ni fresques, ni statues. Le pur dénuement. L'église aux dimensions XXL en témoigne. Le vide. Dans l'espace et dans les esprits. Ces lieux n'invitent pourtant pas vraiment à la joie dans le Christ. Ils glacent plutôt le sang. En entrant dans le réfectoire, en imaginant l'alignement précaire des lits dans le dortoir, on se sent en milieu carcéral.
15h30. Sur la terrasse, en plein air, on respire. Un rayon de soleil transperce le brouillard et traverse le quadrilatère divin de part en part. On se sent soulagé de constater que l'astre solaire ne nous a pas abandonnés dans cette prison religieuse. Les termes ne sont pas choisis au hasard : il existait un cachot pour que les moines qui ne se montraient pas suffisamment concentrés pendant les lectures ou les offices y purgent leur punition, non sans avoir auparavant reçu quelques coups de fouet. Le bourrage de crâne ne cessait jamais, impossible de s'écarter du chemin, maigre fil de foi entre le paradis auquel ils aspiraient et l'enfer qui les menaçait.
15h45. On ignore si les tilleuls tricentenaires du jardin savaient alléger la peine capitale de ces moines prisonniers volontaires. On ne sait dire si ce parc leur procurait du plaisir, de la paix, du contentement, ou bien s'il n'était qu'une obscène invitation à la liberté. Aujourd'hui, l'endroit est tranquille, mais on y devine la même ombre inquiétante qu'au sein des austères bâtiments.
16h09. Nous sommes enfin dehors. Deux oies sont passées au-dessus de nos têtes. On les a suivies. La brume s'est de nouveau épaissie. On ne verra plus le soleil. Nous laissons Noirlac derrière nous, partagés entre l'émerveillement et la sidération.
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