J'ai fait la traduction du texte pour que tout le monde puisse en profiter.
(extrait du tour du monde de Lucia y Ruben).
Aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. Je pars de
nouveau. Cela fait des mois que j'attends de faire un autre long voyage.
Toutes les odeurs, les couleurs et les
saveurs qui étaient encore frais dans ma tête, commençaient à n'être plus que
des souvenirs diffus, qui se confondaient en une pluie de lieux vers lesquels
je voulais revenir encore et encore. J'ai besoin de perdre la notion du temps,
que chaque jour de la semaine porte le même nom, ne pas savoir de quel mois il
s'agit. C'est incroyable, mais ça arrive. J'ai besoin de dimanches qui ne
soient pas tristes, et de mercredis qui ne soient pas "le jour du
spectateur"[1]. Je
veux que la seule chose qui importe soit de me demander quoi faire à chaque
instant, où dormir chaque jour, combien puis-je économiser pour manger, comment
arriver jusqu’à la prochaine ville, qu’est-ce qui m’attend à ma descente du
prochain bus, du bateau suivant, du train suivant. Je n’aime pas voler, mais je
sais que c’est le prix à payer pour qu’à partir d’aujourd’hui, chaque jour ne
soit pas un jour quelconque.
Le meilleur, quand je suis loin de tout ce que je connais, c’est
de savoir qu’à chacun de mes pas m’attend quelque chose de nouveau. Le fait que
le chemin ne soit pas un chemin appris, sur lequel je connais chaque feu,
chaque boutique, chaque coin de rue, attire mon attention sur tout ce qui m’entoure,
me rend attentive pour ne pas en perdre une miette. C’est alors que j’ai la
sensation de vivre un moment unique, que tout le reste n’a pas d’importance. Je
reconnais que je suis accro à ce mode de vie. Je suis là, dans ce lieu étranger
à mon monde, maintenant, et il se peut que je n’y revienne jamais. Je dois
savourer chaque moment, l’enregistrer dans mon disque dur pour récupérer, dans
plusieurs années, une seconde de tout ça ; une seconde qui aurait survécu
au passage du temps et qui me renvoie ici l’espace d’un instant. Je ne me
souviens pas de ce qui s’est passé il y a trois semaines lors d’un jour quelconque
de bureau, mais je veux me souvenir que j’ai été ici.
Il m’arrive toujours la même chose : il m’est difficile de m’adapter
au changement. Malgré le grand nombre d’endroits où je suis allée, je paie
toujours au début une sorte de péage. Il s’agit d’une petite décompression, ou
plutôt, une petite compréhension. Des coutumes étrangères qui me prennent au
dépourvu et auxquelles, au bout de peu de temps, je m’habitue et que je fais
miennes. La capacité d’adaptation de l’être humain ne cessera jamais de m’étonner.
Je reconnais que je n’aime pas rencontrer d’Espagnols de par le monde. Quand ça
arrive, j’essaie de ne pas parler et de passer inaperçue. D’une part, je me
sens mal de le faire, mais la vérité est que je ne supporte pas les exaltations
nationalistes à des kilomètres de distance. De plus, cette situation fait que
tout est moins authentique, moins spécial. Et, soyons sincère : quand on
se trouve à des milliers de kilomètres de chez soi, le sac sur le dos, à la
recherche de nouvelles expériences, d’une aventure, je n’ai pas envie de parler
de jambon et de tortilla avec des étrangers. Du moins, pas dans ma langue. Je
ne sais pas. On a l’impression que, parce que nous sommes Espagnols, nous
sommes obligés d’entamer une conversation qui nous ramène irrémédiablement à l’endroit
d’où nous venons. C’est quelque chose que je n’ai jamais compris. Si on se
rencontrait dans le métro de Madrid, on ne parlerait de rien ! Pourquoi
ici oui ?
La curiosité est bien curieuse. Je sens que les gens me regardent et se
surprennent parce que je m’arrête pour regarder des choses auxquelles ils ne
font pas attention. Pour eux, tout cela est normal. C’est leur quotidien. Pas
pour moi. Pour moi, un chien dans une cage avec un bol de riz, ce n’est pas
normal. Il mérite quelques minutes de mon temps et quelques photos. C’est
pourquoi je m’arrête pour regarder des choses qui, ici, sont normales, et je me
sens observée, ce qui m’amuse aussi beaucoup. Il m’est sûrement déjà arrivé, à
Madrid, d’observer quelqu’un parce qu’il était en train de prendre en photo un
vendeur de churros.
La curiosité est bien curieuse ! surtout quand elle
essaie de ne pas en être.
« Où que tu sois, fais ce que tu vois »[1]. Probablement l’un des
proverbes qui provoquent chez moi le plus d’amour et de haine à parts
égales. Je la déteste parce qu’elle est
laide, et parce que tout le monde a la bouche pleine en la prononçant, comme s’ils
se laissaient porter par elle. Il s’agit d’une sorte de violation grammaticale
socialement acceptée. Et elle me plaît, parce que c’est une vérité en
elle-même, probablement le meilleur conseil au voyageur. Un conseil qui n’a pas
toujours bon goût, qui sent parfois mauvais et n’est pas toujours confortable,
mais qui fait que, normalement, on s’intègre beaucoup plus et qu’on comprend le
pourquoi des choses. Une soupe quand il fait 40 degrés à la place du pain
grillé ? Ce doit être pour quelque chose.
La nuit. Je suis accro à la nuit, où que je sois. D’un côté, elle est semblable partout et elle
permet à un endroit de se rapprocher d’un autre. D’un autre côté, elle est
comme une machine du temps ou, plutôt, une machine de l’espace. Un peu
dangereuse, bien sûr. Elle me prend et elle m’entraîne sans prévenir, vers des
lieux où je voudrais être. Liberté et chaîne sous la lumière des néons.
Quand je voyage, j’essaie de ne pas retourner aux mêmes
endroits. Il me reste beaucoup de choses à voir et le temps va me manquer pour
aller dans tous les endroits où je veux aller. Et l’argent, bien sûr. Mais d’un
autre côté, il y a des lieux qui m’ont si profondément touchée que je les ai
toujours en mémoire. Cette sensation dépend beaucoup de ce qui s’est passé la
première fois que je m’y suis rendue : comment ont été les gens avec moi,
les expériences que j’ai vécues. J’aime penser que je pourrai toujours revenir
et que tout sera comme alors. Mais cela n’arrive jamais ! Chaque voyage
est différent. Je finis par idéaliser les lieux après y avoir été. On change.
Les gens changent, les expériences changent. Les endroits que j’emmagasine dans
ma tête sont des projections de ces expériences. Ce sont tous de bons souvenirs, même si ce n’en
était pas forcément à ce moment-là.
Bien que je sois plus attachée à Madrid, parce que ma
famille et mes amis sont là-bas, mon foyer se trouve là où je suis à chaque
instant. Il se peut que le besoin de vouloir aller dans des endroits différents
fait que, pour moi, il n’y a pas d’endroit précis que je puisse appeler « maison »,
ces quatre murs entre lesquels on accumule des choses qui nous attachent à une ville. C’est parce que je n’ai pas
besoin de vivre longtemps à un endroit pour sentir que j’en fais partie. Ou peut-être
que je n’aime pas faire partie de quelque chose pendant trop longtemps, je n’en
sais rien.
Je vis dans un état de contradiction constante. Quand je suis à Madrid, je fais tout mon
possible pour déconnecter de tout ce qui m’entoure, du travail, des gens, de ce
qui se passe. Et quand je suis loin, j’aime être connectée, savoir ce qui se
passe là-bas et raconter ce que je fais ici. C’est curieux, mais je parle plus
avec mes amis en étant à 10 000 kilomètres de distance, qu’à deux pâtés de
maison.
Aujourd’hui, je me suis levée avec un seul objectif :
voir le coucher de soleil. J’ai passé la journée à me demander où je pourrais
voir le plus beau. J’en avais tellement envie que je suis arrivée deux heures
plus tôt. Mais je suis là, à attendre sans désespérer. Je me laisse aller, sans
hâte. Parce qu’aujourd’hui, je n’ai vraiment rien de mieux à faire. Et, en
plus, je pense le refaire demain.
Aller de ville en ville, de village en village, me déplacer
d’un endroit à un autre comme les gens d’ici et avec n’importe quel moyen de
transport, fait que je me sente moins « de passage ». Quand j’étais
petite, je détestais les trajets en bus de plus de cinquante kilomètres de
distance. Maintenant, je fais des
voyages de quatorze heures comme si de rien n’était, dans des bus sans
toilettes, qui s’arrêtent dans un sale bar au bord de la route et qui ne s’arrêtent
plus pendant les cinq heures qui suivent ; avec des sièges qui n’arrêtent
pas de bouger ou qui ne s’inclinent pas suffisamment. Je sais que ça a l’air d’un mauvais plan, mais
j’aime ça. J’aime vivre ça de l’intérieur. Quand on sort un peu des habitudes,
des routes et des chemins balisés, quand on se perd, c’est là qu’il nous arrive
des choses et qu’on connaît vraiment un pays.
Il est beaucoup plus confortable d’aller d’une ville à une autre en
avion : on ne se perd pas. Mais on
perd tout ce qui se passe autour.
C’est incroyable de voir comment, selon l’endroit où on est
né, on est marqué par notre façon de voir la vie. Même si généraliser est quelque chose d’odieux
et que les comparaisons sont injustes mais inévitables, selon le pays où on se
trouve, on voit les gens plus ou moins gris, plus ou moins communicatifs, plus
ou moins ouverts. A leur manière, ils
parviennent à ce point de bonheur dont ils ont besoin. Ils y arrivent avec ce
qu’ils ont peu ou beaucoup, avec leurs connaissances plus ou moins grandes. Je crois
que la clé réside dans le fait de savoir, selon mon point de vue, s’ils sont
plus agréables, plus heureux ou plus attentionnés que moi. Voilà le repère : ce que qu’on connaît. C’est pourquoi plus je voyage, plus je peux
comparer d’autres façons de voir les choses, et plus je suis objective sur la
manière avec laquelle je dois comprendre la vie.
J’aime Madrid. C’est une ville qui me manque tellement,
comme tout cela me manque quand je suis là-bas.
Je suis enfermée dans un état permanent d’insatisfaction qui, d’un autre
côté, me libère constamment. Pour
beaucoup de gens, je suis folle. Je suis
instable, irresponsable et imprudente.
Ils ne peuvent pas vivre cette vie, ils ne la comprennent pas ou ne l’aiment
pas. Pour d’autres, je suis comme une
aventurière, parce qu’ils ont eux aussi ressenti une fois la nécessité de
rompre avec leur vie pour vivre d’autres choses. Pour moi, rester tranquille à un endroit et
regarder le temps passer, c’est renoncer à tout ce que je ne connais pas. Viendra le temps de se poser. Ou pas. Oui, je
veux fonder une famille. C’est ce que je
crois. Mais je ne sais ni où, ni quand. Ce que je sais, c’est que je
continuerais à voyager, mais avec eux.
Je leur montrerais les endroits dans lesquels j’ai toujours eu envie de
revenir et nous en découvririons d’autres
ensembles. J’ai rencontré des couples qui faisaient le tour du monde avec leurs
enfants. Deux grands sacs à dos, deux petits et beaucoup d’enthousiasme. C’est comme ça que je me vois dans vingt ans.
Rêver éveillée est une charge difficile à porter. Je crois que, d’une certaine façon, je suis
prisonnière de mon envie constante de liberté et je ne sais pas si c’est bon ou
mauvais. Je connais des gens qui sont
heureux de travailler à un même poste pendant dix ans, avec leur emprunt, leurs
vacances à Minorque durant l’été ou à l’arrière-saison. Ils n’ont
besoin de rien d’autre. D’une certaine
manière, je ressens un peu d’envie. Ils sont heureux avec ce qu’ils ont et j’en
ai de plus en plus la certitude. Je ne
le suis pas tant. Je pense parfois que je ne peux pas être heureuse à un seul
endroit. Je le serais dans cette ville qui n’existe pas, dans cette ville
construite dans mon imaginaire avec des milliers de morceaux des différents
endroits où je suis allée, de ceux qui me restent à découvrir. Je le sais. Je ne me l’explique pas.
[1] « Donde fueres,haz lo que
vieres ».
[1]
Le mercredi, en Espagne, les entrées de cinéma sont moins chères.
3 commentaires:
génial la traduction Emi ! quel beau texte
Merci ! C'est sûr que le texte me parle énormément !
Très beau texte ! je m'y suis bien reconnu.. cette envie insatiable de repartir m'oppresse également constamment. Je ne peux me satisfaire d'une vie rangée dans mon pays d'origine. L'appel de la liberté, du renouveau, des découvertes, des rencontres, des émotions ressenties, font partie intégrante de ce que j'appelle vivre intensément sa vie.
Je finirais par citer une phrase de je ne sais quel auteur : " J'étais dans une forêt. Il y avait deux chemins. J'ai pris celui qui n'était pas encore emprunté et là ma vie a commencé.."
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