vendredi 13 janvier 2017

La parole est aux expats ! Margaita, une basque à la Guadeloupe

Tout d’abord, merci de me donner la parole, je vais faire de mon mieux pour être à la hauteur de tes attentes! Je ne suis là que depuis 4 mois et demi, un peu court pour une étude de terrain approfondie. Je te livrerai donc des « premières impressions »...
En me présentant comme « une Basque à la Guadeloupe » tu mets précisément le doigt sur une question épineuse qui assaille quiconque met le pied sur ce territoire, celui de l’Identité. Une question complexe qui crispe les gens. Blancs, Noirs, Métisses, les 3 composantes de la société de Guadeloupe.

1. Réglons la question de suite : la Guadeloupe, encore l’ici ou déjà l’ailleurs ?
Peut-être en fait: France ou pas France, non?
Oui pour ce qui est des panneaux routiers, des enseignes, des panneaux publicitaires au bord des routes. Une impression de familiarité, de déjà-vu. Les mêmes produits dans les rayons. Les monuments aux morts, les drapeaux au fronton des mairies... Et bien sûr la langue.
Mis à part cela, le sentiment rapide d’une «France », certes, mais différente...
« Les Antillais ne savent pas s'ils sont des Français à part entière mais ils savent qu'ils sont des Français entièrement à part » Aimé Césaire, 1968.
Bien sûr, Césaire parlait plus là du statut des citoyens et des institutions françaises que de la condition de l’homme noir, mais ce « à part » se ressent fortement.
D'abord, un pays magnifique, un air de « Monde des tout premiers temps» qui souvent me remplit les yeux de larmes. Il m'arrive de me demander si ce que je vois est bien réel. La nature est époustouflante et donne une force intérieure, une sorte de souffle tellurique. Je t'assure, ça fait un peu prospectus New Age mais c'est vrai.
Et puis, à côté de cette merveille, des décharges à ciel ouvert, de la crasse, des carcasses de voitures, des routes défoncées, des chiens errants parfois en meute. Une incurie qui existe dans tous les pays pauvres. Un laissez-aller tout juste rafistolé par des pouvoirs locaux pléthoriques et inefficaces. Bref, une France du « Tiers-Monde » comme on disait avant, qui provoque une drôle de sentiment d'inégalité avec la Métropole où ces amoncellements de misère seraient inimaginables. Souvent je ne me sens pas « en France », je me considère presque comme une expatriée. Mais chut, ce n'est pas bien de le dire, je suis une « métro ». Pas dire « Blanc » non plus, même si les « Noirs » nous appellent comme ça. Penser mais pas dire...

2. Le soleil des Antilles, plus séduisant que le soleil basque ?
Le soleil ! Si beau, si brillant, si chaud et si brûlant parfois. Oh oui, il est plus intense que mon doux et beau soleil du Pays-Basque. Mon iruzki.
Le soleil, ici, on s'en protège, évidemment. D'abord bronzer c'est bon pour ces fous de Blancs qui veulent rendre les collègues envieux. Le bronzage c'est un peu le retour sur investissement du métropolitain en vacances. Et ça brûle.
Mais je dois t'avouer une passion coupable pour le sable blanc, la serviette et l'odeur de l'huile solaire chaude sur la peau...D’autant qu’ici les plages sont plantées de cocotiers, de raisiniers et d’autre arbres encore qui offrent une ombre merveilleuse pour lire après le bain… Une expatriée, je te dis !

3- La plage, le rhum, le zouk. Clichés ou réalité ?
Eh bien, des clichés réels.
La plage je t'en ai déjà parlé. Omniprésente. Tous les contours des îles de l'archipel. Sable blanc, sauf à portée du volcan où il est gris, moins avenant peut-être.
Le rhum, une merveille. Sans rien d'autre qu'un peu de sucre de canne et un quart de citron vert pressé. Le bonheur des sens, lorsque la nuit tombe, tôt, et que les grenouilles commencent à crier, fort. Je ne sais pas si elles coassent ici, ça fait plus stridulation aiguë. La bande sonore des Antilles.
Le zouk... comment dire... peut-être ne suis-je pas encore assez acclimatée. Disons que je fais comme les Antillais avec le soleil, je le fuis. Danse lascive, hyper cliché pour le coup, esthétique fluo années 80. Pas mon truc vraiment.

4. Qu’est-ce que tu gardes et qu’est-ce que tu jettes ?
Je prends tout. D'abord parce que je n'ai pas le choix (ce qui rend sage) et parce que ça romprait l'équilibre.
Enfin quand même... pour moi comme pour tous, j'éliminerais bien jusqu'au dernier cette punition de la nature qui accompagne ces contrées paradisiaques, ce vampire domestique qu'est le MOUSTIQUE, qui en plus semble adorer les peaux exotiques qui embarquent à Orly Sud... A nous trois nous avons déjà dû donner des litres de sang, une plaie.
Je jette aussi une conduite fantaisiste sur la route (¡Madre mía !je me demande si on enseigne ici le même code que là-bas, à voir...), des embouteillages permanents, des voitures sans feux stops, partout tout le temps.
Je jette la violence bien sûr. Réelle et en progression au dire des gens d’ici. Une violence de pays pauvre, des mômes qui tuent pour une bagnole. Flippants les récits de la presse à sensation, l'unique presse d'ailleurs. Je me tiens sur mes gardes, sans exagération.
Je jette les grosses chairs flasques et roses des touristes qui répugnent à s'habiller et à se chausser, au motif qu'on est sous les tropiques. Beurk.
Mais je jette aussi en face cette espèce de pudibonderie, corollaire je suppose des bondieuseries répandues par d'innombrables églises, temples et autres lieux de cultes qui pullulent et crient « Repentez-vous » à tous les carrefours, proprets dans leur chemise blanche amidonnée.
Je garde l'air, le ciel, la lune qui croît et décroît non pas verticalement mais horizontalement; ce qui fait qu'à la lune montante il y a un joli sourire dans la nuit noire comme du charbon.
Je garde les tempêtes phénoménales les éclairs sublimes et le tonnerre qui fait trembler les murs. Car j'aime que ma fille se glisse dans mon lit, la nuit, parce qu'elle a peur...
Je garde le poisson grillé et les beaux fruits comme s'ils étaient peints, même si je n'aime pas trop en manger.


5. La Guadeloupe, une porte vers l'expatriation ? 
Oui, par bien des aspects c'en est déjà une, comme je te le disais. Être ici c'est reconnaître des détails familiers sortis de leur contexte d'origine. Le décor est ressemblant mais la pièce est tout autre. C'est une France américaine, un peu déclassée, où la nature est superbe et la ville cassée.
Il faut changer certaines de ses habitudes et revoir ses attentes, comme on l’avait fait pour vivre en Inde, par exemple.
C'est un mélange de population qui donne parfois l'impression que l'on reconstitue des scènes historiques : chacun est à sa place, qu'il le veuille ou non, on lui assigne un rôle et on attend de lui qu'il s'y conforme sans chercher à en jouer un autre. Ici, on n'aime pas l'usurpation d'identité.
Tout ça est tour à tour surprenant, beau, laid, énervant, drôle, horripilant, amusant, émouvant....
Bref, c'est un précipité de vie que je suis heureuse de partager avec cette terre et ceux qui la peuplent.

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