dimanche 22 janvier 2017

Ma part de Gaulois

Magyd Cherfi, Ma part de Gaulois, 2016.
Une claque. Une grosse claque que ce livre de Magyd, le chanteur charismatique du groupe toulousain Zebda. Cette voix enrouée et profonde se fait violente et poétique, crue et lyrique lorsqu'elle se met à écrire. Le style est d'une densité et d'une variété sans limites, un arc-en-ciel de tendances réunies, une liberté de ton, de vocabulaire, de registre et de parole qui force l'admiration. Quand il écrit, Magyd englobe tout un monde. Et le monde qu'il décrit, celui d'une cité toulousaine de l'aube des années 80 peuplée de parents immigrés et de mômes perdus de la deuxième génération, bouscule nos petites idées étriquées. 
          "Des fois, j'me dis qu'à 3000 bornes
De ma cité, y'a un pays
Que j'connaîtrai sûr'ment jamais
Que p't'être c'est mieux, p't'être c'est tant pis
Qu'là-bas aussi, j's'rai étranger
Qu'là-bas non plus, je s'rai personne."
Comme l'indique le titre, tout ou presque tourne autour de la question identitaire. Qui suis-je ? D'où viens-je ? Où vais-je ? En quoi et en qui dois-je me reconnaître ? Les jeunes de la cité sont "issus de l'immigration" et dans leur tête cela provoque un imbroglio indémêlable. A l'école, on leur dit qu'ils sont tous égaux, qu'ils sont français, mais sitôt sortis de la salle de classe, ils retrouvent leurs familles qui causent en kabyle, leurs pères ouvriers mal payés et leurs mères dépassées. Pas de blancs dans le quartier, pas de bacheliers. Pourtant, ils ne se reconnaissent plus dans les valeurs décalées de leurs aïeux, lesquels eux-mêmes leur demandent de "s'intégrer". Comment s'intégrer sans se désintégrer ? 
"J'suis pas encore allé en taule
Paraît qu'c'est à cause de mon âge
Paraît d'ailleurs qu'c'est pas Byzance
Que t'es un peu comme dans une cage
Parc'que ici tu crois qu'c'est drôle
Tu crois qu'la rue c'est les vacances."
La désintégration d'autrui, dans la cité, fait écho au propre tumulte intérieur que chacun dompte comme il peut. La colère gronde dans les esprits, les poings sont serrés et s'abattent sur ceux qui deviennent trop "français". Magyd est de ceux-là puisqu'il aime lire et que sa mère a misé sur lui pour l'obtention du premier Baccalauréat du quartier. Il dévore du bouquin et se la joue poète, glisse de la belle prose dans les poches des jeunes filles dont les grands frères viennent le tabasser ensuite. Il ne fait pas bon aimer Brassens et Victor Hugo. Être bon à l'école, s'instruire, c'est se plier aux codes des blancs et cela n'a pas lieu d'être. Magyd est donc encore plus tiraillé que les autres, se sentant à la fois du côté des laissés pour compte de la République et dans le camp des intellectuels, du théâtre et de voir plus loin que le bout de son nez. 
"Y'a un autr' truc qui m'branche aussi
C'est la musique avec des potes
On a fait un groupe de hard rock
On répète le soir dans une cave
Sur des amplis un peu pourris
Sur du matos un peu chourave."

Au lycée, il côtoie des jeunes d'autres horizons, des "français" et les portes qui s'ouvrent dans sa tête se heurtent aux barricades mentales de la cité. La place des filles est notamment évoquée, les traditions qui pèsent lourd, l'amour au grand jour ou pas, et le mot le plus obscène sans doute : l'avenir. Ensemble, sa bande hétéroclite et mixte organise le soutient scolaire, s'enferme pour réciter ou écrire du théâtre, jouer, se donner la réplique, mais Magyd a les épaules lourdes de chercher à endosser le rôle du sauveur. Car comment porter les autres quand en soi-même on ne sait pas se définir précisément ? C'est la musique qui va l'aider à se trouver. C'est le rock et la première fois qu'il chante en français. Et, enfin, la possibilité de devenir Magyd. 
Un hymne à la cité, un réquisitoire violent dans lequel certains de ses proches se sont reconnus et suite auquel ils se sont sentis offensés. Toute vérité n'est pas bonne à dire. Un cri identitaire. Une valse orientale effrénée et une course folle vers soi. Une claque. La classe. 
Les paroles de Renaud, autre idole de Magyd, illustrent parfaitement le sujet:


Et les mots de Zebda, de Magyd, qui complètent le paysage:

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