lundi 30 juin 2014

Têtes de Maures



Didier Daeninckx, Têtes de Maures, 2013.
Un bon petit polar à lire sur la plage. Il n'y avait pas de plage. J'ai pris le polar quand même. 
Le protagoniste ressemble à ces flics héros de séries télé, un peu paumé, au passé un peu noir, ombrageux, complexe. Sauf que Melvin n'est pas un flic. Il a juste eu la mauvaise idée de flirter, dix ans plus tôt, avec une jeune femme corse appartenant à une famille comme on n'en croise que dans les pays de mafia. Sans encore savoir qu'il s'agit d'elle, il reçoit par la poste un avis de décès qui le convie à l'enterrement d'une certaine Lysia. Melvin a une vie sentimentale qui prend l'eau, rien d'autre à faire que de surveiller ses affaires un peu louches sur son ordinateur, besoin d'air, alors il part pour l'île de Beauté. Très vite, il va se retrouver au cœur de conflits d'intérêts et d'histoires familiales tachées de sang qui vont l'entraîner bien au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer. Dans un pays où la vengeance est souveraine et où l'honneur prime sur la justice, Melvin va parcourir la Corse à la recherche d'explications sur la disparition de son amour perdu. 
C'est un très bon polar, il faut le dire, mais également un récit historique, puisqu'il retrace un épisode méconnu de cette région de France. C'est enfin un excellent récit de voyage à travers l'île, un road movie dans des paysages qui nous invitent à venir les découvrir. 
Un roman qu'on aimerait voir au cinéma...

dimanche 22 juin 2014

Dans le lit du Suint

A la frontière ouest du Parc Naturel de la Brenne, tout près de la Touraine et de la Vienne, nous quittons le pays des mille étangs pour un recoin totalement différent de la région, plus vallonné et couronné de forêts.
Nous nous garons dans le hameau de La Boudinière, près de Lureuil et de Pouligny Saint Pierre, le pays du fromage de chèvre, joli petit groupe de maisons de pierres retranchées de la civilisation.

Très vite, nous nous enfonçons en sous-bois et nous faisons dévorer par les moustiques, notamment lorsque le chemin se confond avec le lit du Suint, cette rivière qui part des étangs et va se jeter dans la Creuse après Tournon Saint Martin. Les ronces ne sont pas non plus très clémentes avec nos mollets, mais les paysages qui se présentent à nous sur le plateau valent le sacrifice. Nous sommes maintenant en hauteur et dominons une étendue impressionnante de bois d'un vert sombre et dense. 

Plus loin, c'est une infinité de champs de blé, d'orge et de colza qui dessinent le paysage. Les engins agricoles commencent déjà la moisson et ces mastodontes ronflant et grognant diffusent tout autour d'eux une poussière jaune et une odeur âcre d'été. Croquer des graines de colza et sentir la terre vous envahir, et sentir qu'à vos pieds vous poussent des racines, ou encore que les vôtres vous chatouillent de tant vouloir venir rejoindre celles des semences d'ici... Perdus dans les champs, nous n'imaginons même plus qu'il puisse exister du bitume.


Deux heures plus tard, nous voilà de retour à la voiture, repus de montées et de descentes, d'essences multiples, de papillons multicolores et de paysages étonnants. La Brenne sans les étangs, un autre visage. 

dimanche 15 juin 2014

Bibracte et le Mont Beuvray

Première incursion dans le Morvan. Première d'une longue longue longue série. 
Dès Nevers, le paysage change et devient verts pâturages, douces collines, prémices de la montagne. Le Morvan étend déjà sa ligne prometteuse en arrière plan. C'est là que nous allons. Bien sûr, même si notre destination du jour est le sommet, nous prenons quand même note de quelques villes dans lesquelles s'arrêter une prochaine fois : Châtillon en Bazois, son château et ses jardins qui bordent le canal du Nivernais ; le charme tranquille de Moulins-Engilbert ; évidemment Château-Chinon et Decize. Et puis, s'il ne devait y avoir qu'un endroit à choisir, ce serait, sans surprise, le musée et la mine du village de La Machine. Un monde qui me fascine toujours autant (voir mes incursions en Bolivie mais également en Savoie et dans le Vercors, dans la section correspondante, et qui s'enrichira donc bientôt !). 
Au terme d'une charmante route sinueuse ("monter, descendre, ben oui, maman, la montagne, c'est ça !"), nous nous garons sur le gigantesque parking du musée de Bibracte. Coup de chance, nous tombons sur un rassemblement de Porsche, toute gentiment alignées là. 
Il fait beau, mais frais, le temps idéal pour une longue balade. Nous choisissons l'option "visite du site en solitaire", peu friandes que nous sommes des groupes, et amatrices de randos en tête à tête avec le caillou. Bien sûr, la visite commentée tourne autour du travail des archéologues et doit être passionnante, mais ce sera pour une prochaine fois, tout comme celle du musée, abrité dans un très beau bâtiment moderne et au contenu d'apparence très riche. 
Pour l'heure, cap sur la forêt et sur des pentes au dénivelée impressionnant. Le déjeuner dans le silence du plateau, assises contre la pierre de la Wivre, ce granit rugueux et pointu, a tout d'un festin quatre étoiles. Qu'ils sont à plaindre, les aventuriers du dimanche qui se sont contenté du maigre confort de tables et de chaises à la cafétéria du musée, quand ils avaient à disposition le plus beau restaurant du monde : la nature !
Plus loin, c'est une autre pierre qui nous attend, beaucoup moins rugueuse et plus accueillante celle-là : la pierre salvée, comme son son l'indique, est un gros caillou tout en rondeurs et qui soigne. Quand nous arrivons sur les lieux, une jeune femme l'embrasse à pleins bras, tandis que son amie nous explique que cette pierre particulière a des vertus curatives et que, rien qu'en la touchant, on sent ses bienfaits nous pénétrer. Admettons, nous tentons l'expérience. Impossible de savoir quels en sont les résultats. En tout cas, c'est doux, c'est chaud, c'est confortable comme les bras d'une maman ou l'épaule d'une grande soeur. Enfin, c'est ce qu'on en a conclu. C'est régénérant et c'est gratuit. Mère nature est généreuse avec ceux qui savent l'entendre.
En parlant de panorama privilégié, ce sont les archéologues, qui ont un bien beau lieu de travail ! Les vestiges qu'ils mettent à jour sur le site de l'antique cité gallo-romaine de Bibracte sont monumentaux et donnent une idée très claire de l'occupation du mont Beuvray et l'étendue de celle-ci. C'est un travail de cigale et de fourmi à la fois, à genoux dans la terre et le nez dans le vent. 

Enfin, au terme d'une belle balade de deux heures à travers les bois et les plateaux, nous voici au sommet, à plus de 800 mètres d'altitude et avec une vue incroyablement vaste. Comme souvent, la table d'orientation nous indique que l'on peut voir le Mont Blanc, là-bas, droit devant... mais nous commençons à nous habituer à certains inconvénients climatiques ou végétaux qui, tant dans le Mâconnais qu'ici, nous empêchent de le voir...
Qu'importe, nous avons passé une superbe journée sur les traces des gallos-romains et nous reprendrons certainement un peu de Mont Beuvray. L'appétit d'une région vient en marchant !

vendredi 13 juin 2014

Radio Mundial

Aujourd'hui, première chronique de Radio Mundial en direct de... ben, non, pas de Rio... mais peu importe ! Radio Mundial vous livre ses premières impressions.
D'abord, revenons sur cette cérémonie d'ouverture, au cours de laquelle Jennifer Lopez est sortie d'une sphère qui s'est ouverte comme une fleur, pour interpréter l'hymne polémique de cette édition 2014. Polémique, parce qu'en anglais et non en portugais comme la logique aurait voulu. Soyons honnête, il y a bien pire qu'un hymne en anglais pour ouvrir un mondial au Brésil... il y a un hymne "chanté" par Jennifer Lopez. Et ça, c'est affreux.
Parlons maintenant du match Brésil / Croatie. Pour une équipe qui est censée gagner SA coupe du monde, quelle déception ! On a vu des Brésiliens timorés, désorganisés, fouillis en milieu de terrain, qui n'ont compté que sur Neymar pour faire le jeu. Les Croates pouvaient mener au score... jusqu'à ce que monsieur l'arbitre japonais voit Fred tomber dans la surface et siffle un penalty totalement imaginaire en faveur des sud-américains. Sans compter une faute non sifflée dans la surface qui aurait aussi permis aux Croates d'avoir un penalty et d'autres énormes erreurs. Ce matin, la presse internationale s'insurge, et la voix du sélectionneur croate en premier lieu. "Qu'on leur donne la coupe du monde tout de suite !", brame-t-il. Et il n'a pas tort. Quel mauvais arbitrage ! Quelle manière impensable de favoriser une équipe ! Mais où va-t-on ?! N'en déplaise à ses détracteurs, la vidéo est le seul et l'unique moyen de mettre un terme à ces approximations qui mettent en péril la crédibilité du jeu. Au rugby, il n'y a plus jamais de contestation depuis l'usage de la vidéo. Certes, le jeu en est parfois ralenti, mais c'est pour le bien de celui-ci.
Enfin, j'ai remarqué en allant fouiller sur le net que la plupart des pays avaient obtenu des droits de diffusion télé, certes, mais en faveur de chaînes privées et payantes. Le football, sport populaire par excellence, devient un rendez-vous d'initiés, de fortunés, d'élite. La France est par ailleurs parmi les plus mal lotis, puisque les trois quarts des matches seront diffusés sur la chaîne Bein Sport, qui appartient au groupe Al Jazeera. Pour ma part, je refuse catégoriquement de donner ne serait-ce qu'un centime aux Qataris. Vous savez, ces ahuris qui ont trouvé le moyen de faire flamber un immeuble classé qu'ils avaient racheté sur l'île Saint Louis, tout ça parce qu'ils avaient voulu y faire installer un ascenseur à grosses bagnoles ? Ceux-là même qui ont, entre autre, racheté le PSG et à qui on a ouvert très grand la porte du championnat français, pendant qu'on se pose bêtement la question de la légitimité ou non de la présence de Monaco en Ligue 1, à cause de soi-disant problèmes d'impôts. Alors que les milliards du Qatar, ben non, on ne se demande pas si leur poids ne fait pas outrageusement pencher en leur faveur la balance des budgets de clubs. Dire qu'on leur a offert sur un plateau d'argent la prochaine Coupe du Monde, alors que le climat est insupportable, que les ouvriers se tuent littéralement au travail pour construire des stades et que, surtout, le Qatar n'a jamais eu d'équipe internationale de foot digne de ce nom. Tout ce qu'ils savent du football, c'est empêcher des joueurs de quitter leur territoire, comme ça a été le cas pour le pauvre Zahir Belounis.
Vous me direz, si c'est pour regarder les matches de l'équipe de France, ces adolescents attardés et décérébrés, pas de quoi en faire tout un fromage. C'est l'un des arguments des pros du boycott, des énervés du refus. Bien sûr, la situation au Brésil n'est pas toute rose, je ne vais pas ici rouvrir le débat. Non, ce qui me fait doucement marrer, c'est qu'à force de crier au loup, les antis Mondial ne se rendent pas compte que sur Facebook, sur Twitter et sur le web en général, ils ne font que ça, en fait : qu'ils le veuillent ou non, ils parlent foot ! Les grands benêts !
Allez, bon match, en avant la Hollande et vive la RTBF qui diffuse, elle, les matches en entier, gratuitement. Tous en Belgique !

jeudi 12 juin 2014

Isaïe

Il est assis à côté d'elle. Il dort. Elle a le regard dur, absent, les traits tirés. Tout en tatouages et en bagues rutilantes, elle croise les jambes. Son pied bat nerveusement la mesure d'un rythme intérieur saccadé. 
Soudain, il s'éveille. Son visage à elle, qui jusque là était figé, s'anime en même temps qu'il ouvre les yeux. Elle lui offre le plus beau des sourires. Il se lève. On a l'impression qu'elle le regarde pour la première fois, qu'elle voit un ange à travers lui. Elle suit chacun de ses gestes comme un événement rare et précieux. Il trébuche. Elle accourt, le prend dans ses bras, l'embrasse sur la bouche et lui donne des mon chéri, mon coeur. Il rit. Elle rit aussi. Il s'échappe. Elle lui dit revient, je veux te voir, reviens ici. Il rit de plus belle. Elle part le chercher, le tire par la manche. Il revient et repart. Elle dit tu es une canaille, un vilain garçon. Il s'esclaffe. Elle exulte. Toute la salle d'attente les regarde, entre l'agacement et l'émerveillement. Ils forment un couple parfait. C'est une fusion. C'est tellement touchant que ça en devient douloureux. Ils semblent si forts et si fragiles en même temps. Elle, si mince, si douce ; lui, tenant à peine sur ses deux jambes. Isaïe, elle l'appelle, reste parmi nous, reste ici. Il s'éloigne dans le couloir et elle le poursuit et le jeu continue ainsi encore plusieurs minutes. Maintenant, toute l'attention est fixée sur eux. Ils accrochent des sourires sur les visages des autres patients, allument des étoiles dans leurs yeux inquiets. Il n'y a plus qu'eux. Plus rien d'autre n'existe que leur petite planète. 
Quand je ressors du bureau du médecin, ils ont disparu. 
J'imagine ses bras bruns et frêles de madone installant amoureusement Isaïe dans sa poussette. 

mercredi 11 juin 2014

Les petites filles du soleil

Anne Tyler, Les petites filles du soleil, 2007.
L'été est la saison où l'on n'a pas envie de lire des livres prise de tête qui font transpirer, avec des intrigues tirées par les cheveux, ouïe, ça fait mal. 
Les petites filles du soleil par Tyler
C'est l'histoire de deux familles qui adoptent en même temps deux petites filles venues de Corée. Les premiers sont des Américains moyens dans tout ce qu'ils ont de lourdingue, d'excessif mais d'attachant ; les seconds sont des immigrés iraniens avec des principes - sans doute trop - et de la délicatesse. On dirait le scénario d'une comédie de base. Pourtant, comme avec la plupart des comédies de base, la mayonnaise prend. Les Donaldson et les Yazdan vivent tellement différemment leur relation à l'adoption qu'on frise souvent la caricature. Cependant, les personnages sont bien dessinés, incarnés et l'on peu facilement s'y identifier. La relation entre les Américains de souche et les immigrés en dit long sur les Etats-Unis, mais également la situation des primo-arrivants en général et le traitement qu'ils reçoivent de la part des natifs du pays dans lequel ils débarquent. Inévitablement, les premiers contacts se font, de part et d'autre, sous le signe des clichés, des a priori négatifs ou de la valorisation béate de l'exotisme. Dans ce roman, l'auteur va un peu plus loin que la série classique de quiproquos en explorant aussi les décalages déjà présents dans chacune des deux cultures et en les confrontant à l'arrivée de leur bébé coréen. Cela ressemble à une expérience en miroir, dont le déroulement met en relief tant les traits propres à chacune des deux familles, que les réflexes généraux face à ce type de situation : le maintien ou non d'un lien avec le pays d'origine de l'enfant ; le respect ou non de traditions propres à sa culture biologique ; la place d'étranger qui n'en est pas un, de cet Américain pur jus venu d'ailleurs. Dans le cas de la famille Yazdan, la question de la légitimité de la tradition, ainsi que la problématique de l'intégration sont mises en abîme, puisque le bébé coréen grandit dans un environnement déjà mixte, dans lequel se côtoient des Iraniens ayant embrassé le mode de vie yankee et d'autres qui ont recréé aux Etats-Unis un microcosme qui ne diffère pas beaucoup de ce qu'il pourrait être à Téhéran. Sans compter les changements politiques survenus là-bas, qui surajoutent à la complexité du panorama. 
Il en fallait, de l'audace et du doigté, pour tout poser sur le tapis et faire se laver le linge sale en famille !
La seule chose que l'on peut regretter dans le roman d'Anne Tyler, c'est cette histoire d'amour transculturelle qui est soit mal traitée, soit inutile. Mignon. Outre ce bémol, le reste est une trouvaille. 

dimanche 8 juin 2014

Circuit du Prieuré de l'Artige (87)

Huit kilomètres, c'est la distance vendue par les panneaux indicateurs... Huit kilomètres, tu parles ! Plutôt 10... Deux heures trente de marche à un pas pourtant assuré, mais les paysages en valaient la chandelle. 
Nous nous garons à l'est de Saint Léonard de Noblat, au pied du moulin de l'Artige, magnifiques bâtiments anciens superbement rénovés. Un coin de paradis pour y passer l'été, tout comme ces maisons disséminées dans une nature splendides, respectables vieilles pierres à l'ombre des grands arbres, terrasses avec vue sur les Monts d'Ambazac, sur lesquelles il devient même agréable de travailler sur ses dossiers, en ce week-end de Pentecôte... Plus loin, une colonie de Basques fait ripaille : barbecue appétissant alimenté par un camion frigo, fronton à taille réelle qui attend ses joueurs de pelote, musique traditionnelle et ambiance de fête sous la tonnelle.
Les champs d'orge entourent tout ce beau monde qui sirote des rafraîchissements au jardin. Leur couleur d'or luit sous le chaud soleil du mois de juin. Les moutons halètent au coeur de la canicule, cherchent un peu de frais entre les herbes hautes. Le maïs pointe le bout de son nez, dessinant des sillons rectilignes et propres. Le rose profond des gueules de loup ponctue de sa couleur vive les chemins plantés de châtaigniers, promesse d'un automne gourmand. Et nous marchons...




Nous montons, descendons, tournons, sans jamais oublier de nous retourner en haut de chaque côte pour admirer le paysage... et pour souffler. Non, le Limousin, ce n'est pas le Mont Blanc, mais tous les marcheurs amoureux du coin vous le certifieront, ses courbes capricieuses ont déjà fatigué bien des mollets entraînés. Nous passons de chemins forestiers en plateaux, de routes de montagne en sentiers pentus. A la fin de la randonnée, nous retrouvons la rivière et la direction du moulin. Nous nous laissons impressionner par la ligne abrupte des rochers qui creuse un canyon jusqu'à l'eau. Et, au détour d'un virage, le château de Muraud dessine sa silhouette étonnante dans la lumière. 
Quelle belle rando ! Quels paysages ! Quelle belle région !
Encore une fois, le Limousin nous séduit par la variété de ses paysages, ses ciels inégalables et ses chemins que l'on n'a plus envie de quitter...

mercredi 4 juin 2014

Une cigogne

Route Nationale, ça freine devant. Les voitures qui me précèdent s'écartent. Je devine, de loin, deux tas de pailles, ou deux mottes de terre. En m'approchant, je les dépasse : ce sont deux moutons qui gisent sur la voie de droite, en plein milieu de la chaussée. Deux beaux spécimens, pas des perdreaux de l'année. Des bêtes qui ont dû passer la barrière, s'échapper et se retrouver nez à nez avec un véhicule. Je me dis que ça devait forcément être un camion, dans le cas contraire, la voiture serait trop endommagée pour poursuivre son chemin. Quelles andouilles, ces moutons ! Et comment les éviter ? Impossible. Lancés à 90 km/heure, les conducteurs ne peuvent rien faire contre les animaux qui se piquent de jouer à la roulette russe en traversant la Nationale. Je suis à la fois contente de ne pas avoir été l'une des protagonistes de ce choc frontal avec les grosses boules de laine et désespérée de les voir allongées dans mon rétroviseur. Mais que d'insectes sur les pare-brise ! Que de hérissons écrabouillés ! Que de lapins sur le bas côté ! Sans compter les renards, les blaireaux gros comme des chiens, les chats, les faisans... Je reconnais n'avoir pas pu éviter un pigeon. En ce moment, les volatiles, pour peu qu'il pleuve et que leurs plumes soient lestées d'humidité, ne prennent même plus la peine de s'envoler au passage des voitures. 
Que faire ? Supprimer la circulation !, dirons les plus extrémistes des écologistes, priorité à la nature ! Tant pis pour les victimes !, argumenteront froidement les pragmatiques, on ne peut pas éviter tous les imprudents ! Tout de même, on ne peut pas mettre des murs de chaque côté des grands axes pour que les bêtes ne viennent pas s'y suicider... Et pourtant, que de sang versé, de d'os cassés, de vies sacrifiées... Je n'ai pas de solution pour éviter le massacre. Pas d'alternative non plus à la voiture pour aller travailler. Je peux juste avoir l'oeil aux aguets, le pied sur le frein et le réflexe de laisser à la biche le temps de passer de l'autre côté. Le temps de voir de trop près ses beaux yeux doux. Le temps de remercier la providence de me les avoir fait croiser et de leur avoir permis de retourner à leur forêt sains et saufs. 
Je suis au volant, prise par ces considérations, quand, soudain, une cigogne. 
Ma région est un axe très fréquenté par les oiseaux migrateurs : oies, grues, cigognes. Certaines de ces dernières ne poursuivent pas leur route jusqu'aux pays du nord de l'Europe et s'arrêtent ici pour passer la période estivale. Mais les belles demoiselles sont discrètes et il faut être très attentif pour avoir la chance de les apercevoir. En voir une au milieu d'un champ, c'est un instant de magie. Quelque chose qui vous ramène inévitablement à l'instant présent. Le temps que vous vous extasiiez, il est déjà trop tard. L'oiseau majestueux est loin derrière. Il n'était pas dans le futur, puisque vous n'aviez pas prévu de le rencontrer. Il n'est pas dans le passé. Il s'est évaporé. Il n'est plus. A la seconde où vous l'avez eu dans votre champ de mire, il a été dans votre présent. Comme l'étendue de coquelicots que vous ne pouvez prendre en photo parce qu'aucun parking ne vous permet de vous arrêter à cet endroit-là, parce que dans quelques semaines il ne sera plus que le souvenir d'un mirage. Comme le château qui se montre à vous baigné d'une lumière différente chaque jour. 
La lecture du livre d'Eckart Tolle n'est pas étrangère à ces réflexions. Le pouvoir du moment présent. Vaste sujet. Ne plus vivre dans le passé qui vous alourdit de regrets, ni dans le futur qui vous fait miroiter des illusions de bonheur. Ne pas rêver de l'oiseau rare, parce que son absence vous fera souffrir déceptions et frustrations. Ne pas regretter les yeux de la biche, parce que ce moment n'existe déjà plus et que ressasser ce souvenir vous plomberait les ailes. 
Le présent, c'est votre enfant qui fait une colère, ce sont vos douleurs qui se réveillent, c'est la maladie qui vous anéantit, c'est la pluie qui vous mouille les chaussettes. 
Le présent, c'est votre enfant qui vit, c'est votre corps qui vous parle, ce sont les teintes de gris des nuages. Peu importe si hier tout allait mieux, ou si demain tout pourrait s'arranger. 
Le présent, c'est le seul moment qui existe. Pour le meilleur et pour le pire.
Et le héron qui s'envole...

dimanche 1 juin 2014

La prof

Enlevez-moi mes meubles, mon frigo, mon téléphone, ma salle de bains... mais laissez-moi Arte ! C'est un cri du coeur ! Et je vais bientôt me reconvertir en critique des téléfilms allemands de la chaîne, c'est dit !
J'ouvre la critique de ce soir en disant qu'il y a en général deux solutions :
- soit on aime le livre et on aime le film

- soit on adore le livre et on trouve que l'adaptation cinématographique est foireuse.
Je vous en propose maintenant une troisième :

- on aime le film, et on voudrait le relire.
Je m'explique. Le téléfilm "La prof" est tellement vrai, tellement prenant, tellement fort, bien ficelé, riche, qu'on aimerait en faire un livre, dans lequel les détails pulluleraient, pour que jamais l'histoire ne se termine. L'histoire de deux jeunes femmes : l'une, Katia, est encore passionnée par le métier qu'elle exerce avec fantaisie et entrain ; l'autre, Andrea, sur le point de donner sa lettre de démission et de quitter ce navire à la dérive. C'est la rentrée, Katia se fait tirer dessus par l'un de ses élèves. Elle est grièvement blessée, dans le coma. Andrea se voit obligée de reprendre la classe de son amie et par là même de faire face aux traumatisme des élèves, au mal être de ses collègues et à sa propre douleur. Tous les jours, Andrea se rend au chevet de Katia pour lui parler, lui raconter ses doutes, ses craintes, ses petites victoires. Qu'est-ce qu'on aimerait que ces conversations soient développées, enrichies ! Parce qu'on sent toute la profondeur des personnages et qu'on voudrait les sonder encore et encore, les entendre se livrer, se dévoiler peu à peu. Combien de centaines de pages serions-nous prêts à lire sur la réalisation du projet de jardin au sein du collège, sur comment Andrea manœuvre ces adolescents sous le choc, de quelle pédagogie elle doit user pour désamorcer les bombes ! 
Evidemment, le film peut se suffire à lui-même. Mais il y a des moments où en veut encore plus tellement c'est bien. La littérature et l'écriture cinématographique sont parfois très proches... C'est que je me dis tous les jours en écrivant ! D'ailleurs, plutôt que critique de téléfilms allemands, pourquoi pas plutôt scénariste ?...