lundi 27 mai 2013

Travail, famille ?

Discussion avec des adolescentes de douze ans :

"Madame, pour faire prof, pas besoin du Bac ? 
- Ben si !, même Bac plus 5 !
- Ah bon, parce qu'on m'a dit qu'on pouvait juste faire le lycée et après ils nous engagent.
- Ah oui ? Eh bien non !
- Moi, madame, je veux faire coiffeuse, je veux ouvrir mon salon.
- C'est une super idée !
- Il faut quoi comme études pour être coiffeuse ? 
- C'est assez court je crois.
- Ah, tant mieux. Parce que ma cousine, elle a arrêté l'école à 14 ans. Moi aussi, je veux arrêter tôt.
- Oui, enfin, c'est 16 ans, pour arrêter.
- Oui, voilà.
- Mais qu'est-ce que tu fais ensuite ! Rien, tu n'as pas de diplômes !
- Ma cousine, elle va se marier.
- C'est pas un diplôme, ça ! ça ne l'avance pas à grand chose ! Et puis, si elle se sépare, elle n'aura pas de métier !

- Oui...  mais bon...
- Mais, tu sais, pour avoir ton salon, c'est plus compliqué, il faut bosser dur.

- Oui, oui, je sais. Mais, de toute façon, c'est juste pour quand je serai jeune.
- Pourquoi ? 
- Après, avec les enfants, on ne peut plus travailler.
- Ah oui ? Tu crois ? Mais si, on peut !

- Ben non, madame, ensuite, il faut rester avec les enfants à la maison.
- Oui, enfin, tu sais, il y a beaucoup de femmes qui ont des enfants et qui reprennent le travail très vite.


- Oui, mais bon, le travail, les enfants, le mari, la maison, on ne peut pas tout faire.
- Ben... si ! La plupart des femmes font ça !

- Mais, madame, moi je sais que beaucoup d'hommes préfèrent que leur femme ne travaille pas.
- Ah oui, madame, c'est vrai ça !
- Mais, les filles, battez-vous ! Vous aussi, vous avez le droit d'avoir une vie en dehors de chez vous ! Et puis, votre mari, il peut vous aider, aussi !
- Oui, c'est vrai... Mais, quand même, je ne vais pas lui laisser faire tout. Non, vraiment, il peut m'aider pour quelques trucs, mais la maison, quand même, ce sera moi...
- ..."

Je vous laisse juger par vous même de l'étendue de la résignation des jeunes filles au rôle que les hommes leur attribuent... Et les mentalités ne sont pas prêtes de changer. On le voit notamment parce que ces  conversations sont totalement décalées : d'un côté, leurs propos sont huilés, récités ; de l'autre, les miens semblent totalement extra-terrestres. Y a-t-il encore une individualité dans ces corps de princesses ? 

dimanche 26 mai 2013

Los mercaderes del Che

Alex Ayala Ugarte, Los mercaderes del Che, 2012.
Il est étonnant de se rendre compte que l'un des livres les plus vendus en 2012 en Bolivie a été écrit par un Espagnol et qu'il ne s'agit pas d'un roman mais de chroniques journalistiques. Mais Alex Ayala n'est pas un Espagnol comme les autres, puisqu'il a décidé, alors qu'il était arrivé dans le pays un an plus tôt avec une bourse en main, de rester en Bolivie. C'était en 2001 et, depuis, il a collaboré à plusieurs journaux, a notamment été directeur du supplément dominical du journal La Razon, ce qui ne fait qu'accréditer son grand talent. De plus, si son livre est composé de chroniques, elles sont rédigées dans un style si fluide, tellement bien écrit et si éloigné de la médiocrité de ce qu'on peut malheureusement lire aujourd'hui dans certains journaux boliviens, que l'on est aussitôt happé par les pérégrinations de ce journaliste hors normes. Alex Ayala choisit en effet pour cet ouvrage un axe totalement inattendu. Il est allé chercher, fouiller, investiguer dans les petits recoins de l'Histoire, pour y dénicher les récits de personnages incroyables, de faits qui, malgré leur apparence de détails insignifiants, en disent long sur les grands événements historiques contemporains ou plus anciens. Du tailleur des présidents boliviens à l'équipe de football d'El Alto séquestrée dans son stade par les habitants, en passant par le roi noir des Yungas, les souvenirs laissés par Pablo Escobar et les témoins des dernières heures du Che à La Higuera, nous suivons le journaliste, l'enquêteur, à travers des rencontres fascinantes de vérité et de profondeur, écrite dans une langue qui ressemble à s'y méprendre à celle d'un bolivien du cru. C'est à peine croyable, et pourtant, tout comme il se fond dans le paysage, dans le décor et parvient à pénétrer dans l'intimité des personnages dont il raconte la vie, Ayala manie la langue de La Paz, d'El Alto avec la facilité d'un faussaire professionnel de chefs-d'oeuvre. Son oeuvre à lui, pourtant, n'est pas une falsification, et elle mérite bien tous les lauriers qui lui ont été décernés depuis sa publication. Un livre à mettre entre toutes les mains et un auteur à suivre.

samedi 25 mai 2013

Sémaphore


(Texte publié dans le numéro 77 de la revue Aura, publication du cercle littéraire Clair de Luth, Mons, Belgique)

Vert.
Tout va bien. La vie s’écoule et tu ne la sens pas passer. Elle va, elle s’en va et tu ne te rends compte de rien. Pour toi, tout va bien, tout est ok, tout roule. Tous les indicateurs sont au vert. Tu cours, tu bosses, tu ne profites de rien mais ça te convient, tu te crois heureux comme ça.
Orange.
Plusieurs emmerdes, des broutilles, rien de grave, mais quand même, ça se répète, ça se cumule, ça sent pas bon, ça use. Orange comme la rouille d’une vie, de ta vie qui s’est enrayée, qui a quelques ratés. Tu commences à te poser des questions. On t’en veut, on ne t’aurait pas jeté un sort ? C’est pas possible, tu les collectionnes ! Alors, tu te mets à douter, tu t’interroges, tu te questionnes. Le petit vélo dans ta tête, ça tourne et ça retourne, ça se rumine et ça s’enroule, ça fait des nœuds dans ton esprit et dans ton estomac. Tu vomis des doutes et des angoisses.
Rouge.
Burn out. Point de non-retour. Plus personne au bout du fil, ton cerveau se met sur répondeur, plus de pilote dans l’avion, tu sombres. Tout seul, tu coules tout seul. Laisse tomber, y’a plus rien à faire. Feu rouge dans ta petite existence qui, au fond, n’avait peut-être rien de si rose. A un certain moment de ton désespoir, au fond du trou, au bord du gouffre, tu le reconnais, tu te prends même à penser au rouge du sang sur tes poignets.
Orange.
Un rai de lumière entre les persiennes de tes paupières boursouflées de larmes, de nuits sans sommeil et de jour médicamentés. Des poussières de soleil, un lever de l’astre, le globe orange sur l’autoroute, le matin, sur le chemin du travail. Un petit rien, peut-être rien du tout, d’ailleurs, une impression, une sensation, un tout petit grain de quelque chose qui s’immisce en toi à cet instant. Et puis, chaque jour, la semence qui grandit, la confiance qu’elle ne crèvera plus aux premières gelées. Un truc comme de l’espoir mais, chut, pas trop fort, surtout, ne pas l’effrayer, faire comme si de rien n’était. Et, un jour, qui sait…
Vert ? 

dimanche 19 mai 2013

Trio Sol Andino au Menoux

De la chance. Nous avons de la chance.
Hier soir avait lieu en l'église du Menoux un superbe concert de musique des Andes donné par le Trio Sol Andino, qui a su transformer en soleil les averses qui s'étaient succédées toute la journée. Et malgré ce temps maussade, le public ne s'est pas découragé pour autant et est venu nombreux au rendez-vous programmé par l'association Les Amis de Carrasco.
L'occasion de rendre hommage à cet artiste total, engagé et éclectique qu'était Jorge Carrasco, peintre et sculpteur bolivien, à ce citoyen du monde qui avait choisi, après des pérégrinations à travers la planète, de s’installer définitivement dans ce petit village de l’Indre, où il a résidé jusqu’à sa mort en 2006. C’est ici que l’on peut venir admirer les fresques colorées et cosmiques de la petite église, l’œuvre de sa vie et le théâtre, chaque année maintenant, de différents concerts.
Hier soir, c'était le Trio Sol Andino qui interprétait des morceaux du répertoire folklorique mais surtout des compositions de ces maîtres de la musique bolivienne comme Ernesto Cavour et le suisse Gilbert Favre, qui ont donné un élan nouveau et une personnalité à chaque instrument traditionnel. Zampoñas, charango et guitare pour faire s'élever les notes dans l'aura de Carrasco, omniprésent lors de cette soirée par son souvenir, par l'amour du folklore de son pays qui l'avait poussé à créer la célèbre Peña Naira à La Paz, là où son nés tellement de compositions et de musiciens.
Comme chaque année, la couleur et les sons se sont fondus et métissés et le public a été conquis. Une soirée qui doit sa réussite à l'investissement de la famille Carrasco qui déploie toutes ses énergies à diffuser, protéger et faire vivre l'œuvre de l'artiste. Un engagement, un chemin guidé par l'amour. Wara, Okllo et madame Simone Carrasco, trois femmes lumineuses qui ouvrent les portes de l'atelier du sculpteur, de leur maison, de leur cœur sans frontières.
Vraiment, nous avons de la chance de faire un bout de route aux côtés de ces femmes-là, dans l'ombre de Carrasco.

samedi 11 mai 2013

Hérisson dans l'Allier


Le Guide du Routard n'en dit qu'une ligne, et pourtant le village d'Hérisson, à quelques kilomètres de Montluçon, mérite qu'on s'y arrête plus d'une minute. Il faut flâner dans ses ruelles médiévales et laisser le regard se glisser à travers les grilles des petites cours, dans l'entrebâillement des lourdes portes, pour saisir l'ambiance toute particulière de cette cité riche d'histoire. Tout en haut de la ville, comme un trophée, s'élève la forteresse de pierres ocre et rouges, un magnifique granit ferrugineux qui donne des couleurs incroyables au soleil couchant. Entre le XII ème et le XV ème siècle, les comtes du Bourbonnais avaient affecté ici plus de 80 soldats, qui surveillaient les entrées du Berry et de l'Orléanais. Pas un château seigneurial mais bel et bien un édifice défensif, doté d'une prison et de murs d'enceinte d'une épaisseur de deux mètres cinquante. Aujourd'hui, le village d'Hérisson semble bien paisible, mais une saine agitation y règne cependant : la population s'est en effet mobilisée en association pour restaurer cette imposante construction qui souffre de l'érosion et de l'instabilité provoquée par les nombreux vols de pierres après la Révolution. Un travail énorme qui nécessite des sommes colossales, car les subventions ne font pas tout. Pour mener à bien les prochains projets, l'association doit trouver par elle-même 30% des presque 100 000  euros nécessaires. Avis aux amateurs de belles pierres !



Un peu plus loin, on peut aller à pied d'Hérisson jusqu'au hameau de Chasteloy, où l'on peut admirer les fresques de la petite église. Malheureusement, les peintures sont en ce moment en rénovation. Mais le bâtiment en lui-même, les charmantes maisons fleuries et la vue imprenable valent quand même le détour.


A quelques kilomètres, toujours à une belle altitude de 300 mètres, le village d'Huriel nous réserve encore quelques belles surprises. Malgré la pluie, n'ayons pas peur de lever les yeux vers ce magnifique donjon de la Toque, haut de 33 mètres et datant du XI ème siècle. Une construction massive, tout aussi impressionnante que la magnifique église Notre Dame, dans la partie basse du village. En forme de Croix latine, elle rappelle les églises d'Auvergne et du Limousin. 



Un périple dépaysant sur les belles routes de l'Allier, entre le patrimoine et les verts pâturages. Une escapade qui tient toute ses promesses et qui ne demande qu'à être poursuivie. 

lundi 6 mai 2013

Lys Saint Georges

Non, l'Indre n'est pas un plat pays. Pour le vérifier, allons donc faire une randonnée autour du magnifique château de Lys Saint Georges.
De suite, nous voilà sur un charmant sentier de sous-bois entouré de prés où paissent de grands troupeaux de vaches. La marche est aisée et rapide, le chemin est doux et ponctué de lilas, glycines, mais et de petites fleurs de myosotis et de camomille, le tout donnant des éclairs d'arc-en-ciel dans les verts. Nous nous enfonçons de plus en plus dans les hautes herbes qui chatouillent les jambes, jusqu'à rejoindre un petit village et une route. Plus loin, de retour dans le sous-bois, toujours accompagnés par les bovins pacifiques, nous voici marchant en contrebas du château, dont nous apercevons les tours.

Après presque deux heures de marche entre ombre et plein soleil, arrêtons-nous quelques instants et avançons dans ce recoin de paradis que les propriétaire de la bâtisse du XIII ème siècle nous laissent généreusement découvrir. Le château est très bien conservé et domine un potager et un verger enchanteurs, eux-mêmes situés sur une terrasse, en face d'un paysage grandiose. Près du château, qui comporte une tour beaucoup plus ancienne, le coassement assourdissant des grenouilles qui se séduisent dans les douves nous oblige à nous éloigner un peu. Allons donc faire le tour de cette église massive, de la même époque, dont les ouvertures ouvragées témoignent d'une époque faste. A quelques centaines de mètres, il suffit d'approcher l'ancien hôpital et l'ancienne léproserie pour comprendre l'importance du rayonnement de ce domaine.

Une bien belle balade dans l'Indre, un département qui cache encore quelques trésors.

dimanche 5 mai 2013

Le Suc au May

De retour dans la belle Corrèze après de trop longs mois d'absence...
Pour fêter ça, nous traversons la magnifique cité d'Uzerche et nous dirigeons vers le massif des Monédières, là où la table d'orientation du Suc au May, à plus de 900 mètres d'altitude, nous attend. Panorama grandiose à l'horizon : vue sur le massif du Sancy, le plomb du Cantal et tout autour les Monédières et la Corrèze. En plein vent, une envie subite de voler avec les aigles au-dessus de ce paysage époustouflant.
Plus loin, d'infinis chemins de randonnée serpentent entre les sapins et les épicéas, dans des forêts enchanteresses, tapissées de mousses et de lichen, si doux sous la chaussure, et enveloppées de l'odeur enivrante de résine si propre aux forêts d'altitude. Des kilomètres et des kilomètres à parcourir avec la joie non dissimulée de se sentir au cœur du silence, bercé par la brise, en toute liberté.
Mais la Corrèze ne serait rien sans ses villages. Une présence humaine extrêmement ancienne puisqu'on peut encore trouver ici ou là des ruines gallo-romaines, comme celles, très bien conservées et qui plus est en rénovation, du fanum des Jaillands, dans la commune de Pradines.
Plus récente mais tout de même témoin d'une histoire millénaire, la petite ville de Treignac, en retournant vers Uzerche. Les anciennes halles, le clocher tors et la tour moyenâgeuse nous plongent dans une ambiance particulière. Il fait bon déambuler dans les ruelles pavées, étroits passages entre des maisons bourgeoises à colombages et aux linteaux imposants.




samedi 4 mai 2013

Gargilesse - Dampierre

Une randonnée de mise en jambes pour cette nouvelle saison qui s'annonce, avec, enfin, le retour des beaux jours. L'époque est idéale puisque les sentiers sont garnis de fleurs, que la nature reverdit. Une journée à aller marcher à la frontière de l'Indre et de la Creuse.
Nous partons donc de ce magnifique village d'artistes de Gargilesse, réputé pour ses peintres et autres créateurs en tout genre, déjà colonisés par les premiers touristes. A la sortie du village, nous nous engageons sur un sentier qui part sur la gauche et longe la rivière, la Gargilesse. Il s'agit de l'une des mille et une voies qui mènent à Compostelle. Suivons le cours de cette pétillante rivière et grimpons dans le sous-bois. Au bout d'une heure, nous voici sur un plateau, dominant un panorama à 360 degrés sur les prés verdoyants et les paisibles troupeaux de vaches limousines. Traversons le village de Dampierre et sa lanterne des morts, pour nous enfoncer à nouveau dans les champs et les prés. Le sentier est très bien balisé, impossible de se perdre. C'est donc aisément que nous retrouvons notre chemin à la sortie du hameau de Malicorne. Après deux bonnes heures de marche avec un charmant dénivelée de 150 mètres, nous revoici donc au bord de la Gargilesse, de retour au village.
Un parcours enchanteur au milieu des lilas odorants, des pommiers en fleurs et de la blancheur délicate des camomilles.


Mais où est le papillon ?...



jeudi 2 mai 2013

T'as le blues, baby ?

Oh, la pauvre petite fille riche qui vient pleurer à la télévision et dans les journaux, en racontant son horrible vie de bimbo dépassée par la maternité....
Eh bien non ! Je proteste ! D'accord, elle est riche ; d'accord, elle est célèbre. Mais pourquoi n'aurait-elle pas, elle aussi, le droit de faire un baby blues, de souffrir de dépression ? Je vous rappelle au passage la phrase la plus entendue après un suicide, que la personne soit connue ou anonyme : "C'est incompréhensible. Il (elle) avait tout pour être heureux(se)". En toute circonstance, donc, ne pas se fier aux apparences. 
Alessandra Sublet, la pétillante présentatrice de l'émission "C'est à vous", sur France 5, sort donc un livre intitulé "T'as le blues, baby ?" qui, comme son nom l'indique, est le témoignage de la mauvaise période qu'a vécu la charmante animatrice dans les semaines et les mois qui ont suivi la naissance de sa fille. 
Ce qui est intéressant, ce n'est pas tant le contenu du livre, qui ne révolutionnera sans doute pas la littérature, mais le fait de libérer la parole. Que la démarche émane d'une "people" ne fait que rajouter à la visibilité du message. Alessandra Sublet, en jetant spontanément un pavé dans la mare, va à contre courant de toutes ces stars qui s'affichent dès le lendemain de l'accouchement avec leur rejeton, large sourire et l'illusion qu'elles ont enfin atteint la plénitude. Au contraire, elle casse le mythe et avoue sans honte que non, la maternité n'est pas un long fleuve tranquille et béat. Comment ? L'accouchement ne serait donc pas le plus beau jour de la vie d'une femme ? L'instinct maternel ne serait pas inné ? Il serait donc possible d'être mère et de ne pas être heureuse ? Pour la plupart des gens, et même pour beaucoup de femmes qui sont dans le déni ou qui n'ont pas ressenti de grand chamboulement, c'est impossible. Plus encore : c'est une faiblesse, une indignité, une honte. Alors, les femmes atteintes d'un syndrome de dépression post-partum font de l'auto-négation du problème, parce qu'elles sont seules, parce qu'il y a une énorme pression sociale et familiale qui fait grandir la culpabilité et la honte de ne pas être illico presto à la hauteur. Dans les cas les plus extrêmes de délaissement et d'auto-dévalorisation, on arrive à une perte de contrôle des situations et des émotions, donc à des bébés secoués. Encore une fois, le sujet est souvent traité de manière méprisante et accusatrice par les médias et la population bien pensante : mères indignes. Mais qui sont la plupart de ces femmes, sinon des mères en détresse ? 
Pour conclure, il faut donc insister sur l'importance de la libération de la parole, pour qu'enfin le tabou se lève : la maternité est un bouleversement, qui est plus ou moins bien vécu par les femmes. On n'est pas mère d'instinct mais on le devient. Et nous pouvons même rétorquer à celles et ceux qui s'insurgent encore de tant de difficultés de la part de certaines face à l'apprentissage de ce rôle, face à cette responsabilité de vie et de mort sur un petit être tout neuf : pourquoi nous mettre tant de pression, quand nous avons toute une vie pour faire ce chemin ? 

mercredi 1 mai 2013

Partie commune

Camille Bordas, Partie commune, 2011.
Encore un petit bijou que ce roman, qui est plus est d'une jeune auteure, Camille Bordas. C'est déjà son deuxième opus et la maîtrise est telle qu'on se demande quelle vieille âme se cache dans le corps de cette jeune femme-là. 
Partie commune, c'est l'histoire d'une maison, plus que celle des personnages qui y transitent. Plusieurs générations s'y sont succédées, jusqu'à ce que la maison finisse par être délaissée, mise de côté, presque oubliée. Mais il ne s'agit pas d'une bâtisse comme les autres. Tout d'abord, elle parle. Oui, vous entendez bien : cette maison s'exprime ; tout comme l'eau de la rivière, la tasse, la porte... Camille Bordas donne aussi la parole à divers objets, dans de brèves interventions, comme des touches de peinture sur une grande fresque, des notes de couleur, mi-humoristiques, mi-philosophiques. Étonnant. Mais revenons à cette maison : véritable narrateur à part entière puisqu'elle est la voix de l'histoire familiale, elle capte les personnalités de ceux qui vivent sous son toit et parvient même à communiquer avec certains d'entre eux. Par ailleurs, le roman se divise en trois parties, suivant les trois narrateurs "humains" qui se succèdent : Joseph, Isis et Hector, chacun ayant un lien tout particulier avec ce bâtiment dans lequel il évolue. Joseph, c'est le petit-fils, le dernier membre de la famille qui côtoiera cette maison. Isis, jeune femme en marge et en difficulté, arrive sur les lieux un peu par hasard. Elle n'en repartira jamais. Quant à Hector, il s'agit du nouveau propriétaire, qui débarque avec son étrange troupe de théâtre. Ensemble, ils projettent de transformer la maison en salle de spectacle et d'y jouer des pièces improvisées, des représentations uniques. C'est à partir de ce moment et avec ce groupe de personnages, auquel Isis s'est greffée, que le récit devient époustouflant. Chaque figure est magistralement mise en relief par l'auteur, qui sait représenter les clair-obscurs de ses protagonistes, les ombres et la lumière, les failles et les étincelles de chacun d'entre eux. Le portrait d'Isis est évidemment celui qui est le plus mis en exergue, notamment par le fait qu'elle assume une grande partie de la narration. On y découvre une jeune femme complexe, blessée, ébréchée, touchante, à l'âme de roc et de porcelaine. 
Camille Bordas signe là un roman inclassable, qui emprunte à la fois au théâtre, par la multiplicité des narrateurs et des voix qui nous ramènent parfois au chœur antique de la tragédie ; à la peinture, grâce à ses touches multiples, cette manière de peindre ses personnages plutôt que de les faire trop parler ; et à la photographie, avec cette utilisation de la lumière et de l'ombre. Un livre tout en nuances, servi par un style ample, maîtrisé à la perfection, d'une maturité de vieille conteuse amérindienne. Une oeuvre totale.