lundi 29 octobre 2012

Autour du Lac de Saint Pardoux

Les journées d'automne nous laissent rarement le temps et l'occasion de faire le tour du Lac de Saint Pardoux (87) en entier: 6 heures de marche au total pour faire la boucle, ce n'est pas à l'ordre du jour. Mais, suivant sa motivation, sa condition physique ou son besoin de nature, une petite portion du sentier suffit à recharger les batteries, à se laisser prendre par la douceur des berges, par la majesté du vol d'un héron. Ramasser des champignons ou des châtaignes, simplement respirer, marcher au rythme du corps, en silence, être ailleurs.


dimanche 28 octobre 2012

Terres d'enfance

Il est un lieu aux confins du Berry, pas tout à fait en Touraine, entre le rustique et le rupin. Un lieu sans nom, des étendues de champs au-milieu de nulle part. Mais un lieu béni. Une émanation de l'enfance, un miroir aux souvenirs qui s'étend sous nos yeux, qui prend une dimension magique, presque mythique. Au soir, lorsque le Soleil daigne baisser la garde et laisser place à la Lune, lorsque, dans un dernier caprice, il se plait à éclairer les avions et à leur dessiner des traines d'or à leurs trousses, alors s'installe le temps du rêve. Avant même qu'elles n'apparaissent, les étoiles s'allument dans les yeux, reflets d'autres étoiles du passé, celle de l'enfance. Les mêmes étoiles que l'on s'évertuait à compter, la tête reposée sur de tendres genoux, en attendant l'étoile filante comme on attend la belle fée, la permission de faire un voeu. Un voeu d'enfant, si petit et immense à la fois, de ceux qu'on oublie à l'âge adulte. Mais les étoiles, elles, au-dessus de ces terres de bout du monde, brillent d'un éclat inoubliable.


samedi 27 octobre 2012

Les chats de hasard

Anny Duperey, Les chats de hasard, 1999.
Cela faisait longtemps que j'avais envie de lire l'un des romans d'Anny Duperey. Je l'aime beaucoup comme comédienne, j'aime sa spontanéité, son rire, cette allure un peu bohème, très élégante, pétillante de couleurs. J'ai été totalement conquise par l'écriture de la grande dame: un style riche, dynamique, aussi élégant et sincère que l'auteur. Les chats de hasard sont une sorte d'autobiographie construite autour des liens qui unissent Anny et ses animaux fétiches, ces bêtes qui sont, beaucoup plus qu'une compagnie, des révélateurs de signes, des compagnons de route et de vie, des muses d'écriture. En toute simplicité, Anny Duperey nous ouvre la porte de ses souvenirs et de sa maison de la Creuse où l'on sent qu'il fait bon écrire et grandir au rythme de la nature. Un refuge créatif comme on souhaiterait tous en avoir...

mardi 23 octobre 2012

Sauveteurs en montagne

Hier soir, j'ai regardé avec beaucoup d'attention et de fascination les reportages sur les sauveteurs en montagne du PGHM, le peloton de gendarmerie de haute montagne. La première partie était consacrée à l'hiver, la deuxième à l'été. Plus que la dénonciation des imprudences, le reportage avait choisi de mettre en avant les qualités humaines des hommes du PGHM et de la sécurité civile qui ont fait de ce métier une vocation. Tous les gendarmes interrogés justifiaient leur choix de ce métier par les mêmes arguments: la gratuité des secours en France, une situation d'exception, et par conséquent la noblesse de venir en aide aux personnes en difficultés. Evidemment, les sauvetages ne sont pas toujours couronnés de succès, mais le reportage est resté dans les limites de la discrétion, ne plaquant pas les caméras sur les morts des avalanches, insistant surtout sur les sauvetages résussis et sur l'avis des gendarmes. En effet, jamais de condamnation des imprudences, jamais de ras le bol, toujours la volonté d'aller jusqu'au bout des possibilités de recherches, de réussir à ramener les gens rapidement et en bon état. A l'inverse, les sauveteurs du PGHM ne sont pas des trompe la mort. Renoncer, certes jamais, mais être réaliste, toujours, de manière à ne pas se mettre eux-mêmes en trop grand danger. Bien sûr, le danger est omniprésent: les chutes de pierre, les avalanches qui se déclenchent à nouveau, les crevasses du glacier qui avance sans cesse. Mais la nature est plus forte que l'homme et ils le savent bien. La nuit ou les vents trop forts les poussent à rester prudent, à ne pas risquer des vies supplémentaires. Alors, bien sûr, le reportage donne quand même à voir des imprudences notoires, pour bien démontrer que la montagne, comme le dit l'un des médecins, est un élément dangereux, que l'alpinisme, le ski, la randonnée, sont des sports dangereux dans lesquels on ne contrôle pas tout, sinon presque rien. Le randonneur qui s'engage sur les sentiers de moyenne montagne en chaussures de course à pied; le père et son fils adolescent qui se retrouvent en plein vent glacial sur une arrête à plus de 3500 mètres d'altitude alors que l'orage menace depuis le matin. Mais, pour les autres, ceux qui sont tombés dans des crevasses, ceux qui sont restés engloutis dans une avalanche, que dire? Que c'est ainsi, que la montagne prend, sans demander son reste. Le journaliste demande: "Tous ces gens sont morts pour voir quelque chose de beau. Cela en valait-il la peine?" Le gendarme hésite, puis conclut que justement, pour les familles de victimes, il est parfois difficile à comprendre pourquoi certains proches se mettent dans des situations si périlleuses, si risquées. Mais la montagne attire. Et, dit un autre intervenant, vu le nombre de pratiquants des sports de montagne, il n'y a pas tant de morts que cela. Evidemment, cela ne revient absolument pas à dire que les hommes du PGHM sont insensibles à la mort. Mais, comme le décrit très bien l'un des pilotes de l'hélicoptère de la sécurité civile: "la mort, je la vois, mais je ne la regarde pas. Evidemment, on ne s'y habitue pas et ça nous touche, mais il faut savoir garder une distance, sinon, on ne peut plus travailler". A regarder ces hommes travailler, les visages marqués par la joie du travail accompli, la fatigue ou la déception de ne rien avoir pu faire, la tristesse de devoir annoncer le décès aux familles, on se dit qu'ils sont tout ce qu'il y a d'humain, pas des héros, ou alors, des héros du quotidien, et qu'ils portent en eux ce que nous devrions tous avoir à plus ou moins forte dose: la fraternité. Dans les vallées, les sauveteurs d'altitude sont admirés, respectés, font partie du patrimoine et du paysage. Si le secours est encore gratuit en France, ce n'est pas parce que nous sommes un pays d'assistés ou d'autistes face au danger, mais bien parce que nous avons dans nos montagnes des hommes qui portent en eux des valeurs de solidarité et de noblesse plus fortes que l'argent.
 
Pour poursuivre la rencontre avec les sauveteurs du PGHM, allez donc lire Anne Sauvy.
Et pour des conseils pratiques sur l'équipement, voici!
Vieux Emosson- Valais Suisse - avant l'orage. Un quart d'heure plus tôt, il faisait grand bleu.

lundi 22 octobre 2012

Lorsque j'étais une oeuvre d'art

Eric-Emmanuel Schmitt, Lorsque j'étais une oeuvre d'art, 2002.
Il se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Et on le devine très rapidement. Pour la première fois, je suis déçue par un roman d'Eric Emmanuel Schmitt. Bien sûr, le style est toujours là, drôle, poétique, plein de trouvailles et de clins d'oeil. Mais je reste sur ma faim avec ce livre qui, pourtant, commençait par une phrase géniale qui mettait l'eau à la bouche et promettait de bousculer les convenances:
"J'ai toujours raté mes suicides."
Un jeune homme, au bord d'une falaise, est interrompu dans sa démarche par un artiste fou qui lui promet de lui redonner le goût de vivre en le transformant en oeuvre d'art. L'idée est très originale, et la première partie du livre assez fluide. Mais le suspense laisse place à la suggestion trop floue, puis au prévisible et enfin à une suite d'actions qui ne captivent pas le lecteur. En somme, c'est un peu plat, un peu trop gentillet, trop convenu. Pour une fois, et pour traiter un tel sujet, j'aurais attendu plus de trash, de noirceur, et ce n'est jamais venu. L'apothéose du mignon explosant même à la fin avec ce fameux recours des contes de fées selon lequel le héros se marie avec la princesse. Evidemment, Schmitt pose des questions éthiques intéressantes et qui devraient chatouiller les consciences: la place de l'art dans la société, la déshumanisation, la chosification des êtres humains au nom de la beauté, la subjectivité artistique et la perte de liberté due à l'utilisation de l'image de l'homme ou de la femme. Mais le ton du roman est tellement léger que l'on passe à côté des grands débats. Je m'attendais à du Frankenstein et j'ai relu du Pinocchio mêlé à La Belle et la Bête. Ce qui est d'ailleurs très drôle, c'est que le personnage féminin qui tombe amoureux du héros défiguré s'appelle Fiona, tout comme la princesse du film d'animation "Shrek". Franchement, si l'on ne parlait pas toutes les trois pages de l'appendice monumental du héros transformé en statue vivante, je dirais que le roman de Schmitt mériterait d'être classé dans la littérature pour enfants.
De l'audace, que diable, de l'audace!

jeudi 18 octobre 2012

Les déferlantes

Claudie Gallay, Les déferlantes, 2008.
Cela sonne comme un roman de gare, une histoire fade pour ménagères de moins de cinquante ans qu'on nous vend à la chaîne depuis des années, toujours les mêmes. Une femme seule, un lieu isolé, des blessures, des souvenirs, un homme qui croise son chemin. Et pourtant, il s'agit de tout autre chose, plutôt de ce genre de livres, d'atmosphères dont on a un mal fou à se détacher. Ce genre de romans qu'on refuse de quitter une fois la dernière page lue, comme on s'obstine à refuser le départ d'un être cher.
Dès les premiers mots, Claudie Gallay nous giffle avec des phrases courtes, télégraphiques, un peu agressives presque; elle nous interpelle, nous bouscule, nous dérange, ne nous laisse pas le temps de respirer. Et nous voilà dans cet ancien hôtel à La Hague, autant dire, au bout du monde, perché sur un cap, à la merci des tempêtes qui recouvrent les murs de sel. La narratrice, dont on ne saura jamais vraiment tout, se trouve là comme certains partent dans un monastère ou font des folies de leurs jours et de leurs nuits: pour oublier. Cette femme transpire la souffrance mais son armure est solide. Elle se complait dans ce rôle de souffrante, dans les plongeons répétés dans ses souvenirs, dans cette capacité à se jeter soi-même du sel sur ses blessures. Le sel de la mer qui n'épargne personne d'ailleurs. Il y a cette micro société qui porte des secrets lourds comme des navires échoués; ces hommes renfrognés dans leur monde intérieur; ces femmes endurant les coups du sort en baissant la tête; ce sculpteur illuminé qui ne crée que des ventres béants de douleur; cette vieille folle qui s'entête à aller attendre sur la plage que la mer lui rende les morts qu'elle lui a pris une nuit de tempête. Chacun sa croix.
Et puis, un jour, arrive, comme un cheveu sur la soupe, un inconnu: Lambert. On comprend très vite que lui-aussi a perdu ses parents dans un naufrage, il y a plus de quarante ans. Et le fait qu'il vienne, toutes ces décennies plus tard, fouiller le passé, dérange le statu quoi instauré dans ce coin de terre hostile par des habitants qui désirent l'oubli plus que tout. La narratrice, à la recherche du chemin vers l'oubli de sa propre souffrance, s'emmêle dans ces secrets pour mieux tenter de les dénouer.
Les déferlantes, c'est un roman qui se lit en une seule respiration, qui laisse l'impression d'un grand souffle, d'une tempête intérieure, celle qui nous secoue tous et nous fait tanguer. C'est aussi le travail de mémoire, l'oubli volontaire et le souvenir refoulé. Et puis, un jour, au bout du tunnel, un signe, une main qui se tend, des chemins qui se croisent, un vieil homme qui transmet, un miroir, et même la souffrance est acceptée. Elle se dit, sort au grand jour, s'avoue, se met à nu. Le pouvoir de la parole comme une libération. Puis, la douleur s'estompe. Et, un jour, elle repart avec la marée. Alors, peut-être, quelque chose devient possible.

mercredi 17 octobre 2012

La Bolivie vue de très loin

- C'est un pays du Tiers Monde. Même si le mot est maintenant dépassé, la Bolivie n'appartient définitivement pas, dans la tête des gens, aux pays dits "en voie de développement".
- Les habitants sont des indiens à ponchos qui gardent des lamas et mâchent des feuilles hallucinogènes toute la journée.
- Les mineurs boliviens sont tous drogués. On se demande même comment ils font pour travailler. D'autant plus que la plupart n'ont pas plus de douze ans. La Bolivie fait donc travailler les enfants. Une sorte de coutume nationale.
- On a encore quelques doutes sur le fait que la langue de la Bolivie soit l'espagnol et que le pays se situe en Amérique Latine. Sans doute, parce qu'il n'a rien à voir avec les mariachis du Mexique et qu'on n'y danse pas non plus le tango. D'ailleurs, pour de nombreuses personnes, la langue espagnole, si c'est bien celle qu'on y parle, est totalement déformée, étant donné que les boliviens sont pour la plupart illétrés et donc ignorants de toute la grande culture hispanique.
- La Bolivie est un pays indigène, c'est-à-dire peuplé d'indiens arriérés, et pourrait très bien, à ce titre, se situer plutôt en Asie. Le fait qu'il se situe sur le continent américain est une incongruité.
- Il s'agit d'un territoire dangereux, rempli de terroristes et autres révolutionnaires, sans doute les arrières petits-enfants de Che Guevara. Est-il bien mort, seulement? La Bolivie est donc vue comme en révolution permanente, puisque son président, un indigène, donc semi-analphabète, est à dix mille lieue d'être capable de gouverner un pays. De là à ce qu'on rappelle Pinochet...
- La Bolivie est un pays de très hautes montagnes. La partie amazonienne, quand on en parle, écarquille les yeux des interlocuteurs qui, on le voit bien, remettent intérieurement en question cette réalité. Le fait qu'elle fasse deux tiers du territoire bolivien est carrément hallucinant et très peu crédible. Le mythe du pays consiste donc en un ensemble de sommets enneigés où les routes n'existent pas, puisque les voyages se font sur des pistes affreuses et poussiéreuses, principalement au bord de précipices où s'entassent les dizaines de cadavres des accidents de la route.
- La nourriture bolivienne consiste à mâcher des piments horriblement piquants, toujours accompagnés de pommes de terre ou de riz, puisque, rappelons-le, la Bolivie est quand même à moitié asiatique. Dans le meilleur des cas, on y mange des tortillas de maïs accompagnées de guacamole, une partie du Mexique étant elle-aussi composée de sauvageons à peau rouge.
- Les boliviens jouent de la flûte de pan à longueur de journée, en particulier dans le métro parisien. C'est la seule manifestation culturelle qu'on leur connaît.
- La Bolivie est étonnamment considéré comme un pays machiste, peut-être parce qu'on cherche toujours à attribuer aux autres ses propres tares. La ferveur catholique y est impressionnante et aucun jour ne passe sans qu'on puisse voir défiler dans les rues d'immenses processions de femmes en pleurs suivant la Vierge à genoux. Pour d'autres, les boliviens, par conséquent totalement à part en Amérique Latine, d'où l'incongruité, ont une religion préhistorique qui consiste à entrer en transe en sniffant des drogues dangereuses et interdites en Europe, tout en dansant autour d'un chaman totalement halluciné.
- La Bolivie est un pays de drogués, puisqu'on y cultive cette fameuse feuille de coca, autant dire, de la cocaïne et que, logiquement, toute la population en consomme, y compris les enfants.
- Aller en vacances en Bolivie vous associe illico à un soixante-huitard attardé portant des ponchos et ayant raté Woodstock, ou à un écervelé allant risquer sa vie dans des contrées sauvages et dangereuses. Sur ce point, la Bolivie rejoint le Pakistan, l'Iran et autres civilisations perdues. D'où des regards ironiques, dédaigneux ou écoeurés.
Liste des questions qu'on peut poser à quelqu'un qui revient de Bolivie:
- Tous les pays d'Amérique Latine n'ont donc pas civilisés leurs indiens?
- Quel rapport y a-t-il entre la Bolivie et le métier de prof d'espagnol?
- Les boliviens ont-ils la télévision?
- Comment les touristes font-ils pour se nourrir sans mourir dans l'instant d'une tourista?
- Comment les boliviens font-ils pour se laver?
- Comment peut-on éviter le terrible crachat du lama?
- Avez-vous recontré le yéti?
- Avez-vous essayé la coca? Comment étaient les éléphants rose?
Et ainsi de suite. Les reportages télé, Tintin et Pékin express y sont sans doute pour beaucoup dans la connaissance pointue qu'ont nos compatriotes sur la Bolivie. Et, étant donné la soif généralisée d'en savoir plus et les messages véhiculés par certains voyageurs soucieux de diffuser d'eux une image d'aventuriers téméraires, on peut s'attendre à d'autres progrès au sujet de la vision de ce pays... de très loin.

lundi 15 octobre 2012

Villarceaux

"Villa cachée" en latin. Bien caché, le domaine de Villarceaux, au fond des forêts sombres du Vexin, encaissé au bout d'une petite route qui sillonne entre d'immenses champs au relief ondulé. A quelques kilomètres de Paris déjà, la campagne, un autre monde. Loin des charmes ruraux de Rambouillet ou des fastes de Versailles, une région qui se cache bien; ancienne, un peu reculée, d'apparence triste et paysanne mais riche d'immenses demeures rénovées, de fermes à taille XXL et de haras abritant des chevaux plus beaux et plus brillants les uns que les autres. Ninon de Lenclos ne s'y était pas trompée. La belle la plus courtisée de l'époque était venu y abriter ses amours.
Par la suite, le marquis, de retour de prison d'Italie, se rend compte que son château Renaissance, lui-même déjà une réinterprétation des anciens murs moyenâgeux, est plus pauvre et plus délabré que sa prison transalpine. Il décide donc de faire bâtir sur les hauteurs de son gigantesque domaine un nouveau château. Pour couronner cette nouvelle construction, le propriétaire fait réaliser sur le flanc de la colline le plus grand vertugadin d'Europe qui descend ses courbes jusqu'au grand bassin.

Car Villarceaux n'est pas qu'une architecture, ce sont aussi des espaces classés  "jardins remarquables" depuis 2004: jardin à l'italienne, jardin de buis sur l'eau unique en son genre. Villarceaux, un véritable dépaysement, loin de la douceur des châteaux de la Loire, une beauté cachée.

dimanche 14 octobre 2012

Exposition Jorge Carrasco à Paris

Si vous passez dans le quartier, dans la rue, sur ce trottoir ou sur celui d'en face, ne manquez pas d'entrer dans le cloître des Billettes et d'y faire quelques pas. Depuis plusieurs jours et jusqu'au 21 octobre y sont exposées certaines des plus belles sculptures de l'artiste bolivien Jorge Carrasco. C'est entre ces arcades, dans ce lieu qui peut sembler tout à fait incongru, que la mémoire du sculpteur et peintre est célébrée. Les arrondis sensuels des marbres et des pierres polies ponctuent de douceur les lignes droites de l'ancienne construction religieuse, offrant une rupture stylistique qui donne à l'ensemble un caractère nouveau et tout à fait particulier. Ici, plus que jamais, et comme l'aurait voulu Carrasco, "l'art est amour". L'amour de ses amis, de sa famille, de cette merveilleuse association de coeurs qui diffuse sans relâche ce que cet artiste hors cadres a produit tout au long de sa vie. L'amour des formes, des matières, un amour universel qui s'exprime dans tous les arts et ne connaît pas de frontières. Carrasco n'aimait pas les barrières, pas les classifications. Allez donc toucher ses oeuvres, les frôler du regard ou de la main. Et laissez-les, qui sait, vous frôler l'âme.
Pour prolonger la visite, ne manquez pas de vous rendre dans le village du Menoux (36). C'est là que Carrasco a réalisé l'oeuvre de toute sa vie: les fresques inclassables, colorées, monumentales de la petite église. Vous aurez peut-être également la chance de pouvoir visiter son atelier, un lieu hors du temps et de l'espace, un concentré d'art et d'humanité qui ne vous laissera certainement pas indifférents.

Exposition Carrasco
Cloître des Billettes
24 rue des Archives - Paris 4
Tous les jours de 11h à 19h
Jusqu'au 21 octobre


jeudi 11 octobre 2012

J'ai lu Zola

Cela mérite un grand bravo et je ne suis pas prétentieuse. La littérature française reste le cauchemar de mes années de collège et de lycée, voir même d'université, puisque je n'ai jamais dépassé le 9/20 de moyenne dans cette matière depuis l'âge de 15 ans. J'ai maudit Molière et ses dialogues à apprendre par coeur, j'ai détesté Maupassant et son Horla à propos duquel il a fallu faire des heures et des heures de commentaires, j'ai soupiré de lassitude face aux interminables phrases de Stendhal et de Flaubert qu'il m'a fallu traduire en italien. Je m'en suis donc tenue là pendant quelques années, années bénies où j'ai découvert d'autres littératures. J'ai dévoré les romans de Garcia Marquez et les nouvelles de Cervantes, avant de me rendre compte, en fin de compte, que la littérature espagnole, niveau ennui, n'avait rien à envier à la française. Camilo José Cela et Quevedo étaient des raseurs. C'était dit. Alors est venu le temps des récits de voyages, des récits de vie, des récits d'ascension et autres littératures qui ne disaient pas leur nom. C'était moins intimidant, plus dépaysant, deux bonnes raisons d'y aller. Un jour, pourtant, au moment où je m'y attendais le moins, les grandes oeuvres revinrent frapper à ma porte. Je préparais un travail de recherche sur les mines boliviennes et, pour en savoir un peu plus sur le métier de mineur, sur les conditions de vie et de travail, je me suis dit, un coup de folie: "tiens, et si je lisais Germinal?". J'avais été impressionnée par le film et par conséquent, l'oeuvre me paraissait intéressante. En fait, je l'avoue, et à mon plus grand étonnement, j'ai été captivée. Par le décor, par ces ciels lourds et éternellement gris, par ses visages fermés, ce travail infernal, la gueule béante de cette mine mangeuse d'hommes et de destins. J'ai lu Germinal et je ne l'ai pas compris, je l'ai visualisé. C'est là que je me suis dit que ce Zola était sacrément fort pour susciter tant d'images dans un tête d'inculte littéraire. Et puis, ceci mis à part, la condition des mineurs de la fin du 19ème en France ressemblait beaucoup à celle des mineurs boliviens des années 60-70 que j'étudiais. Zola avait frappé en plein dans le mille. Les années ont passé, les oeuvres se sont succédé mais je n'ai jamais renouvelé ma rencontre avec la littérature française. Et puis, un jour encore très récent, j'ai décidé de mettre un terme à ma carrière d'use-pantalon sur les bancs des facs de France. Enfin, pour la première fois depuis 10 ans, je pouvais lire CE QUE JE VOULAIS. Mais par où commencer? Le choix était si vaste! Les grands auteurs me causant encore une angoisse toute scolaire, j'ai d'abord lu un peu de tout, ce que je trouvais, des auteurs "actuels", du bon, parfois même du très bon. Eric Emmanuel Schmitt, une constante. Frison Roche, pour la montagne. Giraudeau, tout, dans l'ordre et dans le désordre et à répétition. Puis, peu à peu, l'appréhension des grands noms a disparu, parce que, comme avec la nourriture, plus on mange et plus on a faim, il en est allé de même pour la lecture. Et rien ne m'a plus paru insurmontable. C'est dire le chemin parcouru.
A la bibliothèque municipale. Octobre 2012.
"Bonjour, je n'ai pas trouvé les livres de Zola.
- Oui, ils sont dans un carton, dans le bureau. Suivez-moi!
- (Déjà, c'était louche).
- Lequel voulez-vous?
- C'est que... je commence... je ne sais pas par quoi commencer...
- Eh bien, attendez voir...
- J'ai lu Germinal parce que je travaillais sur les mines et puis j'ai lu beaucoup (ouh la menteuse) de littérature espagnole et latino-américaine pour mes études alors voilà. (reprise du souffle)
- Bien sûr, on ne peut pas tout faire!
- Voilà! (sourire de marmelade d'enfant qui cherche une mauvaise excuse parce qu'il n'a pas lu le livre au programme).
- Il y en a beaucoup! Attendez... Non, celui-là est très gros!
- (merde, je suis démasquée)
- C'est dommage, Au bonheur des dames est déjà emprunté. Essayez celui-ci. La curée. C'est le deuxième des Rougon Macquart.
- Merci. Merci beaucoup!"
Bon, une semaine plus tard, j'ai avalé, dévoré, je me suis préparée chaque soir à retrouver Zola avec l'excitation toute propre aux plaisirs nouveaux et un peu cachés. J'ai aimé. Et je suis fière d'avoir franchi ce pas, après toutes ces années de brouille, d'avoir fait ce geste symbolique de réconciliation avec la grande littérature française. Voyez-vous, j'en suis même encore plus fière que si j'avais remporté une épreuve olympique, ou pire, si j'avais été lauréate de l'agrégation. Sacré Zola.

mercredi 10 octobre 2012

Galou le berger

Riez, riez... oui, je suis allée à un spectacle pour enfants, et alors? Si j'ai aimé?... Eh bien... Je vais vous raconter. Passé le premier moment de stupeur face à l'ampleur du bruit ambiant qui remplissait toute la salle de spectacle et m'a ramenée un instant dans les couloirs d'un collège de banlieue, j'ai réussi à me concentrer. Et je suis entrée dans l'histoire. Alors, évidemment, pas tout de suite, pas immédiatement, parce que l'adulte lutte niaisement et peine à se laisser entraîner par son âme d'enfant. Et puis, lors de la première partie, le conteur jouait le rôle de Galou, ce petit garçon qui voulait devenir berger et qui rencontre sur son chemin un petit mouton égaré. Les rires des enfants m'ont nourrie, mais je ne me suis pas sentie concernée. Ensuite, la marionnette de Galou a fait son entrée, toute fluette, avec sa minuscule flutte dans les mains. Assise sur un rocher, avec en arrière plan les montagnes gigantesques peintes sur un grand drap: j'y étais. Plusieurs tableaux, la musique mi-occitane, mi-moyen âgeuse en fond sonore, tout un poème. Les étoiles sur la toile de fond et, à la fin, un dernier tableau. L'aube, les sommets rouges et orangés du soleil qui se lève et Galou et son mouton grimpant au-milieu du troupeau, cette fois petits bonhommes minuscules, petites fourmis. Ou comment rétrécir les personnages dans le réel et les rendre immenses dans l'imagination, les faire intégrer le décor et nous avec. Alors, bien sûr, je ne risquais pas de m'y perdre: le berger, les moutons, les montagnes, la flûte. Mais j'aurais très bien pu être déçue et, au début, j'ai bien failli l'être et refuser de jouer le jeu du retour en enfance. Mais la magie a opéré. J'ai fait -certes difficilement- abstraction des bébés qui pleuraient, des mères qui demandaient sans politesse au conteur de hausser la voix -si, si, je vous assure, quel culot!-, des enfants à qui personne ne demandait de se taire. Et j'ai suivi Galou. D'ailleurs, je crois bien que j'y suis encore. C'est sans doute l'un de mes rêves cachés. Etre berger... dans les grandes solitudes...

photo:
 
(petit Post Scriptum: je cite la source de cette photo, j'aimerais, pas correction, que vous en fassiez autant, si les miennes vous plaisent et que, par goût ou par empressement, vous veniez à me les emprunter...)

lundi 8 octobre 2012

Les grandes eaux musicales de Versailles


Quoi de mieux pour se noyer dans la foule, pour user ses semelles sur les pavés, pour se saouler de bousculades et de coups de coudes, que d’aller trainer ses guêtres un dimanche après-midi aux grandes eaux musicales du château de Versailles ? Centième visite des jardins, énième détour par les mêmes allées, Versailles rempli de touristes, et pourtant Versailles, toujours. Versailles à toutes les saisons ; les roses de la colonnade au printemps, les mirages du soleil sur le grand canal en été, les ciels lourds d’automne, les ciels bleu de glace des hivers en plein vent. Il faut voir Versailles à toutes les saisons. Et s’offrir, lors des grandes eaux, quelques heures dans le beau. Le château ultra élégant, presque guindé ; le roucoulement des fontaines qui se jettent vers le ciel en ne manquant pas de nous arroser insolemment ; le baroque dans les hauts parleurs et les costumes dans la tête. Car comment expliquer autrement que par le perpétuel enchantement ces visites répétées à un endroit qui n’a plus besoin de la nôtre pour prospérer ? En étant près de ce joyau, parfois, on ressent comme un appel, comme un « tiens, il y a longtemps… » qui nous titille et nous pousse, nous aimante.  Alors, on se sent un peu comme des extraterrestres, comme un cheveu sur la soupe, sans but précis au milieu des touristes minutés, organisés, guidés. Plan, appareil photo, montre à la main, contre nez, yeux, vent. Le combat est inégal. Lorsque les grandes eaux commencent, il ne nous reste plus qu’à les suivre, à emprunter les chemins de la grande transhumance. Et allons-y pour Jupiter, allons-y pour Neptune, allons-y pour Apollon. Et, tels des adeptes d’un mystérieux rituel, chacun de faire une photo à un endroit précis, les deux pieds posés sur une croix rouge implicite, tous à la suite. Nous qui ne sommes pas des touristes, qui avons un regard différent ou qui le souhaitons, il ne nous reste plus qu’à nous jeter comme des morts de faim sur des détails, quelques gouttelettes, certaines transparences dans les jets d’eau, ces visions intimes que Versailles cherche à dissimuler et que personne ne nous volera. Il y a presque de l’indécence dans ces formes au deuxième degré, dans cette eau qui se faufile lascivement et caresse les corps cuivrés. Il y a, certainement, une joie malicieuse, jalouse, à capturer un instant de beauté qui n’appartient qu’à nous.  Ensuite, l’appareil photo tente de faire ou de défaire le reste, de dompter ces images fuyantes, de les représenter comme il peut. Et le cerveau le gronde, se fâche, face à cette minable machine incapable, ce débris de ferraille et de plastique, infoutu de reproduire les choses telles qu’elles sont. Ou telles que nous croyons les avoir vues. Mais nous ne sommes pas fous, pourtant ! N’avons-nous pas clairement distingué les frissons des statues dans les fontaines ?