samedi 29 septembre 2012

Odette Toulemonde

Eric-Emmanuel Schmitt, Odette Toulemonde et autres histoires, 2006.
Je déteste Eric-Emmanuel Schmitt parce qu'il a un ENORME défaut, quelque chose d'impardonnable, de consternant, d'extrêmement irritant: ses livres sont trop courts. Trop courts, oui, vous avez bien entendu. Le style inimitable, le sens de la justesse, la richesse des personnages, on lui pardonne. Tout le monde n'a pas le don d'écrire des navets. Mais la faculté de dire tellement de choses en si peu de pages, ça, c'est impardonnable. Parce qu'à la fin de chaque roman ou de chaque recueil de nouvelles, on s'insurge: comment cela? C'est DEJA fini? On nous enlève le pain de la bouche, on nous prive de dessert, on nous rationne en génie! Manifestons! Des nouvelles comme celles qui sont regroupées dans ce recueil, on serait prêt à en lire des dizaines, des centaines, jusqu'à écoeurement. Et bien, non, Môssieur décide de n'en livrer que quelques unes, comme un grand chef étoilé nous livre dans ses assiettes de régime un extrait de son faramineux talent. Sans compter qu'avec Eric Emmanuel Schmitt, on enrage, on peste: comment fait-il pour faire une si bonne mayonnaise avec des produits du marché si "normaux"? Ces histoires-là, on aurait pu les écrire nous-mêmes, puisqu'on les croise tous les jours, puisqu'elles sont dans nos fantasmes d'écrivain foiré en permanence, puisqu'elles sont totalement nous. Alors, quel est donc son secret? Ce type-là a une potion magique, il nous trompe! Il nous cache quelque chose! Il a reçu à la naissance plus de sensibilité que la moyenne, injustice! Imposteur! Je déteste Eric Emmanuel Schmitt et je crois que j'en suis devenue totalement masochiste: demain, je recommence.

jeudi 27 septembre 2012

Expo Carrasco à Paris!

Cher lecteur, tu te dois d'y aller. Pour l'art, pour Carrasco, parce que tu n'as sans doute rien de mieux à faire, pour la famille, pour l'amitié, pour la beauté si absente de ton quotidien, pour te retrouver, pour te questionner, pour être bouleversé, emporté, interrogé, ému, pour toute une série de raisons qui te sont personnelles et que tu découvriras après, pour l'humain. Tu te DOIS d'y aller.

lundi 24 septembre 2012

L'anthropologie n'est pas un sport dangereux

Nigel Barley, L'anthropologie n'est pas un sport dangereux, 1997.
Il faut le dire, et je le sais pour en avoir lu des dizaines, les récits de voyages anthropologiques sont souvent mortellement ennuyeux. Ils consistent en grande partie à l'énumération des préparatifs et des difficultés du voyage, puis en récits détaillés des cheminements cahotiques à travers la forêt vierge ou le désert, et enfin en une analyse détaillée et pénible du sujet de la recherche. Quand à certains récits de voyages, ils oscillent entre le monotone compte rendu des progressions journalières à travers des paysages moroses et une somme d'anecdotes, plus improbables les unes que les autres, dans lesquelles le narrateur se met en scène de manière pathétique. Le titre du livre de Nigel Barley était tout à fait prometteur pour sortir des sentiers battus et rebattus. Et il n'a pas déçu mes espérances. Car, si l'auteur se met inévitablement en scène, il le fait avec un tel degré d'auto-dérision et de cynisme sur sa condition d'occidental qu'on s'y reconnaît inévitablement et qu'on est même poussé à se poser quelques judicieuses questions sur notre propre attitude en voyage. Extrait:
"Les touristes sont la face hideuse de chaque peuple. Est-ce que ce sont les pires individus qui font du tourisme ou le statut de touriste qui fait ressortir le pire de l'être humain ? On ne peut s'empêcher de se demander si on est pareil, ou si, du moins, les gens du cru nous perçoivent comme tels. Le tourisme transforme les autres en accessoires de théâtre que l'on peut photographier et collectionner. Et je ne suis pas sûr que l'ethnographe n'en fasse pas autant dans une certaine mesure. J'ai connu des anthropologues qui n'avaient guère plus de considération pour "leur" population que pour des animaux de laboratoire, des objets importants pour leurs propres objectifs arrogants, qu'ils pouvaient éliminer ou remettre dans leur cages quand ils se révèlaient ennuyeux ou trop gênants."
On le voit bien, Nigel Barley balance et les anthropologues, ethnologues et autres professeurs et chercheurs en prennent pour leur grade. Extrait:
"Un anthropologue est probablement le pire des invités imaginables. Je n'en voudrais pas chez moi. Il arrive sans en avoir été prié, il s'installe sans y être convié et il harcèle ses hôtes de questions stupides jusqu'à les rendre fous."
Soyons clairs, Barley n'opère pas non plus une rupture totale avec la tradition de pique assiette des chercheurs de terrain, puisqu'il se rend en Indonésie, apparemment avec juste une vague idée de ce qu'il cherche. La seule différence est qu'il ne se prend pas au sérieux, traite ses inconsistances et ses maladresses avec humour, tout en construisant une vision assez objective des populations qu'il rencontre. La plupart du temps, les publications ethnographiques ne sont que glorification du valeureux chercheur en terres inconnues et de ses trouvailles toutes nouvelles. Ici, le récit n'a pas été dépouillé de réflexions bien personnelles, des difficultés, des erreurs, des enthousiasmes déçus et des émotions non retenues. Sans compter que Barley, sous ses airs d'anglais nonchalent et désabusé, nous réserve la surprise d'avoir conçu et réalisé un projet totalement fou et décomplexé.
Rien de nouveau sous le soleil, donc. L'anthropologie n'est pas un sport dangereux est à mi-chemin entre les aventures de Peter Mayle en Provence et la genèse d'une publication universitaire. Une écriture qui cependant a le mérite de nous faire rire et de nous faire passer un bon petit moment chez les Torajas d'Indonésie.

samedi 22 septembre 2012

Les Alpes vues du ciel

Depuis trois semaines, je suis dans les Alpes. Je zig-zague au gré des vents entre la Slovénie et la France en passant par le Tyrol. Je survole les sommets et plonge dans les canyons, explore les vallées, plane avec les aigles et m'assieds sur les bancs des chalets. Je croise des regards et rencontre des histoires, j'entends battre des coeurs et le mien ne cesse de grossir. Et tout cela depuis mon canapé, devant ma télé, tout en haut de ma tour de béton. Grâce à Arte. Cette chaîne produit les plus beaux reportages qui existent, tant du point de vue de la superbe des images que de l'angle adopté et surtout du laisser parler. La bande son n'est jamais tapageuse, la voix grave et posée des commentaires laisse toute la place à celle des gens mis en valeur. On ne se trouve jamais dans une perspective pour touristes mais plutôt dans de l'humain, dans l'immensité des paysages et des âmes. Que ce soit lorsqu'elle nous parle de gastronomie, lorsqu'elle nous présente des jardins hors du commun ou des lieux exceptionnels, Arte ne lance aucun hameçon publicitaire, de mode. Certains qualifient cela d'ennuyeux. Moi, les reportages d'Arte me font rêver et m'apaisent, m'entraînent doucement vers des paradis de simplicité, vers tout un art de vivre, peut-être arriéré ou campagnard, mais idyllique. C'est le rythme lent qui me convient. Trois semaines donc que la chaîne nous fait visiter les Alpes vues du ciel. Châteaux, sommets, gorges, personnages hors du commun. Une vision tout à fait originale de la chaîne alpine. L' Autriche et le Tyrol m'ont totalement subjuguée. Quand à la Suisse, du canton de Berne au Valais, et à la France - Aravis, Chablais, Pays du Mont Blanc, Beaufortin - je n'ai pu que voir de haut tout ce que je connais de si près. La vision du Cervin est un moment dont on ne se lasse jamais, et je reste sur ces images qui me rappellent ma première rencontre avec ce géant énigmatique, à Zermatt. Une montagne totem, l'une de celles, sans aucun doute, vers laquelle on revient toujours, irrémédiablement.
Certaines video de la série "les Alpes vues du ciel" sont visibles sur le site d'Arte:
 

jeudi 20 septembre 2012

Emi

En réponse à Coumarine...

Emi. C'est le prénom que je me suis choisi. C'est à un jet de pierres de ce que je suis vraiment et suffisamment loin pour écarter toute intrusion. C'est à la fois une armure, un masque, un maquillage, des lunettes noires, un sourire de façade. C'est moi sans l'être tout à fait.
Enfant, je rêvais d'avoir un surnom, de changer de nom. J'en cherchais dans mes lectures, tous plus exotiques les uns que les autres. Je faisais des listes de prénoms, enviais mes amis qu'on hélait par leur surnom. Je m'appelais comme tout le monde et, à l'âge où l'on cherche à se distinguer, c'était un handicap considérable. J'étais en quête de mes origines, tout en désirant avec toute la force de mes tripes être quelqu'un d'autre. Au fil du temps, on m'a appelée Mili, Milou, Emile, Emilia puis Emi. Au fond, c'est l'Amérique du Sud qui m'a trouvé un surnom, qui a aussi forgé une part de mon identité. Chez les Equatoriens, pour les Péruviens, en Bolivie, dans les mines ou sur les places de mon quartier, j'étais Emi. Entre les guitares et les charangos, sous les coups du bombo, quand je chantais, j'étais Emi. Et ça roulait. Puis, le surnom m'a fait de l'ombre, a pris le pas sur ce que j'étais au fond, s'est constitué un personnage. Emi sudaméricaine; Emi musicienne; Emi les grandes boucles d'oreilles; Emi l'éternelle étudiante; Emi l'habituée des soirées boliviennes; Emi la souriante. Mais qui était-elle? Le costume est devenu trop petit, a craqué, a explosé sous la révolte. J'ai ôté le masque d'Emi et l'ai regardé bien en face, pour tenter de gratter le vernis, de reprendre le cours de l'histoire, juste avant qu'Emilie ne devienne Emi.
Aujourd'hui, encore, il y a des jours où j'abhorre le personnage, le pantin que j'articule en tirant les ficelles du pseudo. Je refuse catégoriquement d'être encore celle-là, d'être encore cela. Comme une tortue sans carapace, je me terre dans une grotte pour échapper aux regards. Je fuis les lieux où Emi a vécu, où Emi s'est affichée, même ceux, paradoxalement, où elle s'est illustrée. Ces gloires-là ne sont plus les miennes, ces mondanités ne me concernent plus. Petit à petit, je rénove le masque d'Emi pour qu'il soit plus à ma taille, plus transparent, pour qu'il ne soit qu'un loup de Carnaval que je puisse ôter et remettre sans me blesser. Chaque jour, à chaque nouvelle création, à chaque note, à chaque mot, à chaque crise de passion, je veille à ce qu'Emi ne prenne pas le dessus, à ce qu'elle ne redevienne pas la créature à travers laquelle j'avais vécu par procuration.
Pour autant, lorsqu'on crée, on a souvent besoin d'un pseudo, derrière lequel on se retranche pour prendre quelques libertés supplémentaires, pour faire un clin d'oeil au spectateur ou au lecteur: attention, je suis un imposteur...

jeudi 13 septembre 2012

Pourquoi je ne peux pas passer l'agreg

Parce que mes courgettes vont brûler
Parce que mon thé va refroidir en terrasse
Parce qu'il faut que j'apprenne à nager
Parce que j'ai les étoiles à contempler
Parce que j'ai les mains dans la mousse
Parce que j'ambitionne de vivre dans la brousse
Parce que mon livre de chevet fait 500 pages
Parce que mes enfants ne sont pas sages
Parce que je n'aime pas les barres chocolatées
Parce que la vie est si belle à croquer
Parce que l'agreg j'm'en balance
Parce que je regarde mes enfants qui dansent
Parce que le soir je fais des gammes
Parce que Prévert n'est pas au programme


A Lili, parce qu'elle sait...

samedi 8 septembre 2012

Le soir

Je comprends tout à fait pourquoi la plupart des écrivains disent travailler la nuit. Ou tard le soir. Ou à l'aube. Jamais au grand jour. Non pas que ces gens aient une vie nocturne débridée et qu'ils dorment la journée. Non pas qu'ils soient capricieux, quoique tout de même un peu des êtres à part. Car ils écrivent comme d'autres allument une cigarette, se rongent les ongles, se vautrent dans le chocolat ou simplement respirent. Il est vrai que le jour, l'esprit n'est pas tranquille. Le soleil, l'animation de la rue et des voisins, cette distance insurmontable qui nous sépare du calme empêche toute réflexion posée. Le jour, ce qui anime notre pensée, ce sont les factures d'eau à payer, qu'est-ce qu'on va faire à manger, le linge à repasser, le bricolage et ruminer. Le jour, c'est le quotidien qui prend le dessus sur la créativité. Et c'est ainsi que l'on passe des journées, de longues heures, avachi dans le canapé, à tourner en rond dans la maison, à entrevoir les idées sans jamais pouvoir les fixer. On remet à plus tard. Puis le temps passe. Et vient le soir. Alors, bien sûr, on se demande comment les grands écrivains arrivent à être aussi productifs. Leurs nuits sont-elles plus longues que les nôtres? Ou bien leur écriture est-elle plus rôdée, plus rapide, plus efficace? Sans doute n'ont-ils pas non plus un autre emploi dans la journée... Quoi qu'il en soit, le soir apaise toutes ces tensions, délivre les frustrations. C'est le moment. La nature, cachée des regards pendant la journée, commence à s'animer. La forêt s'emplit de bruissements, le soleil dessine des ombres, joue entre les arbres, les branches craquent et les écureuils surgissent. C'est autre chose qui prend le pas sur l'homme et ses machines; quelque chose d'infiniment plus puissant, d'enveloppant, de total. Les éléments. Alors le corps se laisse faire, envahir par l'inspiration: on peut créer. L'orage est lui aussi un moment propice à la création. Cette tension extrême juste avant que la tempête n'éclate, quand il y a de l'électricité dans l'air, que le ciel est anthracite, que le vent même semble retenir son souffle. Alors, on est en relation étroite avec l'ailleurs, l'autre, le là-bas et surtout le dedans. Le dieu du tonnerre doit être un peu mécène. Seulement, l'orage est rare et les nuits sont courtes. Le sommeil nous appelle et le soleil nous nargue. Que faire alors pour trouver la paix intérieure qui permet à l'écrivain de matérialiser son imagination? Dans quelle pièce sombre devrait-on s'enfermer? Quels roulements de tambours devraient-on écouter pour calmer nos énergies galopantes? C'est sûrement en forgeant qu'on devient forgeron...


 


vendredi 7 septembre 2012

Bowling

La série des "films de l'arrière saison" commence donc ce soir!
Je n'étais pas allée voir un film français au cinéma depuis... un certain temps. Depuis "Le fils à Jo". Pour le rugby, pour l'esprit, pour l'histoire, pour l'humain. J'y retournais ce soir, je l'espérais, pour les mêmes raisons. Et je n'ai pas eu tort.
Carhaix. 2008. La maternité de l'hôpital va fermer. Pas rentable. Tout le monde s'en souvient. Parce que cela touchait chacun au plus profond. La fermeture d'une maternité, comme d'une école, mobilise les consciences et titille ce qu'il nous reste d'esprit un tant soit peu citoyen. C'est la naissance, l'enfance, l'avenir, la vie qui disparaissent. Ensuite, et la suite, on la connaît tous, c'est le départ des habitants, la diminution de la population, la disparition des petits commerces. Le désert rural qui s'installe, la mort qui rôde. Cette histoire m'intéressait surtout parce qu'elle avait eu un fin heureuse: le maintien de la maternité.
Apparemment, tout le monde n'a pas apprécié le film. En témoigne cet article du Nouvel Observateur où il est détruit point par point:
Au passage, ce cher Thierry de Cabarrus a dû regarder le film en pointillés puisqu'il confond "jacadi" et "un deux trois, soleil"... Bref, je ne vais pas vous la jouer façon "celle qui n'a rien à dire mais qui commente tout ce qu'elle lit sur internet, corrige, rectifie, par principe". Ce monsieur a tout à fait le droit d'émettre un avis et de ne pas avoir apprécié ce film. Mais pourquoi diable doit-on toujours se comparer aux comédies anglaises? Je reconnais que la plupart des comédies françaises qui sortent ces derniers temps sont des navets indigestes. Mais ne dénigrons pas tout sous prétexte que le cinéma français serait par définition mauvais! Par ailleurs, notre cher critique du Nouvel Obs regrette le fait que la cinéaste n'ait pas suffisamment montré, approfondi le combat des habitants de Carhaix pour sa maternité. Dans son article, il nous parle d' "actions violentes". Mais le principe de la fiction n'est-il pas d'adapter? Sinon, il s'agit d'un documentaire, et c'est tout autre chose. Enfin, et cela doit être mon côté beauf, j'avoue que l'antagonisme qui est posé dans le film entre Paris et la province m'a fait sourire, voir même rire, et que rien ne m'a paru caricatural, pas même le bowling. Et pourtant, "Bienvenue chez les ch'tis" ne m'avait pas séduite; pourtant, je n'ai vu aucun rapprochement à y faire. Les moqueries des parisiens envers les bouseux n'existeraient-elles plus? Et l'antipathie des ploucs envers les parigots aurait-elle disparu? Monsieur Cabarrus devrait pourtant bien savoir qu'il n'en est rien, lui qui se plaît à détruire avec des arguments bobos intellos bon teint ce que les prolos adorent.
J'ai vraiment aimé "Bowling". Pour l'histoire de solidarité qu'il raconte. Pour les merveilleuses actrices, plus justes les unes que les autres. Pour l'humain. Parce que, parfois, la fraternité n'est pas qu'une notion qui sert à faire des films.
 

mercredi 5 septembre 2012

Le rocher de Jupille

Village désert. Nord de la Creuse. Zone évacuée? Mystère... Un panneau. "Rocher de Jupille". Un sentier en sous-bois. Murs moyen-âgeux, peut-être romains. Qui sait? Moiteur tropicale. L'orage qui roule au loin. Chaleur étouffante. Marcher pour ne pas se liquéfier. Marcher. Descendre. Vers l'eau qu'on aperçoit en contrebas. Sombre, l'eau. Un lac? Une rivière? Sûrement pas la mer. Descendre encore. Un ruisseau tari, source à sec. Soif. Chaud. Passage étroit au bord de l'étendue liquide. On imagine les crocodiles. Passerelles. Danger. Ne pas hésiter. Ne pas regarder en bas. Grimper à l'échelle. Ne pas regarder en bas. Vertige. A gauche, l'eau. A droite, le rocher. Tomber ou escalader. Verticalité. Sur la pierre, des mots, des noms. Enigmes. Le nom des voies. Sommes-nous bien ou nous croyons être? Quelque part dans la forêt n'aurions-nous pas franchi une porte, une frontière, un miroir? Ne sommes-nous pas maintenant dans un autre monde? Le vent se lève. Attention, vous êtes dans mon domaine. L'orage se rapproche, gronde. Sourd, puissant, dieu du tonnerre. Quitter les lieux, faire demi-tour. Déguerpir. Ne pas se retourner. Ne pas tomber. La forêt. Pluie chaude. Sueurs froides. Village désert. Rien n'a bougé.







mardi 4 septembre 2012

Le tour de l'île de Vassivière

Le lac de Vassivière étire sa surface biscornue entre la Creuse et la Haute Vienne. En été c'est le rendez-vous des baigneurs, des plaisanciers et des touristes. Il faut attendre la fin du mois d'août pour retrouver le lac avec un peu plus de tranquillité, quand le flot des vacanciers est parti, quand l'automne commence à jaunir les feuilles. Enfin seuls!
Il est toujours dur de remiser les chaussures de rando après plusieurs semaines de marche dans les paysages alpins. Alors, pour un après-midi, on rechausse ses croquenots encore poussiéreux pour aller faire le tour de l'île de Vassivière, certes, à un rythme encore soutenu, parce que les poumons gonflés à bloc de l'oxygène d'altitude, mais la balade, à pas lents, est tout aussi séduisante.
Le tour de l'île dure deux heures et c'est un dépaysement à chaque virage, parce que de chaque côté le paysage est totalement différent. Le pont qui nous y mène peut se franchir avec le petit train blanc, qui emprunte ensuite une étroite route qui grimpe. Cela rappelle les hauteurs du château, à Nice. Ici aussi s'élève un château. Construit au 19ème et 20ème siècle, il a le mérite de ne pas dénaturer le paysage. En contrebas, on peut se perdre dans le jardin des senteurs et, en regardant l'eau, vue plongeante, on peut se sentir en bord de mer.


Plus loin, les cochons, les vaches, les moutons se succèdent, paisibles, à l'ombre des grands arbres. Des grands pins, des voiliers. Sommes-nous dans les Landes? La forêt est magnifique, sa hauteur est atténuée de fougères et l'eau fait des remous en bas du chemins. De quoi avoir très envie d'y revenir en automne, pourquoi pas en hiver...
L'été est quand même une saison privilégiée. S'allonger sur l'herbe sèche, regarder le ciel sans nuages, rêvasser, se laisser aller, faire une pause. De retour au pont qui nous ramène à la terre ferme, on a l'impression d'avoir été réellement dépaysé, d'avoir mis les pieds ailleurs. Vassivière et ses airs de lac de Garde.

Une île, c'est un monde à part, à la fois au-milieu d'autres terres, plus ou moins lointaines, et un endroit différent, au rythme particulier. Une île, ça s'apprivoise, ça se mérite.

samedi 1 septembre 2012

Kamchatka

Suite de notre série "les films de l'été", qui a été un peu délaissée pour causes d'autres chat-mois à fouetter. C'est bientôt la rentrée mais j'ai décidé de poursuivre cette petite chronique cinématographique, ayant une tonne de films dans mon ordinateur. Ne sachant lequel choisir, j'ai ouvert le fichier "Kamchatka". Le nom m'intriguait et m'évoquait le bout du monde, l'aventure, le désert, l'exil.
Le cinéma argentin est très bon, ça se confirme. Ce film de Marcelo Pineyro réunit en plus deux immenses acteurs: Ricardo Darin, qui tenait l'un des rôles principaux de l'excellent Nueve Reinas et la grande Cecilia Roth, déjà vue dans Tout sur ma mère. Dans Kamchatka, elle est professeur à l'université et lui est avocat. Nous sommes en 1976, l'année où éclate le coup d'état militaire. Le couple et leurs deux enfants doivent fuir. C'est le jeune garçon, Harry, qui narre cette partie de sa vie avec sa vision mi-enfantine, mi-adulte déjà des événements. Les faits politiques sont seulement évoqués. Pas de lourde référence au contexte ni de dénonciation ouverte. Juste la vie d'une famille, un couple et leurs deux enfants pris dans la tourmente. Dans la grande maison de campagne qui leur sert de refuge clandestin, la vie tente de se réorganiser. L'amour dissimule sous son costume les doutes quotidiens; le sourire de façade masque la peur et l'angoisse du lendemain. Personne n'est dupe, ni les enfants, ni les parents. Chacun sait plus ou moins ce qui se déroule en dehors de ce huis clos familial. Tout est dans l'évocation, comme une peinture par touches. Les personnages sont ciselés, les dialogues dans l'économie et la justesse. Un vrai poème tragique, presque du Gelman. L'image du bonheur cisaillé. L'indicible métaphorisé.
"Kamchatka" m'évoquait le bout du monde, l'aventure, le désert, l'exil. Il m'évoque maintenant le cocon, la rage, l'horreur et le courage maternel d'aimer malgré tout.