lundi 30 avril 2012

La cage dorée

Shirin Ebadi, La cage dorée, 2008.
Suite de notre série sur les romans ayant pour cadre "la violence de ce monde"... Je vous promets des chroniques littéraires plus gaies, mais là, je suis sur un filon, alors je l'exploite jusqu'au bout. Je suis passionnée par le thème, par l'écriture, le récit, l'histoire et les événements politiques, sociaux, économiques, religieux.
Shirin Ebadi, c'est cette avocate Iranienne qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2003 récompensant son action en faveur de la défense des droits de l'Homme. Encore une fois, on en apprend beaucoup sur un pays dont on ne connaît que des stéréotypes et un résumé historique souvent approximatif et erroné. Shirin Ebadi part de son enfance pour entamer son récit autobiographique, à une époque où sa famille est unie, heureuse, où la vie à Téhéran s'écoule tranquillement. Elle ne sait pas encore que les décennies qui l'attendent seront tout le contraire, faites de peur et de mort, de répression et de silence de plomb. L'action et le rôle politique du Shah y sont parfaitement expliqués, en particulier son refus d'entreprendre des réformes, son conservatisme et son obéissance totale, sa soumission même, aux décisions des Etats-Unis. L'opposition commence à se faire de plus en plus virulente: les mouvements communistes, les réformateurs, les étudiants, les fondamentalistes religieux. Tout un peuple demande le départ de son dictateur, se soulève et manifeste avec l'espoir d'un changement. Seulement, les manifestations sont réprimées dans le sang, les Etats-Unis "lâchent" le Shah, qui part en exil, déjà malade. Alors, tout un peuple respire, croit en l'avenir et soutient les fondamentalistes religieux qui arrivent au pouvoir, pensant pouvoir avoir confiance en leur capacité à changer un système archaïque. Mais, très vite, l'Ayatollah Khomeini, protégé durant la répression du Shah, à l'abri dans sa résidence parisienne, balaye d'un revers de main les espoirs des Iraniens. Censure, répression des anciens opposants - et même des anciens alliés -, instauration d'un régime totalitaire, anti-démocratique et théocratique. C'est la stupéfaction, la déception. Vient ensuite la guerre contre l'Irak et les privations, les représailles, l'épuration des opposants - ou des prétendus comme tels, accusations souvent erronées, jugements inexistants, exécutions arbitraires, disparitions. Jusqu'à aujourd'hui, les choses n'ont pratiquement pas changé en Iran, et Shirin Ebadi continue sa lutte pour plus de liberté et plus de justice, ce qui n'est pas une mince affaire. Rappelons que cette femme incroyable, jamais vaincue, a déjà connu les geôles du régime des mollahs.
Ce qui est passionnant dans ce livre, c'est que cette histoire chaotique nous est racontée à travers la vie de deux familles: celle de Shirin et, en grande partie, celle de sa meilleure amie Pari, dont les trois frères ont pris chacun des directions totalement opposées. L'un, l'aîné, a toujours aveuglément soutenu le Shah, et dut lui-aussi partir en exil aux Etats-Unis, pour ne plus jamais pouvoir revoir sa terre natale. Le second, quant à lui, s'est trouvé une vocation politique d'opposant communiste durant les dernières années du Shah. Il connaîtra la prison à plusieurs reprises. Le dernier, le plus jeune, s'oriente très tôt dans une voie religieuse sans concessions, suivant les pas d'un mollah qu'il considère comme son guide. Envoyé sur le front de la guerre en Irak, cette expérience changera totalement sa perception de la réalité. Cinq destins, deux femmes et trois hommes, presque tous tragiques, qui nous montrent que quelle que soit la "cage dorée" des idéaux dans lesquels on s'enferme, le fait de suivre une voie aveuglément, sans jamais se remettre en question, conduit irrémédiablement à l'absence de dialogue, à l'extrémisme - qu'il soit politique ou religieux -, à la mort. Note d'espoir dans cette vie, dans ce monde hostile à l'amour et au partage, les femmes, fortes, et qui, encore une fois, s'engagent, ne baissent jamais les bras, malgré le danger.

dimanche 29 avril 2012

Exposition des oeuvres de Jorge Carrasco

L'événement n'est pas passé inaperçu, c'était l'endroit où il fallait être ce week end: une magnifique exposition Carrasco à Saint Maur (36). Exceptionnelle, cette expo, pour différentes raisons.
D'abord parce que les oeuvres de Carrasco sont par elles mêmes exceptionnelles, par leur originalité, leur force, leur engagement artisitique et moral, leur diversité. La fille de l'artiste bolivien nous disait même que si demain elle avait à mettre sur pied une autre exposition, elle pourrait le faire avec des réalisations totalement différentes de celles proposées ici, tant Carrasco a produit un nombre incalculable d'oeuvres, allant de la peinture à la sculpture, dans des styles totalement différents. Inclassable.

Exceptionnelle aussi, cette expo, en ce qu'elle présentait une oeuvre jamais montrée auparavant: cette immense toile de 9 mètres de haut, peinte au lendemain des attentas du 11 septembre, dans laquelle l'artiste dénonce certes l'horreur, mais également une prévisible tournure tragique des événements et de condamnables représailles de la part des Etats-Unis. Encore une fois, dans son art, le rejet d'un monde calculateur, gouverné par la haine, et la douleur de la perte d'une relation d'harmonie avec le cosmos.
Carrasco, homme engagé, artiste total, certain que nous faisons partie du cosmos, de la vie, et en contact permanent avec les éléments, en particulier avec la Terre, lien qui témoigne de l'attachement à ses racines andines et cette vision de la Terre comme nourricière, féconde, créatrice de vie. Ses sculptures en sont sans doute la trace la plus concrète: sensuelles, rondes, féminines, fortes, telluriques.
Carrasco, artiste total, disions nous, refusant de se cantonner à un style, à une spécialité. Au contraire, il a durant toute sa vie mêlé toutes les techniques, tous les arts - rappelons le rôle très important de la musique, puisque Carrasco est à l'origine de la création de la célèbre Peña Naira à La Paz, local qui fut le berceau de la musique folklorique andine contemporaine dans les années 70 -. Mais quel que soit le vecteur d'expression utilisé, le message reste le même: dans tous les cas, s'engager, aller jusqu'au bout de la démarche, puiser toujours au plus profond et y mettre toute son âme.
Et puis, cette exposition n'aurait pas été exceptionnelle sans la présence de madame Simone Carrasco et de sa fille Okllo, deux femmes au coeur grand ouvert, passionnées par l'artiste, par l'oeuvre, et entièrement dévouées à la mise en valeur et la diffusion des réalisations de Carrasco, dans un immense et universel geste d'amour envers lui, et envers le public.
D'autres rendez-vous sont prévus, notamment à la fin du mois de mai, dans la commune du Menoux (36) - dans laquelle Carrasco a vécu de nombreuses années et qui abrite ce qui est sans doute l'oeuvre de sa vie: les superbes fresques de la petite église -. Restez attentifs, nous ne manquerons pas de vous convier à ce qui sera sans aucun doute un magnifique événement!
(photos de Marie-Hélène, notre envoyée spéciale sur place. Merci à Simone et Okllo -photo ci-dessus- pour leur gentillesse)

vendredi 27 avril 2012

Les hirondelles de Kaboul

Yasmina Khadra, Les hirondelles de Kaboul, 2002.
En lisant les premières lignes de ce troisième roman de l'auteur algérien, j'ai immédiatement trouvé le mot qui collerait le mieux, selon moi, à son style: dense. Je m'en suis aperçue de suite et ai fait la relation avec les deux précédents romans que je venais de lire, parce que chacun m'a demandé le même effort de concentration. Il ne s'agit pas d'une écriture qui laisse voler ça et là votre imagination, qui vous laisse de la place pour la distraction entre les lignes. Non, c'est une écriture dense, comme une forêt inextricable de lianes, qui vous prend à la gorge, vous met le nez dans et sur l'action, qui vous empêche de divaguer. Une photographie sans concession du réel à travers des mots choisis, précis, un tissage étudié et frappant par l'intensité qui se dégage de chaque mot.
Partant de là, je me suis laissée happer par Les hirondelles de Kaboul. Etant donné le contexte -l'Afghanistan des Taliban- je ne m'attendais pas vraiment à une oeuvre douce et optimiste. C'est le moins qu'on puisse dire. Les personnages errent, à l'orée de la folie, dans une ville poussiéreuse et misérable, où les coups de cravache ont remplacé les mots, où les femmes se cachent dans des tchadris et où les êtres en général ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils étaient "avant". Un "avant" déjà oublié, très lointain, presque irréel tant le présent est absurde. Les exécutions publiques et les prêches enflammés se suivent et se ressemblent, sur fond de terreur institutionnalisée et générale. La parole, les pensées, les rêves ont été muselés. Cette violence insidieuse s'empare de tous les êtres, même les plus érudits. On le voit bien dans l'image de cet ancien bourgeois dont le bras, hors de son contrôle, se saisit soudain lui-aussi d'une pierre et participe, tel un somnambule, à la lapidation d'une femme. Thème recurrent chez Khadra, le personnage collectif, composé des apeurés, des suiveurs, des convaincus. Car ici, de résistants, il y en a très peu. Mises à part les femmes, qui jouent sans doute le rôle le plus important dans le roman. La femme blessée ou humiliée qui tient bon en silence, la femme amoureuse d'un homme qu'elle croit encore rebelle, la femme qui accepte sereinement la mort parce que c'est sa seule vraie promesse de liberté. Les femmes qui restent censées, déterminées, lucides, cobtrairement aux hommes, lâches, apeurés, assaillis de doutes, qui sombrent tous peu à peu dans la folie.
Je vous l'accorde, le sujet est lourd, les romans se succèdent et se ressemblent, la violence et l'horreur sont omniprésentes. En même temps, il faut bien se dire qu'il s'agit de la réalité mise en fiction: d'une part, l'écrivain transmet ici une vision du monde qu'il nous est interdit d'ignorer, une vérité qui, certes, fait mal aux yeux, mais qu'on ne peut nier; d'autre part, l'artiste, qu'il s'agisse du photographe, du peintre, du musicien, de l'auteur, met en cette réalité en perspective avec son propre style, la poétise, la retravaille. Eh oui, c'est de l'art, et, dans le monde actuel où l'on muselle et distorsionne la parole, ces prises de liberté et de positions créatives sont plus que nécessaires.

jeudi 26 avril 2012

Festival du charango en Paris

Comme nous l'annonce Pedro Condori sur son Facebook, pas de Festival du Charango à Paris en 2012...
Cepdendant, le Festival 2013 se prépare dès maintenant, je vous transmets et traduis ce message:
"Pour 2013, nous préparons une semaine avec des expositions, la participation à différents événements et comme toujours la venue de grands maestros du charango représentants de différents pays. Nous donnerons aussi l'opportunité à tous les grands passionnés de cet instrument de participer. Les inscriptions sont ouvertes et se feront en deux temps: tout d'abord, nous envoyer un bref CV et un enregistrement audio (par mail ou CD), peu importe si celui-ci est réalisé ou non en studio. Une fois sélectionné, l'artiste, s'il vit en France, sera invité à une audition; s'il vit à l'étranger, nous lui demanderons une video avec un minimum de 5 morceaux différents, dans le but de bien apprécier les capacités de l'artiste.
A partir du mois d'octobre, seront donnés des cours de charango de différents niveaux, allant de l'iniciation au perfectionnement, avec des maestros confirmés. Nous monterons aussi un orchestre de charangos pour qu'il participe au grand concert.
Chers amis, je vous remercie donc infiniment pour votre intérêt et vous invite à me contacter par mail afin que nous puissions rapidement connaître le nombre de participants et ainsi réserver une salle à Paris.
Amitiés.
Pedro Condori
Irpa Qhantati producciones
qhantati1@hotmail.com "

mercredi 25 avril 2012

Les agneaux du Seigneur

Yasmina Khadra, Les agneaux du Seigneur, 1998.
Il en est des livres et des auteurs comme de la musique et des compositeurs-interprètes, quand j'en découvre un qui me plaît, je fouille tout, je scrute, j'étudie le qui, le quoi, le comment. Avec la musique, j'écoute en boucle, apprends par coeur, me fixe sur le moindre détail, me saoule presque, jusqu'à l'overdose. Comme un coup de foudre (un jour je vous parlerai de mes dernières lubies musicales et pourquoi pas des anciennes, pendant que j'y pense).
La littérature me provoque le même type de réactions excessives. Je découvre un livre, un auteur, parfois par hasard (oui, enfin je n'y crois pas du tout, soit dit en passant) et j'adhère, m'émerveille, lis et relis, apprends, m'inspire, m'imprègne. Parce que je suis une amoureuse du mot, de la rime, de la formule, de la musicalité de la langue, des styles extrêmes, originaux, risqués, poétiques et crus à la fois.
J'ai finalement lu L'attentat de Yasmina Khadra. Ce livre me tendait les bras depuis des mois dans une bibliothèque auvergnate sans jamais être assez séduisant pour que je l'emporte... Encore une fois, une panne de lecture, rien sous la dent, plutôt ça que rien, je l'ai finalement pris avec moi. Ou plutôt, c'est le roman qui m'a prise, de suite, alors que je n'en attendais pas grand chose. Une rencontre.
De retour chez moi, je me suis ruée dans ma biliothèque municipale pour aller y piocher d'autres livres de Y. Khadra. Je viens de terminer Les agneaux du Seigneur. J'en suis bouche bée.
J'avais trouvé L'attentat risqué, osé, engagé, novateur; ici, nous allons encore plus au fond des choses puisque le roman nous plonge dans l'horreur de l'Algérie des années 90, les années sombres du terrorisme. Nous sommes dans un village, le théâtre d'un huis clos, un microcosme métaphore de tout un peuple, voir même de l'humanité. La vie qui s'écoule, les dominants et les dominés, les gagnants et les perdants, les chanceux et les perdus. Et puis un jour, un jeune imam tout juste sorti de prison revient au village, portant avec lui des idées extrémistes. De suite, une cour se forme autour de lui, d'adeptes, de suiveurs, d'opportunistes, d'apeurés. Les jeunes revêtent peu à peu des barbes de plus en plus fournies et des yeux de plus en plus rageurs. Et peu à peu le village sombre dans la peur, la terreur, l'horreur. Partout dans le pays, le FIS, les intégristes, font des ravages, et l'ancienne petite bourgade paisible n'échappe pas à cette tornade qui massacre tout sur son passage, femmes, vieux et enfants, et répand partout où elle passe un bain de sang.
Ce qui est intéressant, ce n'est pas le récit des événements historiques, tout le monde les connaît malheureusement, mais cette manière des les raconter. Encore une fois, Yasmina Khadra ne se lance pas dans un plaidoyer larmoyant pour la paix ou dans une condamnation argumentée du terrorisme. Non, il garde son rôle d'écrivain (engagé, évidemment, bien sûr, car comment ne pas l'être face à de tels faits) et son regard de sociologue. Il nous dépeint à la perfection, dans le moindre détail, la psychologie de ses personnages (tellement réalistes qu'on se sent souvent visé), de comment on passe de dominé à dominant, de comment on retourne sa veste, on tente de se placer dans le "bon" camp, celui des vainqueurs, toujours. Et comme dans L'attentat, comment on sombre si facilement dans la méfiance, dans la dénonciation, dans la haine de l'autre, du voisin, du semblable, et pour finir, inévitablement, de soi-même. J'admire vraiment ce travail sur la psychologie humaine et sur ce décor étouffant du village, comme une bulle, un carcan. Il y a du Garcia Lorca dans l'évocation de la vie, quasi impossible, dans ces régions désertiques, au climat et aux coeurs arides, dans cette façon de traîter non pas des protagonistes (d'ailleurs il y a tellement de personnages dans Les agneaux du Seigneur qu'on finit par s'emmêler les pinceaux, c'est certainement volontaire d'ailleurs) mais d'un personnage collectif, ici, le village.
Et comme je suis vraiment de nature compulsive, j'enchaîne de suite sur un autre roman du même auteur. A suivre...

Mange, prie, aime

Il y en a qui disent que c'est un navet mièvre et sans saveur... J'avoue, c'est un film "romantique". Mais pas que. C'est l'histoire de Liz Gilbert (adaptée de son livre autobiographique sur sa propre expérience de vie), une femme qui a tout pour être heureuse et qui ne l'est pas. Pauvre petite fille riche... Mais cela nous arrive à tous un jour, ne me dites pas le contraire, de regarder sa vie, de se rendre compte qu'on a en apparence tout ce qu'il nous faut, la santé, le boulot, les amis, la famille... mais que malgré tout ça on n'est pas heureux, on ressent un vide, on est en perpétuelle quête de quelque chose d'autre, d'un ailleurs, d'un déclic qui donnerait un sens à cette vie qui nous semble si plate et insignifiante. Bon, Liz, un matin, pète les plombs, en a assez, envoie tout balader. Elle divorce, pour mettre un terme à l'engrenage dans lequel elle s'était pourtant enfermée avec conviction, se jette dans les bras du premier "charmant-garçon-bouée-de-sauvetage" qui croise son chemin, sans pourtant parvenir à se satisfaire de cette nouvelle situation. Alors, elle achète un billet d'avion pour l'Italie, prend la décision de partir un an autour du monde: ce sera l'Italie, l'Inde et Bali. En Italie, tous les sens en éveil, elle apprend à regarder le monde, la vie, les autres et elle-même sans ses oeillères de femme malheureuse et au régime (alimentaire, relationnel, émotionnel). La nourriture y est pour beaucoup, comme une métaphore de la vie: savourer chaque bouchée, s'aventurer à goûter des mets inconnus, ne pas se restreindre ni se priver, en finir avec l'auto-censure. Elle sourie, elle se lâche. En Inde, c'est tout autre chose. Elle se rend dans un ashram. Le menu est bien différent: corvée de nettoyage, silence, prières aux aurores. Et la méditation. Le cocktail idéal pour se prendre sa propre réalité intérieure en pleine figure. Car comment méditer et trouver le calme quand l'esprit ne s'arrête jamais de tourner, quand on ne peut s'empêcher d'apporter de l'eau pour que le moulin des pensées s'emballe à chaque instant... Apprendre à faire le vide, c'est la deuxième étape du voyage "thérapeutique" de Liz. Apprendre à pardonner aux autres et, beaucoup plus ardu, à se pardonner, à être indulgent envers soi-même. Arrêter de s'autoflageller. Trouver la paix et la sérénité. Vaste programme. A Bali, une fois la tempête intérieure calmée, Liz retrouve le "guérisseur" qu'elle avait rencontré un an auparavant, alors qu'elle était en pleine interrogation sur sa vie. Elle trouve aussi une famille, pose ses valises pour un temps, se stabilise, s'enracine presque. Ou le bonheur de rencontres humaines, de terres, qui, bien que géographiquement au bout du monde, sont si proches de ce que nous sommes et de nos "racines". On se dit alors que le voyage est terminé, que Liz est "guérie", qu'elle va trouver l'amour, que tout est bien qui finit bien, que tout ça pour ça? J'en conviens. Mais je me suis quand même interrogée sur le sens de cette dernière étape à Bali. Autant, en Italie, le fait de reprendre goût à la vie, du Carpe Diem, de vivre le moment présent, je peux commencer à comprendre. Autant, en Inde, la difficulté de stopper le fil des pensées pour trouver la sérénité, je saisis tout à fait de quoi on parle, c'est un véritable exercice, un entrainement quasi sportif, quotidien. Mais la leçon de Bali m'interroge vraiment: saisir les opportunités quand elles se présentent, oser, se lancer, prendre le risque de perdre l'équilibre pour tenter des choses, expérimenter... Vraiment, ce film m'a parlé du début à la fin, et même si c'est un navet romantique et mièvre, j'ai aimé, j'ai adhéré. De là à ce que je parte autour du monde pour me trouver... (quoi? déjà 7 déménagements? instable, moi?...)

mardi 24 avril 2012

Exposition de Jorge Carrasco


Exposition de sculptures : les oeuvres de Carasco

Jusqu’au mercredi 2 mai - Tous les jours de 14h30 à 18h30

Château des Planches - Saint-Maur (36) - Entrée libre

lundi 23 avril 2012

L'attentat

Yasmina Khadra, L'attentat, 2005.
Tel Aviv. Amine, un chirurgien renommé, d'origine arabe, est rappelé à l'hôpital où il travaille pour opérer les nombreux blessés après l'explosion d'une bombe dans un restaurant. Parmi les victimes, des enfants qui fêtaient un anniversaire. C'est l'horreur. Après des heures au bloc opératoire à tenter de sauver des vies, Amine rentre chez lui, à travers une ville sous tension. Délit de faciès, il est arrêté à tous les barrages de police de l'armée israélienne. En pleine nuit, le téléphone sonne. On le rappelle à l'hôpital, sans lui dire pourquoi. Angoisse. Arrivé sur place, les visages sont fermés, le silence est lourd. On finit par annoncer à Amine que l'explosion dans le restaurant est en réalité due à un attentat suicide, et que le kamikaze est... sa propre femme. C'est le choc. L'incompréhension. S'en suivent des jours d'interrogatoires dans les geôles israéliennes, les questions et les coups pleuvent. Amine ne comprend rien, ne réalise pas, a l'impression d'être en plein cauchemar. Sa maison est vandalisée, lui-même est agressé et insulté, battu. Trahi, il décide de comprendre ce qui a poussé sa femme à se faire exploser dans un restaurant bourré de monde, à quel moment elle lui a échappé, que lui manquait-il pour être heureuse tandis que lui s'acharnait à lui offir une vie de princesse. Commence alors un parcours géographique sur les traces des derniers jours de sa femme. Amine se rend à Bethléem, à Janin, dans les villes où son épouse est passée avant l'attentat. Il mène l'enquête, cherche des pistes, des indices. Et au fur et à mesure de ses recherches, la haine monte en lui. La haine du monde qui l'entoure, à cause de son impossibilité à rendre sa femme heureuse, la haine de se sentir trahi, incompris, la haine envers ceux qui ont poussé son épouse à se tuer, la haine parce qu'elle a préféré un "gourou" à son mari. Amine voit la réussite professionnelle, l'ascension sociale qu'il a connue grâce à sa persévérance, jusqu'à se fondre, lui, pauvre arabe, dans la population israélienne. Et il se voile la face. Aller sur la piste de son épouse et chercher une explication à son acte, c'est retourner aux sources, se prendre la réalité, la violence et la pauvreté en pleine figure. C'est se confronter à des populations massacrées, acculées, encerclées par la misère et l'horreur. Et ce mur qui se dresse au bout des terres de son enfance. Sa famille, qu'il avait presque oubliée pour mieux devenir quelqu'un, jusqu'à en oublier qui il était. Le sujet est risqué, très engagé, épineux, et traité de manière originale. J'aime cette prise de risque qui nous entraine sur d'autres terrains que ceux traditionnellement attendus, complètement en dehors du jugement sur le bien et le mal. C'est un véritable questionnement sur l'identité, la responsabilité de l'individu, la naissance de la haine qui surgit de l'incompréhension et de la négation de soi et des autres. Dans le récit de faits et de situations réalistes, l'auteur nous entraine dans une introspection, une interrogation sur nos propres réactions face à la violence, à l'engagement, et sur notre incapacité à lire en l'autre, aveuglés que nous sommes par nos certitudes et nos jugements à l'emporte pièce. Dans un monde où on nous pousse à choisir notre camp, où on nous dicte de qui on doit avoir peur et qui on doit suivre, le livre de Yasmina Khadra renverse les schémas établis pour nous montrer une réalité complexe et multiple. Un véritable appel à l'écoute de l'autre, à garder toujours une perception libre et objective de la réalité.

dimanche 8 avril 2012

"J'ai mal, papa !..."

Scène 1.
Un terrain de tennis, deux enfants qui jouent. L'une, à envoyer des balles avec sa raquette, tranquillement. Et à aller les chercher ensuite. Lentement. L'autre, à jongler avec un ballon de foot. Les deux sur le même terrain. Amusement. Les oiseaux chantent. Il y a un joli désordre, une complicité implicite. Un moment de détente.

Scène 2.
Le père qui crie. Qui va d'un terrain de tennis à l'autre. Les enfants séparés. L'une, renvoie, l'une après l'autre, les balles de tennis que le père lui fusille. Visage fermé. Encouragements? Plutôt engueulades, bousculades verbales, réprimandes, motivation par la dénégation. Il change de terrain. Elle respire. Mais est toujours sous étroite surveillance. Le fils. Il ne peut plus jongler en désordre avec son ballon de foot. Il est question de technique, de perfection, de comme ça tu n'y arriveras pas, de ce n'est pas comme ça, de tu veux progresser oui ou non?, de bouge-toi un peu, de fais un effort, de recommence, encore, encore et encore. Tensions. Regards baissés qui, s'ils se levaient, en diraient long. Mais ils n'osent pas. Le plaisir est parti, il crie trop fort. La complicité est séparée par le grillage. L'amusement a été effrayé par la performance sans motif valable.

Scène 3.
La fille qui pleure, qui crie, qui gémit, le pied droit en l'air. Le père, à genoux, qui lui ordonne de se calmer, qui ausculte sa cheville, qui aboie encore, malgré la douleur évidente de son enfant. Elle souffre et il minimise. Peut-être va-t-il lui demander de reprendre aussitôt l'entrainement? C'est une blessure d'accident, de fatigue, de ras le bol physique et mental, une blessure à l'amour, à l'estime de soi tellement enfouie par tant de reproches, une blessure à la volonté de bien faire, de se faire aimer, de faire plaisir, qui s'est transformée en crainte, en peur de voir la déception dans les yeux de son père, en je ne sers à rien, je n'y arriverai jamais, je ne serai jamais à la hauteur, je suis nulle, je ne suis rien. Et le père qui aboie encore. Alors qu'elle, elle voudrait que tout s'arrête, qu'il lui dise qu'il l'aime quand même, même si elle ne devient pas championne du monde. Elle voudrait redevenir enfant, revenir au jeu, à l'avant, avant la pression, avant la communication par la stimulation.

Scène 4.
A quel moment va se consommer la rupture? Demain, quand le médecin lui indiquera de ne plus faire de sport pendant un temps? Dans un an, quand elle lui dira qu'elle arrête tout? Dans trois ans, quand elle lui préfèrera son petit ami, quand elle préfèrera les balades en scooter au vieux terrain de tennis, cage qui renfermait l'oiseau qu'elle aspirait à être? Dans dix ans, quand, enfin championne, elle se cherchera un autre entraîneur, un qui la valorisera plutôt qu'un chien de garde sportif? Dans quinze ans, quand elle refusera que le grand-père entraîne ses petits enfants, ses enfants à elle, au même régime qu'elle? Dans vingt ans, quand il mourra d'une crise cardiaque et qu'ils se sépareront sans s'être jamais dit qu'ils s'aimaient autrement que par des coups de gueule?

mercredi 4 avril 2012

Bernard Giraudeau

Bertrand Tessier, Bernard Giraudeau, le baroudeur romantique, 2011.
L'homme coup de vent, l'homme passion, l'homme doute, l'homme excès, l'homme colère, l'homme voyage, l'homme générosité, l'homme humain.
C'est tout cela qui se dégage de cette autobiographie de Bernard Giraudeau. J'en ai appris beaucoup sur sa carrière cinématographique, sur sa relation passionnelle avec le théâtre. J'avoue n'avoir vu que très peu de ses films. Les caprices d'un fleuve, tout juste. Mais ici tout a été retracé, depuis le début. L'enfance, déjà instable, la soif de l'ailleurs, le leitmotiv instable du "c'est sûrement mieux là-bas". Très tôt, trop tôt, l'engagement dans la marine, à bord de la Jeanne d'Arc. Deux tours du monde plus tard et des blessures définitives, Bernard se fait passer (ou pas) pour fou et va voir ailleurs si le ciel est plus bleu. Petits boulots, à la Rochelle, mais surtout errances sur le port, toujours la mer. Et puis la danse, à fond, comme tout le reste, pour apprendre, presque en souffrir de vouloir toujours l'excellence. Paris, enfin. Et apprendre encore, se perfectionner, même au-delà. Quitte à en devenir insupportable. Puis viennent -ou reviennent- les voyages. Les Andes. Humahuaca. Et des rencontres. Vraiment, on a du mal à le suivre et à comprendre comment les autres ont pu le suivre. En même temps, en lisant ses textes -dont je ne me lasse vraiment jamais-, en voyant ses documentaires, on comprend que cet homme était habité. Par autre chose, un degré extrême de la vie, une vision totale du monde et des gens. Jusqu'au bout. Une intensité dans le regard, dans la manière d'appréhender la rencontre, la découverte et une façon particulière et unique de la décrire, sans détours, la réalité mise à nue, brute, mais avec tellement de poésie. Il y a des gens, des textes, des images, des visions qui ont croisé mon chemin et ont mis mon stylo en marche. Bernard Giraudeau est l'un de ces guides.

lundi 2 avril 2012

Miroirs

"Décompresse un peu, prends la vie du bon côté! Regarde, moi, par exemple, je me lève le matin et, direct, je me dis que ça va être une bonne journée. Toi, dès le matin, tu râles déjà. Et c'est les embouteillages, c'est le froid, c'est que t'es fatiguée, que t'es pas motivée. T'as toujours un pet de travers, jamais contente. Ben pète un coup, justement, décoince, souris, quoi. Allez! Regarde, moi, les petites emmerdes du quotidien, je me dis toujours que c'est rien, je m'en fais pas une montagne, tout s'arrange. Tu te crées des tonnes de problèmes pour des broutilles. Avec toi, c'est la montagne qui accouche d'une souris, j'te jure! Arrête un peu, regarde autour de toi, la vie est belle! T'as un boulot, des enfants, des amis, des passions, de quoi tu te plains? T'es super intelligente, drôle, belle, t'as tout pour toi, profites-en. Tu te rends pas compte de la chance que t'as. Regarde, moi, par exemple, j'ai plein de défauts, mais quand je me regarde dans la glace, je me dis que je suis pas si mal que ça. D'accord, je sais bien que je suis pas un top model, mais bon, je m'en contente, ça me suffit. Parce que si tu commences à te dévaloriser, laisse-tomber, compte surtout pas sur les autres pour te faire des compliments. Et puis, la perfection, oublie-là, tu l'auras jamais! ça n'existe que dans tes rêves! Regarde, moi, en amour, par exemple, je prends ce qui vient, j'attends pas le prince charmant. Je profite des bons moments, je me dis que c'est toujours ça de pris, je prends le positif, j'en demande pas plus. Je vis, quoi, je me pose pas de questions, j'ai pas que ça à faire..."
"En fait, le matin, quand je me lève, j'ai peur. Je te vois râler, c'est ta manière de fonctionner. Moi, j'ai le vertige, c'est pas de l'inquiétude ou des petites emmerdes, c'est carrément des questions existentielles que je me pose. Toi, t'es fatiguée; moi, je suis au bord du gouffre. Tu sais ce que ça fait d'avoir peur de se pencher en avant, de regarder sa vie tout en bas de la falaise et de ne voir que le vide? Evidemment, toi, tu peux pas savoir. T'as du succès, des amours, des enfants, des amis, des passions. Moi, tout ça, je le regarde passer comme une vache devant les voies de chemin de fer: le train, il s'arrête jamais dans mes gares. Ou alors si, des trains fantômes. J'ai la trouille. T'as tellement de choses pour toi et t'as encore des doutes, c'est presque de la provocation. Et en plus t'as la gentillesse incarnée, tu t'occupes de tout le monde, c'est jamais faux. Mais moi, comment tu veux que j'ai un mot gentil pour chacun quand je me supporte pas moi-même. Le reflet dans la glace, tu parles. Parfois, la personne en face de moi, j'ai l'impression de même pas la connaître. C'est moi? Je sais même pas qui je suis! En amour, n'en parlons même pas. J'ai peur..."

"Tu crois que j'ai tout pour moi mais tu te trompes. Tout ce que je cache, mes souffrances, mes cicatrices, tu les vois pas. Toi, tu vois que l'extérieur. Tu t'es jamais posé la question? Tu t'es jamais demandée si c'était pas juste une apparence, un masque? T'as jamais pris la peine d'aller voir derrière. Ben oui, je souffre, autant que les autres, autant que toi, peut-être même plus. Enfin, bref, on fait pas un concours. Me plaindre, c'est ma manière à moi de me planquer, c'est l'arbre qui cache la forêt. Parce que, j'te jure, si je te disais tout dès le matin, tu pleurerais comme une gosse. Belle? Intelligente? Passionnée? ça m'empêche pas de douter, figure-toi, c'est sûrement pas ça qui fait de moi une personne plus heureuse que les autres. Passionnée, c'est ça le problème, justement. C'est les montagnes russes, tu vois. Monter très haut, très vite, et retomber très bas. Et ben, la chute, tu sais, ça fait mal. Je préfèrerais être comme toi, que tout soit ok, que tout soit plat, le calme, les plaines du nord, pas l'Himalaya. Au moins, toi, tu te casses pas la gueule sans arrêt. Tu rêves pas, tu vis. La passion, ça use. Tu vas encore dire que c'est de la provocation, que je fais encore ma petite fille malheureuse alors qu'elle a tout, que je me plains la bouche pleine. Mais, tout ce que j'ai, tu crois pas que je l'ai mérité? J'ai pas assez morflé comme ça tu crois? Evidemment que je doute, évidemment que j'ai sans arrêt l'angoisse que le vent tourne. Après toutes ces tempêtes, c'est logique, non? L'amour? C'est pas ce que tu crois..."

Et le lendemain, chacun reprend son masque. La pseudo dépressive qui se protège, la peudo enjouée qui se planque, la pseudo séductrice qui doute. Parce que ces phrases ne se sont jamais dites et ne se diront jamais, parce que chacune a trop peur de voir son reflet dévoilé dans l'âme de l'autre. Parce que ces âmes se mélangent dans la même personne, tour à tour, comme un tourbillon qui ne s'arrête jamais de tourner, des vents venus des quatre directions qui charrient tristesses, passions, douleurs, joies, doutes, espoirs. Sans jamais s'arrêter. Les tripes dans une tempête. Le gros grain qui fait la vie, qui laisse des traces sur le corps, qui dessine des ombres, des failles et des étoiles sur le visage.